INSTINCT NOCTURNE

Écrit par Baptiste Jacquet
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire

 
MERCREDI 21 MAI 2003 _ #227
 

Un territoire de certitudes (Part 1)

Elle me disait, il y a déjà plusieurs années, qu'elle écrirait un livre sur sa vie. "Parce que tout ce que l'on a vécu comme histoires et drames familiaux", devait pouvoir aisément s'imprimer dans un gros pavé autobiographique. Elle se croyait peut-être hors du commun ou persuadée que notre vie de sur et frère bousculée par un père alcoolique, suicidé au bout d'une corde, et par une mère malade, crashée le long d'une route, ferait un bon sujet de bouquin pour ménagères en soif du malheur des autres. Clignez des paupières. À Boston, le soleil est frais et des flics, déguisés en cow-boys, taxent les monstres montés sur quatre roues qui ont le malheur de stationner plus de trois minutes à la sortie de Logan Airport. Ma famille américaine stoppe le Dodge surdimensionné et nous attrape pour un voyage d'une heure vers le nord de la Nouvelle Angleterre. À travers les vitres fumées du van, le long de la highway, se dresse un mont de gratte-ciel en verre gris, posé sur de petits immeubles en briques rouges. Clignez des paupières. Voilà onze ans que je n'avais pas traversé l'Atlantique pour le sol yankee et repartagé cet american way of life peu représentatif de ce que doit être la vie d'un modeste américain. À Portland, Maine, ne se mélangent pas les WASP friqués et tous les petits fermiers, pêcheurs de homards ou employés d'un jour dans une grande surface suburbaine. Les gros porteurs de dollars y louent, à prix indécents, un bout de campagne léchant l'océan pour des vacances au calme ou y achètent leur quotidien de citoyen modèle. Clignez des paupières. Ma soeur bloque le monospace devant le double garage. Derrière la porte électrique, une grosse Ford lustrée joue la belle avec son parfum "intérieur cuir". À droite, un 4x4 pick-up (sous testostérone) tracte un bateau en attente de quai sur le lac privé en face du jardin. "Je n'habite pas le development le plus riche du Maine", prévient Ma soeur après nous avoir fait visiter sa "cabane" ne comprenant que trois salles de bain pour quatre chambres. Un dévelopment est ici une sorte de lotissement communautaire privé pour gens d'un même rang. Celui où je passe ces 15 jours a la particularité de border un lac dont le rivage est acheté par les riverains. Nous visiterons "Woodland", block voisin, qui, comme le nôtre, aligne au moins trois voitures devant le garage (toujours le gros van, le pick-up et un bolide du genre Volvo, Mercedes cabriolet, Corvette ou Audi puissante) et d'une immense demeure. L'ensemble se noie dans un terrain géant de golf et se recentre autour d'un complexe restaurant piscine et terrains de tennis. "En plus de leur maison à plus de 2 millions de dollars, chaque propriétaire doit payer un loyer annuel pour tout ça", résume mon beau-frère. Clignez des paupières. Vais-je pouvoir supporter cette immersion chez des Américains dont les yeux ne sont plus que des petites vignettes de machine à sous sur lesquelles il n'y aurait d'imprimés que des dollars toujours gagnants et dont la bonne morale fait son rappel dominical dans une église ? Certainement, oui. D'une part parce que je m'éloigne de mon quotidien d'homme nocturne excessif et qu'ici tout est calme, verdure et normalité en poutre apparente (donc suspect). D'autre part parce que ma soeur est le seul lien de sang direct qu'il me reste et m'enracine encore dans une histoire familiale, dans mon histoire, alors que tout semble nous séparer. Elle ponctionne les billets verts et je suis toujours sur la paille jaune. Elle épouse mari et enfants et je me tape des serial fuckers à tour de queue. Elle se projette dans l'avenir avec assurance et je ne connais qu'à peine mon présent. Elle partage des certitudes et a adopté ce penchant naturel et typiquement américain du "j'ai raison". Je suis incertain de façon joyeusement stable. Après 20 ans d'éducation commune, nos natures respectives nous ont fait différents. Cependant, nous nous comprenons toujours. Du moins, je veux le croire pour ma survie "familiale". Clignez des paupières. Mercredi, nous déjeunons à Cumberland Club. Au sein de cette vielle bâtisse victorienne, se déroule une moquette épaisse et sourde pour riches membres du club qui prennent place, pour les plus honorables (les plus compte-en-banqués et garnis de cheveux blancs), dans la "Présidential Room". Là, un serveur noir court entre chaque table pour servir vins et cafés. De solides cuisiniers froissent leur pantalon en damier et portent des plateaux d'argent dégoulinant de crevettes, homards, légumes en vapeur et viandes rouges rôties. La salle ronde nous engosse dans un autre temps, dans une tradition de bienséance à l'anglaise. Fermez des paupières lors d'une balade le long du port où les vagues de l'océan nous crachent à la gueule un froid digestif et vigoureux. Demain, nous serons à Kennebunk puis Boston.

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MERCREDI 28 MAI 2003 _ #228
 

Un territoire de certitudes (Part 2)

De ma chambre, les fenêtres à glissières s'ouvrent sur une lumière grise ondulant sur le bleu noir du lac. Le jour se lève. Le chien et les deux chats s'allongent sur ma couette et m'ouvrent les yeux. Chaque matin, ce même et doux rituel fait renaître l'enfance campagnarde dans laquelle ma soeur et moi avons été élevés. Clignez des paupières. Mardi, nous longeons la côte vers le sud du Maine pour une promenade à Kennebunk. Le rivage de falaises feuilletées et battues par des vagues apaisées trace une longue et belle sauvagerie océanique. Plus loin, à Kennebunk Port, un parking improvisé le long de la route fait descendre les curieux sur la chaussée. En face, une péninsule brandit les drapeaux américain et texan. "C'est ici que la famille Bush vient passer ses vacances", claironne Tom, bon "républicain" aveugle, en pointant du doigt un gros pavé de bois serti de vidéosurveillance et d'agents du FBI. Clignez des paupières. Pour tout américain bien droit, qui respecte sa patrie et adore Dieu, George W. Bush n'est pas le demeuré que l'on décrit en Europe mais l'homme le plus proche du Père protecteur, de la seconde main divine. Ainsi, à l'arrière de nombreuses voitures s'autocollent des "Thanks God, I Voted Bush", ou plus couramment "God Bless America" et "Proud to be American". Sur les écrans TV ou dans les discussions de supermarché, le 11 septembre 2001 semble dater d'hier. L'Américain blanc et riche a peur pour sa famille. Un mal qui viendrait de l'intérieur et, depuis les Twins, de l'extérieur. De l'intérieur par crainte des déséquilibrés armés qui jouent les Rambo incontrôlables dans les lieux publics, des pédophiles, de la drogue, du tabac qui cancérise le corps ou des ados qui conduisent drunky. De l'extérieur par cette obsession des terroristes apparentés à Al Qaeda. Ce délire sécuritaire s'inscrit en bas des écrans de télévisions d'un picto de couleur orange dès mercredi : il prévient le lazy boy d'un "haut risque" d'attentat à l'approche du Mémorial Day. Il y a une semaine, tous les médias faisaient leurs Unes sur les "Terror Drills", simulations en réel d'attentats à la bombe sale ou humaine. Comme en France, les gouvernants US semblent jouer avec la peur de la population afin de s'assurer un bilan politique électoralement payant. La peur sous Sarkozy vient de l'intérieur. La peur sous Rumsfeld vient de toute part et donne l'impression d'un pays sans frontière, sans barrières de sécurité. Je comprends mieux pourquoi, outre-Atlantique, la guerre en Irak, "c'est rendre la liberté aux Irakiens opprimés par Saddam". Il y a, dans cette entreprise militaro-industrielle, une forme de conjuration du mal du pays : donner à l'Autre des frontières et une liberté. Ce ressassage autour du 11 septembre et mon quotidien yankee m'ont poussé à revisualiser l'image de la chute des tours. Deux avions dans deux tours ou comment les deux mamelles de la société américaine s'entretuent : la Liberté (l'avion) encastré dans l'Argent (les hauts buildings commerciaux). Clignez des paupières. Six caissons en vert transparent, d'une dizaine de mètres, se succèdent en pleine rue. Chacun d'entre eux témoigne de l'holocauste par un texte de rescapés des camps. À l'intérieur, sous nos pieds, une grille de fer laisse échapper de la vapeur d'un carré brillant de petites diodes incandescentes. Jeudi, Boston est pluvieuse et nous traversons ce monument mémoire avant de plonger dans une ville où tout est contraste excessif. Le Ritz-Carlton fait défiler ses limousines pressées dans une machine à spaghetti. Des homeless squattent le parvis d'une église. Des secrétaires quittent leurs running shoes pour de petits mocassins à l'entrée d'un building à nous donner le torticolis. On mange dans les rues. On fume en cachette. Au 50e étage de la Prudential Tower, la ville étale ses quartiers pour riches, moins riches, ses suburbias, le MIT et le campus d'Harvard. Perchés au sommet du pic, nous suivons les lignes de voitures miniatures qui s'engouffrent dans une fourmilière de béton et ces petits piétons en points noirs qui s'agitent sur les trottoirs. Clignez des paupières. Cela fait plus de dix jours que je n'ai pas baisé. Rien ne me manque. Cette petite société de bonnes manières m'intrigue par toutes les contradictions qui la font vivre : enfantine, capricieuse, respectueuse de règles à la limite du liberticide, bouffée par l'argent ou déboussolée par son identité (sa puissance ?) perdue. "J'ai une maison de 450 000 dollars, un compte en banque de 2 millions de dollars, deux beaux enfants qui iront certainement à Columbia ou Harvard. Peut-être pas. Peut-être qu'un jour, nous n'aurons plus rien", sourit ma soeur dans son territoire de certitudes. À Logan Airport, nous quittons nos chaussures pour un contrôle d'avant embarquement en direction de la vieille Europe et fermons les paupières dans un nuage infini.

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MERCREDI 04 JUIN 2003 _ #229
 

We want more Nuits sonores

En moins de trois valses, mardi, la place ouverte sur le théâtre de la Croix-Rousse se couvre d'une foule compacte et mélangeuse de publics. Les familles lâchent les enfants sautiller devant l'orchestre. Les cultureux se naturalisent en gens calmes et détendus. Les branchés s'amabilisent tout en grinçant parfois des dents : "L'orchestre déconne un peu avec ses reprises de Pascal Obispo". Clignez des paupières. Sous le hall d'accueil du théâtre, Laconque et Mathieu swinguent sur Goûte mes frites de Valérie Lemercier. Philippe Faure, perpétuel intranquille, se réjouit de cette belle fête lorsque je clôture ma prestation décontractée de no-dj par un "My heart belongs to Daddy". En faux admirateur et accompagné par Nathalie Veuillet et Wilfrid Haberey, Patrice Béghain ose un mensonge : "Vous avez été parfait". Presque. Clignez des paupières. Le soleil descend sur le thorax bétonné de la piscine du Rhône et laisse un emballage de lumière bleue rayonner sur la terrasse. L'apéritif inaugural des Nuits sonores entame les énergies et invite le milieu politico-médiatique, tous les acteurs de la nightlife et dealers de musiques à s'échauffer les mollets en vue d'un endurant week-end. Kanardo Family attire le torse de Julien Micro. P pour y greffer les séries limitées de leurs badges pictographiés. Philippe Moncorgé affirme ne pas être un mauvais garçon. Z2 se décoiffe de son casque blanc de motard afin de relooker Jean-Olivier Arfeuillière en héros de la série Chips. "Effectivement, il ne te manque plus que la moto avec les sacoches", confirmera Mon Épouse. Sophie vavavoum Descroix promet : "Je pense que ce festival va fonctionner". Tout juste. Dès 23 heures, au Transbordeur, Patrice Béghain, tout timoré par tant de monde en furie, et Laconque trinquent sous les assauts techno de la parfaite Monika Kruse. Kids-clubbers sous X et vieux vétérans de la nuit secouent leurs corps tels des métronomes désaxés. Clignez des paupières. Jeudi, St Paul renverse une acid house bienvenue sur les peaux pré-bronzées d'agités en trance dans la rue de l'Arbre-Sec. "Fabuleux !" ou "Terrible !" témoignent en masse fêtards débutants et confirmés. Après cette "ambiance sympathique quoique un peu fête de la bière", selon Lady Wonder, c'est au MAC, que les plus beautiful people du festival se réunissent pour l'un des instants les plus agréables de Nuits sonores. En terrasse paisible à deux pas du parc, Roussia liquide sa bière et nous apprend "qu'à Paris, mis à part au Pulp où chaque jeudi soir est une folie, c'est la crise dans le milieu. Je vais donc mixer à l'étranger : Brésil, Allemagne, Japon" La belle attaque un dj-set latino mâtiné de rock et Z2, en zigzag groovy, calera sur un "On voit qu'elle part au Brésil : Là, elle répète". Clignez des paupières sur une house salace d'Alex Kid à L'Ambassade, club boursouflé par un trop plein de danseurs. Un bruit industriel fissure la Sucrière, vendredi. Pan Sonic ouvre le bal expérimental et rend les 1 500 personnes présentes sceptiques. Pourtant, ce seront, avec Alec Empire, les seuls vraies bizzareries emballantes de la soirée : lorsque ce n'est pas Jimi Tenor qui ennuie avec un live d'une préciosité indigeste, c'est les oursons de Teamtendo qui crée l'hémorragie d'une partie du public, bien inspiré par ce mauvais trip electro. David Cantéra et son papa s'éclipsent alors que Cyrille de la maison Kubik me remémore l'époque où les villes, où "les fêtes sont moins clean et plus dans l'esprit du on-se-met-la-tête-à-l'envers". Clignez des paupières. Entre petites lolitas qui ont laissé leur discothèque de campagne, gays bodybuildés, rescapés des fêtes trance à Gaïa ou petits bourgeois en Ralph Lauren, Dj Arnie lève les bras vers les armatures métalliques de la Halle Tony Garnier et tourne un doigt demandeur sur le mix de Felix Da Housecat. Samedi, tout le monde est de sortie et se mélange sans gêne, sans barrière sociale, sans frime. Juste pour danser. Juste 5 000 fêtards qui se rassemblent. Du presque jamais vu à Lyon et qui rend la soirée exceptionnelle et mémorable. Clignez des paupières. En fin de piste, cette première édition des Nuits sonores est un véritable succès : une organisation parfaite (pas ou peu d'incidents, aucun délire sécuritaire et de surveillance exagérée des festivaliers, très peu d'artistes annulés) et une forte fréquentation sur tous bars et sites accueillants. Malgré sa programmation de qualité qui s'est révélée médiocre à l'usage (aucun artiste n'est sorti du lot comme LA révélation évidente ou LA tuerie-où-il-fallait-danser) et en rappel du manque d'âme évident véhiculé par sa communication visuelle, demeurera le vital : un "We want more Nuits sonores", unanime et preuve de l'existence d'un public fortement demandeur de fêtes electro sur la région. La mairie, gros financier de l'événement, peut claironner son heureuse initiative. Elle pourra aussi se demander si son mutisme face aux fermetures des clubs par la préfecture ne vient pas d'entrer en contradiction avec l'air festif qu'elle vient de gagner ce week-end. Pour montrer qu'elle veut défendre durablement la fête et pas uniquement quatre jours par an. Fermez les paupières.

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MERCREDI 11 JUIN 2003 _ #230
 

La machination chercheuse

"Parfois, je suis chêne. Parfois, je suis roseau" résonne une voix suave et grave dans mon oreille gauche, lundi, au 10. Monique fête son anniversaire entourée de Philippe Chavent, ses proches amis et de pimpos en huile sous leurs mini-shorts. Les bulles de champagne en invasion joyeuse dans nos sangs, la référence aux arbres de La Fontaine s'imprime sur l'écran vitreux et flou de mes pensées : le chêne se tient fier et rigide au côté d'un roseau fin et souple. A la première tempête, le chêne cède et déchire ses nervures vitales alors que le roseau se courbe puis se redresser. Ultra-réalisme d'une de ces soirée où les egos se superposent et amplifient la puissance précaire de personnalités sans importances. J'aime cette terre avec cynisme et m'y plante en roseau qui résiste au vent fort, en chêne qui campe son image de solide enraciné. Voilà, la contrainte du milieu des "pipoul" locaux : être dur pour ne pas se faire coucher tout en étant tendre pour encore partager de l'humanité. Clignez des paupières dans les ondes superphoniques de Music For The Airports de Brian Eno. Mercredi, toujours au 10, Freaks fait défiler la crème du journalisme et de la communication pour une nouvelle fête "no-djs" sonorisée par Kévin et Cruz Poutre. Nathalie Cayuela, Isabelle Dejeux, Robert Marmoz, Serge Tonioni, Jacques Core, Frédéric Poignard, Vincent Carry, Michel Cavalca ou Sébastien Érome défilent sous des rythmiques bâtardes et intranquilles. Marie-Charlotte entame un posing, debout sur le comptoir, sous le regard de Philippe je suis un gentil garçon Moncorgé. Super Pénélope sort rayonnante de l'after du vernissage des indispensables expos de Marc Gossian et Wim Delvoye accrochée au MAC. Christian nous annonce l'ouverture pour la Gay Pride lyonnaise de La Chapelle, nouveau club estampillé "gay-friendly" dans un parc verduré de 4000 m2 au 60, montée de Choulans : "Les travaux seront finis le 14 juin et nous organiserons la soirée d'inauguration un peu plus tard avec Monsieur le Maire en invité d'honneur" avance-t-il. Mathieu saigne du nez et accuse Julien Micro P. de l'avoir buté. Guillaume charge Ours Fort pour son penchant millioniste, soi-disant stratégique. Patrice Béghain et Guy Walter prétendent que leur participation conjointe à une Freaks où "nous passerions du Schubert et du Bach" serait une soirée mémorable et dansante. Une jeune fille me félicite pour ma sélection musicale et me suspecte d'un "tu t"en fous de ce que je te dis". Non, je ne sais pas rebondir sur un compliment. Un compliment me fait naturellement taire. Mon Épouse cligne des paupières sur une soirée modeste. Caroline Alt s'accroche à mon cou et descend ses coupes de champagne à l'United Café (prononcez "luk" pour les initiés involontaires) pendant qu'un serial fucker pratique des suçions aveuglantes sur un homme assis au comptoir. Maxime, brun et délicieux poilu, se fait venter par Laconque puis s'achève, las, sur un "les filles sont trop incompréhensibles et compliquées". Le belhomme drunky se laisse masturber tout en partageant : "Tu cherches à être amoureux? Ce n'est pourtant pas en cherchant que tu trouves". Il y a une machination chercheuse dans laquelle on plonge coeur baissé : transiter d'un "one shot" sexué et impulsif de la séduction animalière à la quête infructueuse et structurée du désir amoureux qui dynamise. Clignez des paupières. Jeudi, Jazz à Vienne s'annonce aux Subsistances. Les conférences de presse ne doivent exciter que le publireporter, présumé journaliste, et regroupe un monde de platitude. Nassaboy réussit à nous faire rire avec l'histoire d'un éléphant gay décédé dans un zoo danois. Sophie 'vavavoum' Descroix me fait cligner des paupières sur un baiser neutre mais valeureux. Catherine A. glisse sur la piste et me bute dans sa chute contre le miroir du Medley. Vendredi, Guillaume tient son rôle de friend angel auprès de la borderline incontrôlable et trinque avec Jean Flachet dans le club kitch de la rue Childebert. Clignez des paupières. "Fuck me ! Asshole ! Please, come on, fuck me !" se tord sur son lit d'hotel, un irlandais ramassé à la Jungle, dimanche matin. Nous baisons avant de rejoindre Super Pénélope à l'anniversaire de Carla et Z2 sur les terrasses suspendues de la maison de Rico. Anne annonce son départ pour Sonar et relance mon envie de gagner Barcelone pour danser sur Herbert, Blackstrobe, Playgroup, The Soft Pink Truth ou déranger mon cerveau lors la soirée universelle et ultra-select qui soufflera le dixième anniversaire du plus beau festival mondial de l'electro. Je suis fauché et devrai rester à Lyon pour ronger ce regret. Fermez les paupières après un dîner champêtre sur la terrasse des Pieds Dans l'Eau.

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MERCREDI 18 JUIN 2003 _ #231 _ SONAR EDITION
 

We're lost in music

Un vieil homme en costume strict s'est fait arracher les yeux. Clignez des paupières. Jeudi, cet aveuglant visuel, illustration générique du dixième Sonar Festival, nous balance tête baissée dans la canicule barcelonaise pour le rendez-vous global et vital des musiques électroniques. Xavier Guétat me guide dans le quartier Gracia et nous engloutissons tapas sous bière au kilomètre. Clignez des paupières. Sous le Mercat de les flors, deux écrans vidéos longilignes déroulent les images des anciennes éditions de la Mecque mondiale de l'électro. La soirée anniversaire de Sonar invite les badgés (artistes, professionnels et journalistes) à une fête privée au coeur de cette ancienne halle à fleurs. Ce site post-industriel se boursouffle d'une coursive circulaire pilonnée par de monumentales colonnes néo-classiques. Un escalier colimaçonne les beautiful people vers l'étage cosy. Mes jambes perdent contrôle dès le mix "old school" de Jeff Mills : une entrée hypnotisante dans mon passé émotionnel par un mélange de classics et d'early house. Cyrille Bonin de Kubik sort son appareil photo et nous montre les premiers clichés pris sur le salon professionnel qui amène le dealer de disques lyonnais au festival. "L'idée est de montrer son cul sur la photo aux nez des festivaliers" trinque Cyrille. A 4h, une lumière de fin ravage nos têtes dérangées. Après des cris de capricieux insomniaques, Jeff Mills et Laurent Garnier ping-ponguent pour un dernier mouvement de rotules. Clignez des paupières. Trois créatures italiennes se poussent à l'arrière d'un taxi et je me jette à l'avant. Elle ne veulent plus dormir et s'amusent de leur poudre aux pupilles. Place Catalunya, devant le City Hall, une étudiante française fait une poussée de frime et peste : "Ils m'ont refusé l'entrée. Là, je vais appeler un des responsables du club. Je veux qu'il vire ses portiers". Clignez des paupières au Martini's, club gay tragique où une grosse dame cacao frotte ses seins sur ma boucle de ceinture. Vendredi, plus de 10 000 party people bronzent dans la cour principale du Musée d'Art Contemporain (MACBA) et se roulent dans l'herbe synthétique sur les rythmiques hip-hopantes de 2D2. D'autres font voler les chaises longues et des ballons bleues lorsque Miss Kittin transforme son dancefloor en fourneau thermomètré à plus de 40 degrés. La grenobloise devient une bête de foire et les bras ne se lèvent plus pour danser mais pour arriver à caler un écran LCD sur une image nette de l'égérie de la branchitude mondiale. Clignez des paupières. Vincent Carry regrette "les mauvaises conditions d'accueil de ce festival : Il y a trop de monde et le service ne suit pas". Le boss des Nuits Sonores pointe ainsi une des vraies problématiques de cette édition : 100 000 furieux sur trois journées dans des lieux prêts à exploser. Cependant, Sonar réussit à mélanger un esprit de fête unique et une programmation toujours d'avant-garde et captivante. Lorsque Barcelone joue la dérision, le fun et le décalage avec une communication pointue, Lyon avance du sérieux et respectable. Lorsque l'expérimentation à la Sucrière titille l'actualité proclamée de l'electroclash et des sonorités nordiques, les catalans cherchent le futur dans une mouvance générale directement tournée vers l'early house américaine. A Montjuic 2, en nocturne, Arnaud Rebotini et Ivan Smagghe (Blackstrobe) recousent ces mêmes beats originaux de rock blanc et laissent nos corps se mouiller. Clignez des paupières. Une fashionista sort son Palm Pilot et trace trois rails de coke sur l'écran bleuté. Un pimpo extasié me prend par la taille et m'embrasse les yeux humides. Linda, belle londonienne, me dévisage : "Tu te rappelles ? Il y a deux ans ? On dansait comme des fous sur Herbert. Ici même". Non, je ne me rappelle pas. Et puis si. Clignez des paupières. "C'est vrai que Bjork a un peu adopté le look de Mireille Mathieu" rigole Xavier en suite du concert classique de l'islandaise. Dj Krush bat son dancefloor de batardises orientalisantes avant que la foule ne se soulève sur le UK garage plus que parfait d'Oxide & Neutrino. Clignez des paupières, les pores de peau imprégnées de beats féroces et des infrabasses assourdissantes d'Alphex Twins. Samedi, après une sieste sur la plage et une série de vodka Red Bull, nous regagnons les 40 000 sourires de Montjuic 2. Darshan Jesrani (Metro Area) trempe des réminiscences early house dans une bain groovy pour me traversent le coeur à ne plus lâcher prise. Une main s'ouvre sur un chapelet de cachetons d'extasy. Les rayons de lumières multicolores se liquéfient sur un ensemble de torses nus lorsque The Soft Pink Truth electrifie les boomers. Nous testerons Raumschiemere et Dj Hell avant que le jour ne se lève sur nos têtes vagabondes. Nous fermons les paupières dans la perfection d'un Laurent Garnier en balade dans le Theme from S-Express ou secondé par Bugge Wesseltoft. "We're lost in music. We're lost in music..." bourdonne mon corps repu et heureux.

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MERCREDI 25 JUIN 2003 _ #232
 

La fin du monde attendra

Des silhouettes floues m'encerclent. Des visages sourient. Des mains se tendent. Des doigts m'indiquent des directions. Un genou à terre et le torse frappé par un vent sec, je suis au milieu d'un carrefour et dépoussière mes cils des particules terrestres qui les alourdissent. Je dois choisir mon chemin mais ne sais encore ni où aller, ni comment marcher. Un géant s'avance et empoigne mon bras gauche. Je le repousse. Je me réveille la tête en sueur plaquée sur l'oreiller. Clignez des paupières. "Nous sommes tout de même des charognards, des monstres", m'enlace, après éjaculation, un serial fucker dans une cabine de baisage vaporisée d'un musc crade. Lundi, à La Jungle, les hautes températures nocturnes activent les entrejambes et forcent la chasse rapide. Au comptoir, un quatuor à cordes détendues débat sur l'utilité des Gay Pride : "J'en ai rien à foutre de ces travelos qui se dépoilent sur un char" contre "Il nous faut une visibilité afin de ne plus jamais être menacé pour notre sexualité". En pose lascive sur un canapé, j'écoute ces brèves de commères. Je défendrai toujours les manifestations de rues, quelles soient plus ou moins justes et représentatives d'une réalité. Clignez des paupières. Chacun de mes rendez-vous fixé à un inconnu harponné sur des sites Internet m'interroge : "Comment va-t-il caler sa voix sur ses gestes ? Sait-il rire ? Comment marchera-t-il ? Comment être naturel lors d'une rencontre électroniquement imposée ?" mercredi, je retrouve Ludovic, amant télématique possible, sur le parvis de l'Opéra. L'homme est souriant, direct et inspire la spontanéité. Nous vernissons l'exposition Algérie au Rectangle dont l'unique intérêt (les prétendues uvres exposées ne résonnant de rien de sensible) résidera dans le plaisir de retrouver Françoise Rey allongée sur les jambes de Stéphane V. aux marches du pavillon et David Morel, actuellement en résidence à la Galerie Néon, accompagné par une péteuse-à-baffer d'Arty Farty. Clignez des paupières. Au dîner organisé par Christophe Boum et Primabella, Ludovic bataille avec nos hôtes pour imposer son point de vue sur sa vision des différences fondamentales entre les cultures américaines et françaises. Je n'en vois aucune dans les directions idéologiques prises par ces deux pays amis-ennemis. Notre civilisation occidentale, basée sur le capitalisme, est faite pour mourir. Comme toute civilisation et tout être vivant sur terre. Je prétends que notre société dite civilisée et démocratique est, dans sa forme actuelle, sur sa fin. J'imagine les pays "riches" se dirigeant vers leurs termes génériques et être bouffés par la peur de l'étranger, des pays "pauvres" devenus affamés ou terroristes. Incapables d'influer sur le cours d'une économie aux mains de puissantes compagnies sans domicile fixe, tous basent leur salut électoral sur une surenchère militaire et policière à tour de lois. Une dictature est souvent l'aboutissement d'une force militaire devenue trop forte et capable de renverser les "élus". "Tu fabules !", s'énerve Christophe. Certainement, mais personne ne me contredira. Clignez des paupières dans un accord charnel dans la cage d'ascenseur où Ludovic me baise le cou entre deux étages. Jeudi, l'atrium de l'hôtel de ville s'ouvre aux invités du 20e anniversaire de l'Institut Lumière pour un dîner en plein ciel. Agnès Varda expose à Nathalie Cayuela et Marie-Charlotte sa méthode pour cultiver les pommes de terre, inspiration originelle de sa performance "patatesque" à la Biennale de Venise. Frédéric D. et Pierre Le Magnifique offrent des baisers en série à Françoise Rey. Joël, drunky, s'envenime : "Que trouves-tu à Gaël Morel ? Un nain qui ne dégage rien de sexy." Clignez des paupières lorsque Gérard Collomb, en tête de micro et penché sur un panier de fleurs, interroge Bertrand Tavernier et Thierry Frémaux : "Comment fait-on pour baptiser des roses ?" Au 10, lieu-suite des festivités, un pimpo fait la lèche sur ma coupe de champagne alors que Chatte Rouge s'enfonce dans la backroom. Jean-Paul Brunet s'engosille de bulles de champagne qui font rire. Guy Walter me questionne sur mon futur immédiat. Je veux m'éloigner de la réalité déstructurée et écrire de la fiction imposée. Clignez des paupières. Patrice Armangau aligne coupe sur coupe à étourdir. Patrice Béghain couve sa fille d'amour avant de poser "pour l'image" devant un photographe. Ludovic cramponne mes lèvres et me fait cligner des paupières. À La Marquise, Trublyon fête son lancement. Le trimestriel gratuit en papier sec, aboutissement d'un "do it yourself" frais et inventif, invite ses premiers lecteurs à se défragmenter le corps sur la péniche. Joël liquide deux bières et nous clignons des paupières. samedi, nous nous réfugions sur la terrasse du Matchico en essorage d'un soleil crashé et bullons en compagnie de Super Pénélope. La fête de la musique m'effraie et nous squatterons dans la perfection d'un multi-mix au Funambule. Fermez les paupières.

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MERCREDI 02 JUILLET 2003 _ #233
 

Rush

Mardi, une lumière crue et un soleil dur couvent une fontaine Bartholdi en hémorragie externe : les mâchoires des bestiaux vomissent de l'eau colorée en sang mais pas un seul sabot au galop ne s'effondrera. Est-ce une astuce effrayante pour empêcher les badauds asphyxiés de barboter sous la course de chevaux figés pour l'éternité ? La vie existerait-elle sous l'écorce d'un bronze ? En face, au palais Saint-Pierre, la municipalité rince des invités statiques, à l'occasion du lancement de sa campagne estivale, annoncée comme festive. Un orchestre ouvre un banquet frais pour mains baladeuses sur plateaux à baffrer et bouches aux abois devant les verres de punch. À chaque invitation "privilège", la même violence d'une image : quils soient jeunes ou plus âgés, les convives posent dans le sérieux, la satisfaction et la conviction d'être important, comme en vie dans un monde béat d'exceptions. Parce que j'accepte de finir "vieux con" mais espère ne pas déjà être un "jeune vieux con", j'entame leur jeu avant de vite tricher pour toucher légèreté et dérision. Clignez des paupières. "Puis-je vous draguer ?" approche-je Vincent, fantasme vivant de l'amant idéal. Le joli photographe se sauve de ma charge et enlace sa compagne. Clignez des paupières dans la moiteur putassière du In Da Club de 50 Cents resucé par Beyoncé, salope magnifique à peloter tout l'été dans le lecteur de musique. Sous les pavés de nuages noirs détourés d'un ciel orageux et lamés par le soleil persistant, la plage. mercredi, Dopebase sabre la sortie de sa nouvelle compilation, Macrocut, sur le sable de La Marquise. Anne-Lise, Christophe Boum et Primabella rincent leur verre de bouteilles de rosé alors que Jérôme d'Art Canut me présente à Cédric Dujardin. "On nous a déjà présenté, il y a une semaine. Mais vous devez avoir une mémoire très sélective", tends-je machinalement la main au jeune vieux. Dj Poulet, joyeux meneur de sons, nous presse d'un sourire vrai à venir revivre les apéritifs mensuels organisés par son collectif, vendredi 4, au 8 rue Chaponnay. Dans la nouvelle garçonnière de Laconque, une averse de vodka et des grêlons de caviar importés depuis Moscou par Mathieu nous font cligner des paupières. "Tu n'y vois rien : c'est exactement la même couleur", me corrige Guy Darmet sur son coordonné chaussures et polo. Jeudi, La Chapelle inaugure officiellement ses terrasses et son dancefloor crypto-religieux et dissème quelques pipouls au milieu d'une foule de boutiquiers, limonadiers et vendeurs. Un concours global pour décrocher le titre de poseur le plus vulgaire et ennuyeux de la soirée. Vieilles pintades grillées, poules blondes reliftées et kids-clubbers old fashion transforment le lieu magique en basse-cour surchauffée. Z2 tente d'approcher la star confirmée de la soirée : "Elle est où Miss Auvergne 2003 ? Je lui promets de voter pour elle par SMS à l'élection de Miss France et le tour est joué". Clignez des paupières. Au sixième étage dépouillé, Stéphanie se roule sur la moquette bleue en face d'un ibook prompter. Encerclée de music lovers, elle vocalise avec langueur et clarté sur des bleeps néo-electro. La fête organisée dans l'immeuble des Magasins Généraux, abandonné et voué à la destruction en vue de la construction du centre commercial du Confluent, nous perche sur une terrasse en pointe et des navigations à tous les étages. Christian R. et Lady Wonder posent un extincteur au sol. Je l'empoigne et envoie des gouttes mousseuses aux étoiles. Vincent Carry, un petit sourire en coin, récupère l'engin du danger imminent pendant que Caroline Alt et David Cantéra se new-yorkizent accoudés à la balustrade. Petit Poucet s'éclipse alors que Pierre me présente Yves, sosie capillaire de George Clooney. Clignez des paupières sur une fin de nuit excitante. samedi, dans l'Atrium de l'hôtel de ville, le dixième anniversaire d'Euronews débute par l'annulation des concerts prévus suite à l'opération suicidaire d'intermittents du spectacle. "Je m'ennuie", souffle Super Pénélope. Nous nous réfugions sous les fresques classiques projetées au plafond du Péristyle, nouveau bar chic de Philippe Chavent au pied de l'Opéra. "Ne commencez pas à râler pour les danseurs de hip hop : nous leur avons ouvert l'amphithéâtre le temps de la saison", rassure Patrice Armengau. Carla s'évapore dans le champagne servi aux Muses. Patrice Béghain biftonne Raphaël Ruffier de 20 euros pour une avance faite par le journaliste "pour acheter du jambon. Ce n'est en rien une tentative de corruption". Duchesse mange avec ses doigts les derniers fruits de sa sangria. Dans l'Amphithéâtre sur des rythmes cubains, un puits de champagne inépuisable nous monte au coeur. Z2 tousse, un cigare aux lèvres : "Ça arrache les poumons". David, beau gaillard à la main gauche plâtrée, prévient : "Je tiens à ne pas vous décevoir : je suis hétéro. Je me suis posé la question sur mon futur et j'ai décidé de me marier, d'avoir des enfants et une maison. Ce ne sera peut-être pas le chemin le plus heureux mais j'ai fait ce choix". Le bonheur ? Fermez les paupières.

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MERCREDI 09 JUILLET 2003 _ #234
 

Mon amant de camping

"Quand je vois tous ces gens qui promènent leur chien et les laissent chier sur les trottoirs, je me dis que je fais bien d'avoir des plantes. Aujourd'hui, j'ai passé la journée avec Brooklyn. C'est le pot, là, sur la tablette" avance Jean-René avec ce sérieux tout britannique qui complète ses gestes d'homme chic. À L'Escalier, jeudi, l'associé du Comptoir Saint-Hélène annonce son retour dans le quartier Terreaux pour animer le Campbell de la rue Neuve. Nous dégoupillons quelques bières et je me retrouve flashgordé à La Ruche. Stéphane B. s'interroge sur ma quête en cours d'un "amant de camping" : "Tu veux partir en vacances avec un mec et une tente ? Tu es sûr d'aller bien ?" La fin de la collection hiver printemps d'ASSA (Amants Sans Suite Amoureuse) dans des bordels m'assomme. Je veux me poser. Boire une seule gorge. Caresser un seul corps allongé dans un lit chaud. Fuir les "ça va ?" automatiques et ces "Tu pars ?" estivaux. Respirer un peu plus. Manger moins d'alcool. Toucher l'état amoureux. Alors je me convaincs que le surnommé "amant du camping" pour un CDD de deux mois, peut répondre à cet essoufflement annuel. Clignez des paupières. "Lui, tu lui branches une dynamo sur le cul et il allume tout Lyon" trinque Stéphane devant un kid-clubber en transe sur l'euro-dance criarde de Luk (L'United Café). Jacques Haffner emprunte le couloir à pintades encadré de deux molosses. "Ce sont mes gardes du corps. Pas mal. Non ?" nourrit-il ses protecteurs de champagne. Clignez des paupières. Vendredi, la Compagnie Là Hors De convie auteurs, metteurs en scène, comédiens et plasticiens à son Bocal annuel. Sur le principe de créations de pièces originales en un week-end, l'exercice se décentre du "ludique" pour se corser dans le discours politique suite aux multiples conflits sociaux actuels et à la confrontation des professionnels du spectacle au Medef. Je pioche un thème parmi "Éducation" "Santé" "Culture" "Travail" et une forme d'écriture : "Travail. Forme : tract militant". Alain Turgeon ne démarre pas très inspiré ou alors "ce serait des martiens qui viendraient sur terre et", piste l'écrivain. En huit clos dans une salle de la médiathèque de Vaise, nous imprimons la dernière ligne de nos textes avant migration pour une lecture à Maternelle Process. Clignez des paupières. Pourquoi suis-je happé dans un combat d'intermittents qui me dépasse ? En connivence avec tous les activistes para-culturels sans aucun statut protecteur (graphistes ou photographes par exemple), j'ai du mal à apprécier justement les tenants et aboutissants de ces séries d'actions dans les festivals et dans les rues menées par ces autres "professionnels". Personne n'aurait vu gonfler la dérive marchande de la culture, de l'art, et cela bien avant ce début de siècle ? Personne n'aurait su pointer l'abandon depuis le milieu des années 1990 de toute action politique forte sur le champ de la culture ? Qui s'est élevé durant la campagne présidentielle contre la vacuité des programmes culturels non-présentés par les candidats Chirac et Jospin ? Où est l'exception culturelle tant défendue dans les négociations de l'ONC ? Gueule de bois méritée. À "non vigilance" activisme brouillon pour sauver les meubles. Oui, je suis avec les intermittents (sic) pour empêcher que les plus faibles tombent. Le plus urgent est simplet : le retrait, sans condition, de la convention proposée. Sans se poser la question de toutes les dérives et les contradictions de ce système bancal et abusé. Ils verront ça plus tard et peut-être reconsidéreront la place de la culture dans notre pays, de notre bien amochée "exception culturelle". Clignez des paupières. Le beau gosse, une poignée de vingtaine, file son album de Miss Kittin à enfourner dans le lecteur de CD et monte à l'étage de la Jungle. J'attrape un serial fucker et ferme la porte d'un box. En chasse, je croise l'ange perdu, en déséquilibre éthylique et les genoux noués par son froc baissé. Un vieux charognard l'empoigne par le caleçon et l'entraîne dans un coin. Le pimpo passera sa nuit en tournante sur des queues de prêts-à-baisser-de-la-chair-bourrée. J'ai la nausée. Envie d'enfoncer une lame bien coupante dans le cul de ces émotiomisés. Clignez des paupières. Samedi et dimanche, comédiens, metteurs en scène et coordinations de grévistes inonderont salles et cour du centre de Là Hors De. Débats et représentations me videront. Au milieu de la nuit dominicale, j'aurai rejoins Guillaume au Bar de La Tour Rose pour danser avec Catherine A. sur des vieux standards de Dalida. Nous nous cognons la tête au sol, à coup de Martini Dry. "Tu n'as pas d'olive ? Oui, dans James Bond, il n'y en a qu'une parce que James, ce n'est pas une follasse. Dans Amicalement Votre, Tony Curtis en exige toujours deux. Cela doit lui rappeler des trucs à sucer", rigole Claude. Boris, parfait barman relooké en portier sexy de l'hôtel, danse le long du comptoir sous les éclats de rire de Philippe Chavent et Patrice Béghain, pour une fois dans le groove musical. Fermez les paupières, définitivement drunky.

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MERCREDI 16 JUILLET 2003 _ #235
 

Pleine lune sur les casques d'acier

Difficile de s'enfermer dans une disco sombre et enfumée lorsque le ciel nous met sous couveuse, à point thermomètré, pour faire éclore des discussions estivales sans importance en terrasse. La semaine se chauffe dans une course d'impressionnantes tablées en plein air. Au Café Leffe, mercredi, Valérie et Raphaël Ruffier tentent de couvrir le flow assourdissant et revendicateur du concert organisé place des Terreaux en soutien des intermittents du spectacle. Nous nous enlisons dans des débats interminables sur notre adhésion (ou non) à la cause des artistes jusqu'à l'arrivée de Super Pénélope, Cruz Poutre et OLB, toujours aussi sexy et polymorphique. Clignez des paupières au Café 203Laurent Cerino partage banquette avec deux jeunes femmes sous l'emprise du charme cliqué par le photographe. Comment échapper à tous ces bars de bourgeois sous-préfectoraux qui déplient leurs chaises sur le trottoir pour inviter des "sans rire" à s'y asseoir ? La ville se "notabilise" avec peine-à-voir en plein soleil triste de ces Bus Café, Rouge Rouge, Voile, Café du Pond et autres bars pour boutiquiers et graines de nullards en "show off" stériles. Le principal et majeur inconvénient de ces lieux peut se déphaser en trois étapes : "Je me montre", puis "je bois", et enfin "je vomis en tirant la gueule". Dès lors, jeudi, en chasse d'un ciel clément et bienheureux, nous stationnons au Matchico, espace ouvert et vital de l'été. Duchesse se fait masser par Julien Micro.P en narration d'un switching entre une maîtresse présumée officielle et des "one shots" à répétition. "Ma Vespa, c'est un aspirateur à filles", testotérone-t-il, la chemise en baisse sur les épaules. Clignez des paupières. "C'est plaisant de voir tous ces badauds longer le quai même s'il ne se passe rien. Il n'y a que des choses commerciales, mais c'est agréable de voir les Lyonnais sortir", résume justement François 'Kanardo' Verdet, vendredi, à la guinguette de Lyon Capitale. Sur les berges du Rhône, les stands s'alignent et ouvrent buvettes et barbecues pour un week-end "national" crypto Paris-plage. Sur la pelouse de la garden party off déroulée par le journal, Caroline Collomb pipe une dosette de champagne en bouteille pendant que Ludwig, au bras de Claire Carthonnet, raconte son conte de fée : "Flammarion m'a signé pour une autobiographie. Je sors un livre début septembre". Pascale Bonnier-Chalier rejoint le groupe de l'incompréhension des Nuits mobiles. "Il faudra que vous m'expliquiez : Je ne comprends rien à cette chronique", pivote Madame Festivités-de-la-municipalité vers Patrice Béghain. Ours Fort introduit dans le jardin une meute de CRS, rapidement corrigée par Jean-Olivier Arfeuillère, en maître du barbecue pour la soirée transfiguré, d'un "Tiens, les Chippendales sont parmi nous". Clignez des paupières. À Tombé du Ciel, Julien-Justin insiste : "Présentez-moi votre nouveau canard", en direction de Benoît, escort-boy du soir et jeune médecin clouté de piercings du cou au bas des reins. "Je ne souhaite pas vous décevoir mais je ne suis pas prêt pour une relation amoureuse", croit apercevoir Benoît dans mes quémandages de baisers à répétition. Je ne suis plus dans les réminiscences enfantines et idéalisantes des Cendrillon ou Belle au Bois Dormant : je fais des efforts pour séduire l'Autre et tracer un hypothétique bout de route affectueux et commun mais ne m'acharne plus à croire ou faire croire à cet autre qu'il est mon avenir du moment. Clignez des paupières dans une chorégraphie psychédélique et charnue avec Jérôme d'Art Canut sur des assauts afro-housy à L'Ambassade. Même si l'événement populaire et amusant des guinguettes nous ensable, dimanche, à trinquer en compagnie de Philippe Chavent et Claude à la guinguette orientale des Modern Art Café et Buldo, le grand rendez-vous du bal des pompiers ne peut être zappé. À la caserne Saint-Louis, tout s'active dans une descente permanente et drunkisante de champagne. Super Pénélope scanne le lieu : "Il y a 80% de filles ici. Sûre qu'elles rêvent toutes de se faire un pompier", puis s'agite sous les bulles de savons scintillantes sous les rayons laser : "Au niveau pyrotechnique, je n'ai pas vu mieux. C'est la fête de l'année". Robert V. arpente tous les bars thématiques et nous présente une série de jeunes pompiers en feu : Max, Anthony, Jérémy, Théo ou Sylvain rentrent dans le jeu de la drague ambiguë et se laissent empoigner ou frôler. Aux chiottes, deux bleus se débraguettent et m'encadrent. "Tu as l'air chaud", détecte celui de droite. "Je suis pédé", refroidis-je l'air ambiant. Un quatuor de post ados sniffent la fiole de poppers dégoupillée et courbent à la positive leurs bouches béates. Un homme du feu se laisse toucher les fesses par un décoloré qui se corrige aussitôt : "Je ne suis pas une passive". Fermez les paupières lorsque Super Pénélope disparaît et Robert V. s'entorse un pied dans l'escalier d'une backroom de la Jungle.

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MERCREDI 23 JUILLET 2003 _ #236
 

L'usage intensif d'une queue trop bien faite

Le soleil massacre nos corps et, de ses rayons tirés au plomb, aligne nos cerveaux au rang de végétaux. "C'est comme si mon crâne était un bol d'eau dans lequel surnageraient deux neurones en solitaire", fait raccord Lady Wonder sur le portable. Sous cette canicule et lorsque la ville se vide, la lenteur se pose. Une agréable sensation de perdre son temps sans effort ni remords. Mais aussi, un agacement face à mon inaction qui parfois me frictionne de mauvaises pensées. Il y a de la contradiction dans ce non mouvement estival : une face claire qui laisse de la marge pour connaître, mieux et en tranquillité, tous ceux que l'on salue au pas de course en pleine saison et dont on ne sait rien si ce n'est ce que les autres peuvent ragoter à leur sujet ; une face sombre qui me fait barboter dans des questionnements palliatifs et souvent douteux. C'est quand l'état amoureux béat ? Dois-je tout donner pour mon hypothétique avenir "professionnel" ? Devenir plus conciliant ? Être un tueur ambitieux qui écrase son voisin ? Des questions qui n'auront pas réponse et qui, pour certaines, ne se reposeront plus. Clignez des paupières. Mercredi, Guillaume Tanhia agite son portable au Péristyle de l'opéra avant de descendre un bon litre de kir et fêter ses multi-contrats de producteur heureux. Nous soupons sous la fresque angélique de Chez Carlino en compagnie de Françoise Rey et Olivier Angèle. Le chanteur fustige le milieu gay commercial et regrette que les pédés soient moins flamboyants qu'antan et ne rêvent aujourd'hui que d'une vie en couple, siamoiserie du modèle hétérosexué. Au 10, Jean Flachet arrose nos gorges de boissons drunkizantes pendant que Guillaume lève les bras en cadence avec les déhanchés de Philippe Chavent. Jacques Haffner annonce le relooking de sa deuxième salle pour la rentrée et une campagne de communication vantant le futur programme hebdomadaire du club. Clignez des paupières. Je me place debout entre les jambes écartées et pliées d'un serial fucker et laisse une bouche épaisse dégainer mon caleçon. Au comptoir de la Jungle, certains souffrent d'un manque d'air ou d'excitations. D'autres dorment depuis des heures déjà sur le cuir d'un canapé. Je réveille un bellâtre et le monte dans ma chambre. Jeudi, nos jambes s'emmêlent. Nos nuques transpirent. Nos torses se ventousent. Nos bras glissent. Nous passons, avec l'ASSA de la veille, l'entière après-midi à se caresser dans un mouvement d'aiguilles à la recherche d'un espace frais sur un cadran de draps trop chauds. Clignez des paupières. "J'ai trois jours pour trouver quelque chose avant mon départ", décide Mathieu en terrasse du Café 203. "Fille ou garçon, je m'en fous. Ce n'est pas pendant mon séjour touristique dans les pays de l'Est qu'il va m'arriver quelque chose", complète l'éternel indécis. Nous flashgordons à la soirée Les pieds dans l'eau de Tombé du Ciel. Les chaises, pieds à cheval sur les boudins gonflables de piscines pour enfants, trempent nos pieds nus dans l'eau chlorée. Les tables à boire jouent les parasols à rafraîchissements. Nous baladons un canard en plastique jaune sur les flots bleus factices de notre pataugeoire sous le regard amuseur du maître-flotteur Dominique et Julien-Justin, en lèvres avec son nouveau boyfriend. Clignez des paupières, plaqué au corps d'un ASSA, gentilhomme tendre et captivé sur le net. "Non ! Tu ne vas pas commettre cette faute mortelle", m'ordonne Super Pénélope au portable, vendredi, alors que j'arrive en caisse d'un sport shop avec l'accessoire surprise et très mode de l'été : le poignet éponge du tennisman que tout clubber, un peu inspiré, empoigne avec fierté. Je capitule et rejoins Pénélope au Péristyle. Claude défile sur le granit noir du salon jazzy en poigne virile d'une sacoche en strass. Il ne réussira qu'à rendre indifférente Françoise Rey en rangement de son porte-monnaie, boîtier de cassette vidéo en plexi transparent immonde. "Mais c'est très pratique. Je ne veux pas de ces petites choses où vous ne pouvez rien mettre", se défend la douce. Après un souper à Mon Manège à Moi où nous hurlons des insanités et un drink entraîneur au 10, nous investissons l'Ambassade pour une série d'allumages sur corps masculins sans défense. "Il suffit de bouger son cul et vous vous retrouvez avec un mec en chaleur à vos genoux. C'est beaucoup trop facile", s'amuse Françoise dans le sas d'entrée du club. Au Medley, Super Pénélope ondule sur le Crazy For Love de Beyoncé avant de cligner des paupières. Seules les barres blanches qui cloisonnent les terrains de foot accrochent la lumière des étoiles. Des hommes marchent, dimanche, sous l'obscurité d'une allée balisée d'arbres sous le vif d'un vent orageux. D'autres râlent. Celui-ci me mate. Nous nous allongeons derrière un sapin, petit résineux voyeur de nos ébats fugaces sur l'herbe sèche. L'homme ne bande pas mais aime ma queue. Je regarde le ciel noir de Gerland et ferme les paupières.

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INSTINCT NOCTURNE

Écrit par Baptiste Jacquet
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire

 

 

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