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INSTINCT NOCTURNE
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Écrit
par Baptiste Jacquet |
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire
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MERCREDI 21 AVRIL
2004 _ #273 |
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Punk
is already dead
Justement,
lors du dîner pendant lequel son premier e.p sorti sur le
label de David Duriez (Brique Rouge) tournait dans nos têtes,
A Jackin Phreak avançait : "l'electro-clash
n'est pas un mouvement musical initié par des musiciens mais
par les gens de la mode." Nous ne pouvions qu'être
d'accord sur ce revival d'un certain esprit "punk" qui,
comme si l'histoire n'était qu'une boucle fermée,
se focalise plus sur l'attitude que la substance. Malcolm McLaren
n'a-t-il pas été le fossoyeur de tous ces groupes
qui cassaient leurs guitares sur la scène du CBGB ? Dj Hell
n'est-il pas un boutiquier electro qui vend son look plus que sa
musique ? Clignez des paupières. Au Ninkasi Kao, lundi,
la vérité sur cette scène des nouveaux rebelles
des années 2000 assomme : Peaches joue la vieille provocation
de la salope qui se fait goder par ses copines et qui enfonce son
micro dans sa culotte en tirant la langue. Ces acrobaties salaces
fonctionnent cinq minutes puis ennuient autant que les gros plans
des caméras de TLM sur les seins huilés de vendeuses
en Presqu'île dans Lyon Clubbimbos. "Non, cela a déjà
été fait par Nina Hagen", se navre Mathieu
Briand lorsque je suggère que quelques blaireaux, tous émus
dans leurs boxers mouillés, montent sur scène et violent
la performeuse. Le Marseillais annonce l'annulation de la troisième
party, initialement prévue le 24 avril dans le cadre de son
exposition au MAC, mais garantit une fête privée où
tout sera possible. Julien Duc-Maugé crâne : "Je
connais tout le monde ce soir et n'arrête pas de saluer les
gens" lorsque nous clignons des paupières sur ce
concert épuisant. Elle replace ses cheveux, sort une cigarette
slim et enflamme son Cartier en or massif. Mardi,
Le Passage (8, rue du Plâtre, quartier Terreaux) assois Claire
dans un bar luxueux, écrin boisé, fleurant le cuir
épais, lieu à fortes potentialités pour devenir
vital. Ma Princesse retrospecte une année d'absence et se
souvient : "Vous vouliez, à une époque, être
enlevé. Et bien, c'est ce qui m'est arrivé. J'aime
mon mari et il me surprend chaque jour." Je la revisage
comme si nous ne nous étions jamais quittés et défile
entre nous un accéléré mémorable des
sorties borderline que nous partagions tels des amants asexués.
En table Chez Carlo, elle me glisse un habituel : "Ne
voyez-vous pas que vous êtes hétérosexuel. Trouvez-vous
une femme et qu'on en finisse avec vos errances misérables
dans les bordels de la ville." Si elle avait raison. Non.
Clignez des paupières. "C'est un peu violent là",
essaie Luc afin de calmer le rythme technoïde qui monte des
convives, bras en l'air, sur les banquettes du bar. Jeudi,
Ding Dang Dong déraille un peu dans des styles musicaux pas
très raccord au centre de l'Escalier. Marie-Stéphane
Guy mime la "bitch re-gendered" alors que Super
Pénélope et Anne LS me rappellent : "Il
faut acheter le dernier The Face. Comment vas-tu faire pour frimer
lorsque ta bible ne sera plus dans les kiosques le mois prochain
? " Je pleurniche un peu sur la fin du magazine anglais,
sommet de la hype ces dernières années, et me rattraperai
sur la nouvelle formule de Sleazenation. Clignez des paupières.
Les médias ne vont pas bien, ici comme ailleurs. Z2 prétendait,
il y a peu, que l'underground et l'engagé ne rentraient plus
dans les priorités des industriels, nouveaux maîtres
de la presse et la télévision. Qu'il y avait danger
d'uniformité et d'infirmité. Il n'a pas tort lorsque
l'on lit tous ces journaux siamois et passeurs de publicités
rédigées. Pour exemple, je n'ai pas de mots assez
forts écrits pour tous ces journaleux qui affectionnent plus
leur signature que leur texte, qui préfèrent leur
petite promotion égocentrique et sociale à la prétention
de faire des choix éditoriaux fermes et les défendre
avec courage. Clignez des paupières. Entre deux versions
bleepées de New-Order qui ne dédrunkiseront
pas Patrick et Christophe Boum, Emma et Pierrick trinquent
pour fêter l'envoi à l'imprimeur du prochain Trublyon
qui s'annonce aussi "inutile" (thème de l'ovni
trimestriel), soit indispensable, que la tonsure sexy au sommet
du crâne de Marc Renau, en discussion avec Vincent Carry
et Cédric Dujardin. Du 9, rue de la Plâtière,
nous flashgordons vers La Ruche pour son dixième anniversaire.
En nage dans le champagne, Marie-Charlotte et Julien-Justin
parient sur une possible homoconversion d'un Cooki, éternel
permanent du sexe nocturne. Clignez des paupières. Du 10
à l'United Café, Catherine A. décide
d'une relâche totale : "Je ne veux pas être
digne. Laissez-moi boire." Stéphane reboutonne son
costume, mime le gentilhomme discret puis ferme les paupières.
Courts-lettrages
pour nuits vitales. Petits rappels de là où il
faudra bien vivre. Jeudi 22, l'Ambassade diluera son chic dans les
beats housy de Frankie Feliciano. Ultra-vital. Du vendredi 23 à
dimanche 25, les Subsistances expérimenteront leur
Week-end de Printemps avec manifestations pluridisciplinaires pour
visiteurs sensibles et curieux.
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MERCREDI 28 AVRIL
2004 _ #274 |
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Ses
anges gardiens
Il avance d'un pas feutré avec cette
élégance craintive qui meut l'animal fragile et beau.
Nu sous sa tête de biche empaillée en guise de cache-sexe,
Elu se donne à un centurion en échasse sur des platform
shoes. Le soldat, Régine Chopinot, se surgrandit encore
d'une chouette conservée morte dans sa position de prédatrice
immobile. Goliath-filiforme contre Bambi-candide s'éprouvent
devant la projection d'une battue de grandes bêtes dans la
savane africaine sur un écran vidéo, support à
ombrages chinois de la désarticulation des danseurs. I
Wouldn't be Seen dead in that de Steven Cohen et Elu ouvre,
vendredi, le Week-end de
Printemps des Subsistances. La représentation
broie tous les symboles de la lutte, de la domination de l'homme
sur l'homme, de l'atrocité des carnes, du comment garder
la mémoire. Les membres en conserve de doux bestiaux se greffent
au corps de "l'être supérieur", fier collectionneur
de trophées incarnés. Il y a, dans cette scène
où une femme se roule par terre afin de faire avancer une
tête de biche trop lourde pour elle, l'image de cette fourmi
besogneuse. Ce lâche insecte qui attend qu'on lui laisse des
cadavres pour les traîner comme il peut. Il y a la drôlerie
de feux follets irrespectueux qui dansent sur les tombes d'un cimetière,
une luciole électrique incrustée dans le prépuce.
La création des deux artistes sud-africains nous accroche
et balance dans notre intimité en contradiction permanente
: un penchant animalier à survivre et ne pas mourir tout
en désirant convaincre ou dominer. Extraordinaire, dense
et remuant. Clignez des paupières. Dans la cour centrale,
sous une paillote à farniente, Dj Ty Von Dickxit relaxe les
spectateurs d'une improbable chanson de Bourvil incrustée
de beats drum'n bass. Marie et David Cantéra inaugurent
leur statut de futurs parents dans une attitude du moindre effort
sur transats dépliés. Super Pénélope
flatte les prouesses commerciales de Christian vavavoum Jeulin quand
Z2 prévoit de réserver la nuit du 3 juillet prochain
qui verra défiler The Rapture, 2 Many Dj et Vitalic
dans le cadre des Nuits de Fourvière : "Faut pas
trop en parler sinon on va se faire griller nos places à
cause d'un Sold Out". Clignez des paupières dans
un Cosmo en décrochage délirant. "Il n'a pas
changé, toujours la même gueule", se soulage
Z2 devant Jack de Marseille, en mix au DV1. Pourtant, la
prestation du deejay nous fatigue : aucune histoire à raconter,
juste des enchaînements mal placés. Clignez des paupières.
à La Jungle, une ombre généreuse s'étire
sur le sol d'un recoin à baise. Un visage, réduit
à une onde claire en contour de ses traits raccourcis et
du rebondi de ses lèvres, ne regarde personne. Je me colle
à cette proie cachée. Au débouclage brouillon
de sa ceinture, l'homme me repousse avant de tomber sa tête
sur mon épaule. Il sanglote, me demande de "le serrer
fort", m'embrasse. Je le repousse en voulant fuir : je peux
être charognard mais pas avec les détressés
aigus ou inconscients perdus. Il me reconnaît. Je le connais
(pour l'avoir courtisé jadis), lui demande ce qui ne va pas.
Il ne dit rien et pleure encore. Je me tais car je ne sais que me
gêner dans le silence face aux peines qui ne sont pas les
miennes. Nous ouvrons le jour dans l'appartement, sur les draps,
à se caresser et écouter battre nos coeurs. Je ne
saurais jamais où se sourçaient ses larmes. Clignez
des paupières. Samedi,
trop de monde s'aligne devant les ateliers à spectacle des
Subsistances pour avoir la patience d'attendre. Nous entreprenons
nos propres performances en compagnie de Dj Poulet et Christelle
Kanardo Chambre : Z2 s'amuse avec les flammes d'un brasero totem
devant l'objectif de la photographe. Je pique un ballon bleu et
l'attache à mon cou afin d'être plus facilement retrouvé
dans la foule au cas où, au cas où rien du tout. Au
bar VIP, Françoise Rey rayonne comme jamais. Cooki
couve son escort girl d'un regard presque normal. Vincent Hermano
n'a plus de voix. Marie-Stéphane Guy tente de séduire
Mathurin Bolze pour me sauver du néant sexuel d'un
soir. Clignez des paupières. Rue d'Algérie, Patrick
clôture sa party. Deux invités se lovent devant une
vidéo porno. Trois autres stationnent dans la salle de bain
sonorisée et empoignent les bouteilles qui flottent dans
la glace de la baignoire. Christophe Boum, allongé
sur le lit, voudrait qu'Emmanuel B. se mette "à
quatre pattes". Primabella file à l'anglaise
"parce que c'est plus chic". Clignez des paupières.
Un homme se retient à l'angle d'une rue. Le sang qui coule
sur ses joues a déjà recouvert les plaies d'une petite
croûte dure et froide. Nous accourons vers lui, le soutenons
avant de lui proposer de l'accompagner soit à un hôpital,
soit chez lui. Overdrunky, le blessé refuse tout. Emmanuel
suggère "de le suivre à distance. Nous serons
ses anges gardiens jusqu'à ce qu'il retrouve le chemin de
son appartement". A-t-il été victime d'une agression
? d'un loupé d'ivrogne ? Il ne dit rien et avance, fier comme
un canard sans tête. Devant la porte d'un immeuble, le jeune
ivre à domicile, Emmanuel sourit et tente un saut dans mes
bras. Fermez les paupières.
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MERCREDI 05 MAI
2004 _ #275 |
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Nuits
Sonars
Le
premier happe plus de 80 000 personnes à l'aube de ses onze
ans d'âge et s'impose comme le Montreux de la House Nation.
Le second en compte un peu moins de 13 000 avant sa deuxième
édition et affiche des ambitions larges, finement inspirées
par le grand frère. Deux festivals de musique électronique
vont solliciter yeux, oreilles et corps dans les prochaines semaines :
les Nuits Sonores à Lyon (du 19 au 23 mai), et le Sonar Festival
à Barcelone (du 17 au 19 juin). Si le concept d'aligner deejays,
concerts et disciplines environnantes au mouvement house paraît
identique, presque tout sépare ces deux frères. Du
point de vue de la "géographie des sauteries annoncées",
Barcelone n'est pas Lyon (a contrario de ce que fantasme Gérard
Collomb). Quatre fois plus grosse, la capitale catalane "bénéficie"
d'atouts festifs que chacun pourra condamner et/ou adopter : le
climat à bronzettes, les pieds dans la mer, une effervescence
de création permanente et sa situation économique
et sociale (précarité plus forte qu'en France, contrôle
sanitaire minimal qui favorise tous les excès en matière
de consommation d'alcools et stupéfiants). À Lyon,
les établissements nocturnes sont verrouillés, la
législation nationale promeut son "tue-la-création"
de nouveaux lieux et la cité est majoritairement bourgeoise
et fliquée. Dans l'émergence et l'évolution
des deux manifestations, le Sonar a construit sa réputation
via un public, à forte proportion, international. à
ses débuts, peu de Barcelonais s'unissaient pendant le festival,
en partie pour une raison de "billets trop chers". Lors
des premières sessions de ce qui est devenu la Mecque mondiale
de l'electro, la langue anglaise courait sur les dancefloors. Un
effet "arroseur arrosé" a provoqué, uniquement
à partir de 2000, l'intérêt et l'adhésion
de la population locale et nationale. Pour les Nuits Sonores, le
flux coule à l'inverse : les premiers festivaliers sont des
locaux et régionaux avant, peut-être, de déborder
hors frontières. Enfin, lorsque le Sonar quitte la plage
(en 1997) pour trois lieux indépendants et uniques, le Lyonnais
calme les grincements de platines des établissements locaux
: il les ferraille dans le festival afin, certainement, de faire
taire tout le monde et de donner un bout de gras à tous.
En sus de ces considérations "techniques", s'ajoute
une différence qui fera encore mouvoir la Nomenklatura branchée
vers le Grand Sud au détriment du Rhônalpin : l'imagerie
sexy, hédoniste et déconnante construite autour de
l'événement catalan, couplée à une programmation
insolente d'avant-garde. Diego Maradona a été la mascotte
du raout-à-danser et, cette année, l'ultra mode du
"gloss" étend des beaufs dans des voitures tuning.
Ce que les organisateurs de Nuits Sonores ne désirent pas
(ou n'ont pas encore) intégré en défendant,
l'an dernier, leur communication d'un "mortel ennui" autour
d'une platine disque sur un parquet marron. En confiant son image
à Gentil Garçon, la manifestation locale gagne
en plaisirs et en aguichage. Dans sa programmation, plus cohérente
que l'enfilade de grosses pointures sans lien les unes avec les
autres lors de l'édition originelle, se nichent des artistes
plus que dansants : Château Flight, Derrick May, une soirée
ultra-vitale du label Goodlife au Transbordeur, Josh Wink,
Spinna, Jennifer, Les Clones et une armada de bonnes nouvelles.
s'ajoute au menu de Lyon, le trip "électro performance
proto punk" dont on a rien à battre tellement le mouvement
est usé jusqu'à la dernière TB 303 sortie des
usines Roland. La même indifférence au "coup"
médiatique supposé avec le concert de DAF, certes,
base fondamentale des musiques électroniques mais qui en
terme de résonances à la mouvance actuelle du revival
rave se trouve hors sujet. Ainsi, le triptyque magique (The Rapture,
2 Many Dj et surtout Vitalic) annoncé aux prochaines
Nuits de Fourvière, ramasse la mise du vrai "bon coup"
finaud et dans l'actualité. Pour Sonar, les artistes invités
s'alourdissent et perdent un peu de fraîcheur : Massive Attack,
nos maîtres François Kévorkian et Mathew Herbert,
Dj Hell, Prefuse 73 et un listing digne d'une page Bourse dans un
journal économique. Enfin, dans l'expérience prochaine
des deux manifestations, il sera intéressant d'observer comment
Barcelone gérera des sites immenses mais proches de l'asphyxie
par un trop plein de festivaliers et comment Lyon sonorisera une
Sucrière, casse-gueule à répétition
lors des précédentes soirées musicales, et
tous les lieux atypiques et vavavoum sélectionnés
(la piscine du Rhône ou l'Elac). Fermons les paupières
et dansons.
Courts-lettrages
pour nuits vitales. Petits rappels de là où il faudra bien vivre. Deux soirées
plus que vitales s'enchaîneront vendredi 7 et samedi 8 : Dj
Lordfunk, The Dynamics et Dj Sidd (du l'hypeness trio Sex In Dallas)
devraient enchanter tout danseur à l'Hang-Art (61, rue Clément-Marot,
quartier Jean-Macé). Le samedi, pour la dernière Enjoy
au Transbordeur, Technasia et Mark Moore accéléreront
les pulsions cardiomusculaires. Le dernier passage du S-Express
man au DV1 avait provoqué une telle démence sur le
dancefloor que le rendez-vous est obligatoire.
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MERCREDI 12 MAI
2004 _ #276 |
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Le
souterrain est ici
Comme chaque vendredi du mois débutant,
le collectif Dopebase décompresse avec l'apéritif
"freeday" dans son atelier en vrac de la rue Chalopin
(quartier Guillotière). Une bière bas de gamme qui
dérange la langue, Cricri nous sert un verset moral
sur l'éthique des journaleux : "Il y en a marre des
passe-droits de celles et ceux qui se permettent tout, sous couvert
de posséder une carte de presse". Je calme le jeune
homme, en pleine réussite dans le re-gendering, et appuie
la touche "Rien à faire". J'ai une telle
"estime" (pardon, "mépris") pour
le milieu médiatique local que je zappe la discussion pour
rire avec Lady Wonder et Christelle Kanardo
Chambre. La photographe promet d'inviter Z2 à l'accrochage
prochain des 100 panneaux de signalisations maquillés, détournés,
pour l'exposition Panos, en vernissage aux Nuits Sonores : "On
sera dans une bétaillère et il faudra tout cintrer
à 2m30 de haut en deux jours. On va souffrir". Clignez
des paupières. Laconque n'en finit plus dans sa reconversion
en femme responsable et investie d'une cause arty. Nous la retrouvons,
derrière une buvette de ball-trap indoor au 126 du cours
Charlemagne (quartier Confluent) aussi radieuse qu'une Carla, peste
merveilleuse. Quelques jours plus avant, cette dernière me
faisait parvenir un texte signé Lewis Carroll : "Or,
tandis qu'il lourmait de suffêches pensées, le Jabberrouoc,
l'oeil flamboyant, ruginifiant par le bois touffeté, arrivait
en barigoulant. Une, deux ! Une, deux ! Voici que, d'outre en outre,
le glaive vorpalin virevolte : flac-vlan ! Il terrasse la Bête,
et, brandissant sa tête, il s'en retourne galomphant."
Clignez des paupières. Sous le hangar frigorifique, les Croquettes
brûlent les cordes des basses sur un rock punky, ce genre
de truc musical qui se veut souterrain, revêche et "galomphant".
Nous y croyons uniquement parce qu'il y a de la sincérité
dans la mise en scène et de l'humour néo eighties
au regard de ce lapin en peluche, aux oreilles immenses et tordues
par le plafond, shootant des space invaders sur la menotte d'une
console Atari proustienne. Plus singulier sera le show-case des
Putrellas, promues par Z2 comme "le groupe qui va déchirer
dans quelques mois". Un rythme cradasse, bitchy et en bonne
mesure. Lidvine et Julien Duc Maugé regardent les
petites briques de sucre, initialement Lego-tées au sol en
forme de Twins Towers, voler au-dessus de leur tête dans une
bataille entre post-pubères assumés. Bouffés
par la faim, nous chapardons en cuisine des tartes aux pommes avant
de cligner des paupières. Au Hang Art, rue Clément-Marot
(quartier Jean-Macé), Cookie, scanner à filles en
haute motivation, décroche : "Je m'arrache".
Anne LS et David Cantéra improvisent un dancefloor
dans les toilettes dans l'espoir que le lieu se remplisse. Si The
Dynamics rament à insuffler l'hystérie dans un cadre
étrange et comparable à un Pez-Ner en version salle
des fêtes proprette, les "noceurs" recoupent de
bonnes gueules. Antoine S. m'assure : "On loue une bonne voiture
et on part un week-end à Toulouse faire la fête avec
Frédéric Michalak". Le buveur de champagne
me couvre de compliments. Je suis gêné. Je suis réconforté.
Tout le paradoxe de projeter dans ces "Nuits Mobiles"
une sincérité abrupte et prétentieuse tout
en doutant, en permanence, de l'utilité de tout ce vent dans
deux colonnes sombres. Clignez des paupières. 5h en montre,
la tête en tombe, Christelle décroche de l'impeccable
et salvateur mix de Flore au DV1, nouvelle résidence
de la petite soeur de Thias, gourou musical en sueur et pourvu d'une
gueule aussi grande que son coeur. Emmanuel B. grésille au
portable un mystérieux : "La voiture en dans l'eau :
je sors de la Saône". Clignez des paupières. Je
m'attache à l'odeur de renfermé, de poppers volatilisé
et de sperme érecté qui coupent l'air de la cave à
baise. Je détache ma ceinture et deux biberonneurs des pipas
se chamaillent ma queue jusqu'à ce que je sois fatigué
par l'automatisme d'un coup inutile. Clignez des paupières.
Samedi, Patrick se détorse
à Enjoy dans la grande salle du Transbordeur. Je suis
fatigué. Les deejays empilent leurs vinyles comme des manoeuvres
non qualifiés. Je fixe et clique Dj Djams (photo), dont la
moustache semble plus douce que la mienne, en mouvement sur le set
rave action de Technasia. Paul Haron apprend à tous ce que
signifie le voyage dansé : un sens parfait pour raconter
une histoire technoïsée et vocale, assénée
du psychédélisme nécessaire à tout bon
mental désireux de sortir les battements hors de son poitrail.
Fermez les paupières sur ce sauvetage heureux pour une soirée
sans relief.
Courts-lettrages pour nuits vitales. Petits rappels de là
où il faudra bien vivre. Jeudi 13, tapiole.com et beadoa.org
sortiront le juke-box à conneries pour un nouvel apéritif
Ding Dang Dong à l'Escalier (8, rue de la Platière,
quartier Terreaux). En plus chic et grande classe musicale, l'Ambassade
recevra Kerri Chandler pour ce qui devrait être le plan vital
de la semaine en attendant le grand saut dans les Nuits Sonores,
dès le 19 mai.
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MERCREDI 19 MAI
2004 _ #277 |
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Des
pratiques nocturnes en général et de la musique en
particulier
Jeudi, à l'Escalier en plein
apéritif Ding Dang Dong, Claudius exige "un morceau
de Donna Summer. Tu sais que Bernard Sumner de New-Order
avoue avoir calqué la rythmique de Blue Monday sur I Feel
Love". Cette révélation et la passion musicale
de l'associé d'Anne LS et Perrine Lacroix dans l'entreprise
artistique (BF15) me renvoie à un historique réfléchi
sur les pratiques nocturnes de chacun en général et
de la musique en particulier. Clignez des paupières. Beaucoup
oublient ou ne se rappellent pas assez régulièrement
que la nuit et ses coutumes ne sont pas des modes parachutées
par quelques fashionistas, ces prescripteurs de "tendances"
(une cinquantaine de personnes à travers le globe). La nuit
suit principalement les grands cycles économiques et, depuis
l'injection du sida dans le sang de nombreux clubbers, les va-et-vient
épidémiques. C'est sur ces deux socles que tout ce
qui se passe dans l'obscurité fluctue : à époque
où le fric déborde des poches, flambe et frime, à
celle où le sida massacre, abstinence et rigueur. à
celle où les sans abris se multiplient, retenue, confidences
de désoeuvrés ou rébellion. Clignez des paupières.
Il en va de même pour la musique écoutée et
dansée dans les bars et discos. Didier Lestrade, seul
journaliste ayant compris et intégré ces facteurs
influents, prétend, par excès, que le sida et les
pédés sont les "inventeurs" de la house
music. Il oublie un peu vite Margaret Thatcher et Ronald Reagan.
Que viennent faire ces deux libéraux et conservateurs dans
nos pratiques nocturnes ? l'une et l'autre ont basculé des
milliers de leurs électeurs dans le Tiers-monde industrialisé,
au premier rang desquels toutes les minorités raciales et
sexuelles. C'est sous le règne du cow-boy que parallèlement,
à Chicago et à Detroit, naquit la house music en 1983
dans ces deux villes sinistrées. Si aujourd'hui encore les
trainspotters s'étripent pour savoir qui des deux villes
est la Bethléem du divin enfant binaire, je dirais que Chicago
est la mère de tous parce que berceau des proto-house et
hip house, imbibée de disco et adoptée par les Anglais,
au détriment de la pré-techno travaillée par
Detroit, plutôt importée par un Nord-Est européen
beaucoup moins prescripteur et amplificateur qu'Albion. Là,
dans l'excroissance américaine, les clubs sont pistés
par des bobbies en t-shirt logoté du smiley jaune, emblème
des adeptes de l'acid house, et les dealers maltraités par
la Dame de fer. De cette situation, de grosses warehouse parties,
plus tard appelées raves, sont organisées (souvent
par les fourvoyeurs d'extasy au MDMA) pour prolonger la fête
après la sortie des clubs. On oublie la situation du pays
dans la défonce. Les ravers sont blacks, gays, transgenres
et punks. Le culminant de l'oubli de la ségrégation
économique par la danse se cale en 1988 avec le mythique
Summer of Love, été magistral de la propagation générale
de la musique électronique. Clignez des paupières.
Sur le Continent, en France, l'ingurgitation de cette révolution
s'abâtardira sous une forme des plus classiques : ce sont
les blancs, riches, imprégnés par la culture musicale
britannique, et hétérosexuels qui s'approprieront
vite le bébé et en feront, après un début
plus qu'enivrant, une musique d'élite, présumée
"rebelle". La french touch de Motorbass (Painsoul reste
encore l'album référence de l'électro nationale),
Air ou Etienne de Crecy sera bourgeoise mais chic et vitalisante.
Elle sera aussi la réponse à une époque à
la fois traumatisée par les ravages du sida et en sortie
de crise économique : imprégnée de disco, elle
rappelle à certains les années 1978-1982, hédonistes,
groovy, sexe facile et cocaïne à tous nez. Mais comme
on ne peut plus trop toucher, coucher, les clubs posent sur des
podiums gogo-boys, machines épilées à fantasmes,
et drag-queens, créatures à fantasmes insondables.
Branlez-vous mais ne chopez pas la mort. Les nouveaux traitements
du sida accéléreront les prises de risque, une consommation
accentuée de dope (avec une préférence pour
la coke et la kétamine), un retour à l'esprit "rave"
et une certaine violence automutilante. Aujourd'hui, la musique
hip hop est dominante car issue de la rue, prompte à connaître
tous les mécanismes de promotion et d'influence. l'électro,
trop longtemps cloisonné dans son discours "cette musique
nous appartient", a fini par se vendre sans contrôle
aux Universal, Sony et world companies qui la vendent, par réflexe
de vieux roturiers, comme du rock. La presse spécialisée
est en ruine (Coda est un mort vivant et Trax, une pute commerciale
au service des maisons de disques). En Angleterre, les gros clubs,
financiers des médias tels Mix Mag ou de Muzik
sur sa fin, se gaufrent suite à une hégémonie
trop forte de deejays-stars (Pete Tong ou Sasha). Les ventes de
vinyles se tarissent. La fin d'une histoire ou une crise de majorité ?
Je pencherais pour la seconde hypothèse : le tissu "underground"
se reforme, assume son passé au lieu de courir toujours en
avant, l'esprit originel revient. Rave is still alive. Fermez les
paupières.
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MERCREDI 26 MAI
2004 _ #278 |
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My
bodirotors in bonifactors
Sur le toit de la gare de Perrache, mercredi,
les perches des caméramen se tendent vers les premiers festivaliers
de Nuits Sonores. En contre-bas, les files de voitures butent sur
le tunnel de Fourvière telles de petites fourmis stupides.
Stupides car en surplomb des nodaux autoroutiers débute un
long week-end fabuleux de fêtes incrustables pour toujours
dans les boîtes crâniennes. Clignez des paupières.
À l'Elac, François Kanardo Verdet pong-pongue dans
tous les sens. Sophie vavavoum Descroix me bise comme je l'aime.
Patrice Béghain osculte ma boite de survie, petit
sac à main rempli de compresses, bandages stérilisés
et sparadrap blanc. Clignez des paupières. Près de
4 000 danseurs investissent la cour principale des Subsistances
et naviguent entre deux scènes en resonnance. Sous la verrière,
Carl Craig injecte en intra-musculaires des petites nouvelles musicales
gigotantes avant de lâcher la foule à Agoria que nous
laisserons rapidement. Si les réminisences musicales sentent
l'esprit de Detroit à plein corps, le Lyonnais passe de bons
disques mais sans basculer le dancefloor dans une histoire. De l'énergie
et uniquement de l'énergie. Décevant. Clignez des
paupières. Anne LS traverse le set de dDamage : "Je
suis rentrée par une porte et sortie par l'autre" et,
à l'aide de compresses réhydratantes, nous finissons
par éponger des fronts en fièvre sur le mix chic et
carré de Derrick May. Clignez des paupières. Jeudi,
tout s'enchaine avec hargne et se déchaine avec gourmandise.
La rue de l'Arbre-Sec dégouline d'amusés en sueurs
lorsque Rico bassine le tube acid de A Jackin Phreak. Patrick sautille
au côté de Jacques Haffner, en déambulation
sur une trotinette électrique. Christophe Boum se
scotche l'adhésif "You are beautiful" sur ses épaules
à croquer avant que Z2 ne parte au Rectangle. Clignez des
paupières. Dans l'espace d'exposition, le cartilage fraichement
explosé d'une voiture sur leurs têtes, des enfants
fouillent au milieu des débris cartonnés pour se remplir
les poches de bonbons multicolores. À "ce jour d'hypnose",
nous flashgordons vers le musée d'Art Contemporain pour rejoindre
Dj Poulet et tous les laborantins des collectifs Dopebase et Bee.
Les beaux gosses irradient le lieu magnifié par des vidéos
psychés et un son jungle abrasif. Christian Jeulin
mime l'accéléré d'un karaté kid. Z2
râle contre la batterie de contrôleurs TCL planqués
à quelques mêtres et qui raquettent les festivaliers
sans ticket. Clignez des paupières. Cette sensation d'une
batisse vissée sur des pilotis à ressorts secoue le
Transbordeur. Avant qu'Oxia ne ramasse la mise de l'hystérie
collective, The Hacker est responsable d'un des plus beaux dj-set
du festival : sexy, structuré et à perdre pieds. David
Cantéra est collé aux boomers. Je brandis un bouquet
de coquelicots au bar. Cyrille Bonin sourit. Le deejay grenoblois
aussi : "Je n'imaginais pas un tel public". Clignez des
paupières dans un DV1 qui ouvre un jour encore meilleur.
Vendredi, l'horizon de têtes
tournées vers les bassins de la piscine du Rhône se
chrysalide en un océan de bras en l'air hurlant son bonheur.
Les "yeppa !" s'allient à des "youli !"
pour accompagner les invités du Sonar barcelonais, Undo et
Vicknoise. Une débauche de déhanchements incontrolables
sur un mix baléare, voyageur par traverses électro-spirituelles.
Clignez des paupières. à l'extase succède la
colère noire. à la Sucrière, le défilé
de lives post-indus plantent les curieux dans un zonage de paumés
à l'affut d'un quelque chose de groovy et plaisant. Que du
mauvais pour WASP rockeux. Que de mépris, non seulement pour
les origines du mouvement electro mais également pour tous
les styles non représentés (acid-jazz, soul, hip-hop
ou speed garage). Une telle structure pour un piètre résultat
nous cloitre dans le VIP Area à ronger notre dégoût.
Lorsqu'un responsable de l'organisation s'avance en arborant fierement
un t-shirt logoté "Violaine Didier, programmatrice (de
cette fumisterie et ringardise, ndlr)", nous lui coupons les
talons d'un "l'an prochain, la salle Rameau sera idéale
pour vos trucs". Au petit matin, Anne LS tente le stop pour
un retour en ville. Je bloque une voiture : "Vous pourriez
nous ramener aux Terreaux ?" demande-je à un de
ses passagers. "Tu as des stups, du shit sur toi ? Non ?
Beh, on ne t'emmène pas" répond un flic de
la BAC. Clignez des paupières. Samedi,
à la piscine du Rhône et face à un état
de fatigue voyant, Patrice Béghain croit apercevoir, dans
mon allure, "le saint François de Zurbaran exposé
au palais Saint-Pierre". La redynamique du Sonar Club nous
expédie dans une danse aérienne où Perrine
Lacroix, Emmanuel B et Claudius chorégraphient une house
tarée. Clignez des paupières. De retour à la
Sucrière, nous tombons dans le body-rotor infligé
par Chateau Flight et l'extraordinaire mix de Josh Wink qui
me fait hurler : "Il va me tuer". Nous chutons
à la pointe du Confluent, aux Siestes Sonores, sur des transats
ventés. Je m'endors, cligne des paupières pour les
réouvrir à La Tour Rose, dimanche,
dans un final dépravé soumis à un trop plein
de champagne. Super Pénélope en fixette sur
les vidéos de L'électrographe, Philippe Chavent sautillant,
Catherine A. hors-dignité et les djs K&K qui essorent
nos derniers soupirs de bienheureux. Fermez les paupières
lorsque Vincent Carry m'embrasse deux fois, "une
deuxième, parce que j'ai l'impression que la première
ne t'a pas touché."
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MERCREDI 02 JUIN
2004 _ #279 |
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Se
faire le Bel dément
"Tonight / tonight / the world is
full of light / with suns and moons all over the place",
grandiloquent Maria et Tony en fond sonore. Le public de la Maison
de la Danse, plongé dans l'obscurité pendant toute
la durée de cet hymne mièvre et merveilleux, commet
ces "chutt !" habituels qui imposent, à
tous, le silence, l'obligé respectueux d'un levé rideau
oecuménique. Or, mercredi,
rien ne se passe comme le bon consommant culturel l'attend. Sur
scène, rien. Autour, tout. Jérôme Bel place
sa troupe sous les projecteurs de la non-chorégraphie, des
danseurs qui vous matent habilement sans bouger et s'amusent de
votre embarras devant le soit-voyant vide artistique. Alors, certains
râlent pendant que la plupart glisse savoureusement vers l'action,
la prise en corps de leur propre chorégraphie : nous dansons,
sifflons, chantons, allumons des briquets et finissons par crier
notre admiration dans une standing ovation évidente. Aux
performances verbeuses et inabouties que l'on subit presque toujours,
le chorégraphe travaille la provocation (bustée au
millimètre près et surlignée par des tubes
populaires) et nous interroge en multicouches : Que faisons-nous
face au vide ? En a-t-on peur ? Comment le remplir ? Quel rapport
entretenons-nous à une création artistique ? Plus
légère, la culture pop mérite-t-elle le mépris
des "cultureux" ? Clignez des paupières avec une
pensée à tous ceux qui n'auront pas expérimenté
cette machine impressionnante d'intelligence. "Qui ne dit
mot consent à la chair/comme ces couverts offerts dans les
stations Shell/Et plus je les caresse et plus je me dis que/tu es
comme beaucoup de messieurs", swinguent Valérie
Lemercier et The Divine Comedy. Jeudi,
la ritournelle pluggée par Julien-Justin sur l'I-mac
couvre les tablées d'apériteurs au Ding Dang Dong
de l'Escalier (8, rue de la Platière, quartier Terreaux).
Le comptoir reçoit les coudées rigolantes de visiteurs
bavards, de Michel Essertier en pleine fraîcheur et
que la nightlife locale ne voit plus guère a contrario de
Dj 'Superstar' Poulet et Vincent Carry en décompression
post Nuits Sonores. Le coordinateur général du festival
pique, provoque un "faites gaffe à ne pas trop institutionnaliser
cet apéritif", lorsque Patrice Béghain
s'assoie tel un gamin timoré devant des enceintes crachant
un son métallique pourri. Anne LS, toujours sous le choc
du Show Must Go On offert par Jérôme Bel, dresse la
charte officielle de la "youli-attitude" : "Nous
pourrons décliner le qualificatif en et éditer
des badges imprimés et afin de distinguer
les vrais amusants des ennuyeux". Clignez des paupières.
Ce soir, les premiers primés seront Perrine Lacroix
et Claudius. Ce dernier prend en main la programmation musicale
du bar et impose quelques tubes housy à un Luc excédé
par tant de fracas. Au Get Real acidifié de Paul Rutherford,
le fan du groovy se souvient : "C'était le mec des
Frankie Goes to Hollywood qui se déhanchait en version SM".
Lorsque Le Petit Poucet fluorise le portable pour nous rejoindre,
Z2 est déjà en partance pour la Sucrière. Clignez
des paupières. Une vidéo sur grand écran amorce
un zapping sur la légende du hip hop attendu. Grandmaster
Flash, icône old school, entreprend une passe-passe party
médiocre et laissant l'impression du seigneur fatigué
assis sur son coffre-fort. Peu importe, Nicolas Stifter s'épuise
dans un upliftin énergique sur une série de morceaux
noirs par Michael Jackson. Jean-Pierre Bouchard me recharge
contre l'idée de faire un bus itinérant lors de la
prochaine Fête de la musique. Je le provoque sans méchanceté
d'un : "Tu préfères un groupe de vieux rock sur
une place de quartier ?" Mariska et Antoine S. stationnent
au bar. "Tu te souviens de nos quatorze ans et des émissions
de Sidney sur TF1 ? ", questionne Antoine. Trop bien. Je
smurfais comme une anguille dans des boums d'ados à la Duchère.
Aujourd'hui, je suis grippé. Mes seuls efforts physiques
sont la danse et la baise. Clignez des paupières. à
La Jungle, je m'étale sur un canapé. La télévision
écarte des gros plans sur un sodomisé hurleur. Un
serial fucker, assis sur l'accoudoir, me masse la queue.
Et la machinerie repart. Fermez les paupières.
Courts-lettrages
pour nuits vitales. Petits rappels de là où il
faudra bien vivre. Vendredi 4, les "scratch papiers" bousculeront
La Chapelle pour le premier anniversaire de leur Trublyon. Samedi
5, l'Opéra de Lyon débordera de son coeur noir endômé
pour s'étendre sur la place de la Comédie et la cour
de l'hôtel de ville : concerts, ateliers, performances et
braderie placeront l'institution dans un grand foutoir ultra-vital.
l'an dernier, il faisait disjoncter la Villa Gillet avec Frigos,
son adaptation perso et mémorable de Copi. Pour les Intranquilles,
et dans le même lieu, du 7 au 10 juin, Gilles Pastor vantera
un coming out dans Fermez vos yeux Monsieur Pastor. Au petit delirium
intergalactique, introduction de cette pièce, présenté
lors de la réouverture des Subsistances, autant réserver
tout de suite au 04 78 20 02 48.
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MERCREDI 09 JUIN
2004 _ #280 |
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Ça va beaucoup trop loin
À plat ventre sur le lit, les battants
de la fenêtre qui jouent aux castagnettes avec les courants
d'air, je relève ma sale gueule de l'époque. Je dois
me reposer, manger à des heures fixes, profiter du soleil
qui arrive et du temps qui compte sans m'attendre. Je fume trop.
Je bois trop. Je ne dors pas clair. Mes os sortent de la chair.
En ce moment, je ne supporte plus ce corps éprouvé.
Je vis dans les joies de cet obscur dont les ombres curieuses tendent
à s'effacer devant mon goinfrage de sorties. Bien décidé
à souffler et vivre sain. Clignez des paupières. Mais
la faiblesse me cabre et, mercredi,
Samuel m'invite pour un souper en terrasse de la Table d'Hippolyte.
Notre discussion privée se travestit en une assemblée
de crocheteurs prompts à nous faire pétiller les yeux
: Patrice Armengau n'a pas le temps de me convier à
pousser de la voix cendreuse dans l'amphithéâtre de
l'Opéra que Nassaboy scelle un futur duo d'interprètes
dans une trinque emballée avec Mister Chocolate, ragaillardi
par ses multishots dans le bordel d'à côté.
Florent surveille les échauffés en table, promet de
venir voir l'affaire chantante et cligne des paupières. "C'est
à Lyon et dans la région que tout se passe. Pas à
Paris", continue Cyrille Bonin au milieu de l'autoroute
tracée jusqu'à Grenoble. Je me rappelle mes premières
rencontres avec le music-dealer (le plus raffiné des professionnels
de l'électro local), cette époque où il fourvoyait
les premiers Underworld reçus à Indépendance
Records et où j'étais un trainspotter gourmand. Au
Vertigo, assise les genoux en ventouse comme une première
communiante, Miss Kittin touche en plein coeur : "C'est
parce que tu as été trainspotter que tu apprécies
la musique par l'amusement aujourd'hui." En cercle clos
et squatteur d'un carré de canapés rouges, le team
Goodlife descend les bouteilles et supervise un club furieux et
peuplé de kids en essorage sur un mix calibré "rave-action"
de l'icône mondiale, la petite fille "from Grenoble".
Clignez des paupières. Cyrille s'amuse de la mèche
new-wave bien peignée de The Hacker. Alexandre Reynaud
me promet l'envoi d'un cliché sur lequel "tu vois Adrien
et Pacadis, ronds faits". Le dancefloor continue de hurler
et me rétine dans une atmosphère proche de celle d'un
An-fer dijonnais : basic clubbers, sans frime, venant se défoncer
par la musique dans une disco sans autre prétention que de
donner du plaisir qualitatif. Clignez des paupières. Vendredi,
nous forçons le portail de La Chapelle pour l'anniversaire
de Trublyon. Un pichet de whisky-coke à la bouche, Ty Von
Dickxit râle : "Ils m'ont enfermé dans la cabine
du dj sans une goutte d'alcool et me regardaient comme une bête."
La suite ne s'amorce pas mieux. Si le lieu est paradisiaque, le
service et la direction du club miment l'attitude des bouseux branchés,
soit un simulacre de ces bars pour pigeons du quartier Bastille
où on vous fait comprendre qu'il vous faut déjà
être heureux d'avoir été accepté en ce
lieu "trop à la mode". Pour oubli, nous nous défoulons
sur ce pauvre blaireau qui jadis organisait des soirées hip
hop au Fish, puis électro dans un hangar communiste, puisS
on ne sait plus. Z2 swingue sous la terrasse, armé d'une
pancarte publicitaire dénoyautée du visage de son
modèle lisse. Nous effectuons une série de photojets
où Helena Roche passera une demi-tête dans le
cadre à pose, Marin tentera de loucher et Pierrick trompera
l'oeil. Clignez les paupières sur des borderliners chauds
mais placés dans un lieu à fuir. Après une
journée de répétition, nous participons, samedi,
à l'atelier lyrique organisé par l'Opéra dans
le cadre de sa journée porte ouverte et vavavoum. Nassaboy
s'empare du micro et, accompagnés par une pianiste, nous
postulons au prix d'interprétation du plus tocard des "black
trombones" à faire sortir Gainsbourg de sa tombe. Si
cela pouvait être possible, nous aurions chanté faux.
Clignez des paupières. Dans la cour de l'hôtel de ville,
"ça va beaucoup trop loin." La braderie des costumes
de la maison d'en face donne lieu à une série d'essayages
qui provoquera l'hilarité d'Anne LS et Super Pénélope.
Nous enfilerons un montage de tenues loufoques qui décoincera
tous les chiffonniers d'un jour venus faire des affaires. Guillaume
Tanhia se travelotera en lépreuse de Ben-Hur dans une
toge à capuche en satin vert. Catherine A. jouera
la retenue dans une robe stylée Chantal Thomas. Serge Dorny
attendra "qu'il n'y ait plus personne pour essayer le string
léopard". Marie-Stéphane Guy revisitera
l'imagerie de La petite maison dans la prairie. Et d'autres
commettront le pire, l'indescriptible. Fermez les paupières
sur un après-midi mémorable et magique.
Courts-lettrages
pour nuits vitales. Petits rappels de là où il
faudra bien vivre. Jeudi 10, Ding Dang Dong se paiera une place
au soleil de L'Escalier (8, rue de la Platière, quartier
Terreaux). Samedi 12, Clash, meilleure soirée lyonnaise,
reviendra au DV1 faire du bien aux club-kids. Vital.
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INSTINCT NOCTURNE
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Écrit
par Baptiste Jacquet |
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire
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