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INSTINCT NOCTURNE
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Écrit
par Baptiste Jacquet |
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire
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MERCREDI 21 MAI
2003 _ #227 |
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Un territoire de certitudes (Part 1)
Elle me disait, il y a déjà
plusieurs années, qu'elle écrirait un livre sur sa
vie. "Parce que tout ce que l'on a vécu comme histoires
et drames familiaux", devait pouvoir aisément s'imprimer
dans un gros pavé autobiographique. Elle se croyait peut-être
hors du commun ou persuadée que notre vie de sur et frère
bousculée par un père alcoolique, suicidé au
bout d'une corde, et par une mère malade, crashée
le long d'une route, ferait un bon sujet de bouquin pour ménagères
en soif du malheur des autres. Clignez des paupières. À
Boston, le soleil est frais et des flics, déguisés
en cow-boys, taxent les monstres montés sur quatre roues
qui ont le malheur de stationner plus de trois minutes à
la sortie de Logan Airport. Ma famille américaine
stoppe le Dodge surdimensionné et nous attrape pour
un voyage d'une heure vers le nord de la Nouvelle Angleterre. À
travers les vitres fumées du van, le long de la highway,
se dresse un mont de gratte-ciel en verre gris, posé sur
de petits immeubles en briques rouges. Clignez des paupières.
Voilà onze ans que je n'avais pas traversé l'Atlantique
pour le sol yankee et repartagé cet american way of life
peu représentatif de ce que doit être la vie d'un modeste
américain. À Portland, Maine, ne se mélangent
pas les WASP friqués et tous les petits fermiers, pêcheurs
de homards ou employés d'un jour dans une grande surface
suburbaine. Les gros porteurs de dollars y louent, à prix
indécents, un bout de campagne léchant l'océan
pour des vacances au calme ou y achètent leur quotidien de
citoyen modèle. Clignez des paupières. Ma soeur bloque
le monospace devant le double garage. Derrière la porte électrique,
une grosse Ford lustrée joue la belle avec son parfum
"intérieur cuir". À droite, un 4x4 pick-up
(sous testostérone) tracte un bateau en attente de quai sur
le lac privé en face du jardin. "Je n'habite pas
le development le plus riche du Maine", prévient
Ma soeur après nous avoir fait visiter sa "cabane"
ne comprenant que trois salles de bain pour quatre chambres. Un
dévelopment est ici une sorte de lotissement communautaire
privé pour gens d'un même rang. Celui où je
passe ces 15 jours a la particularité de border un lac dont
le rivage est acheté par les riverains. Nous visiterons "Woodland",
block voisin, qui, comme le nôtre, aligne au moins trois voitures
devant le garage (toujours le gros van, le pick-up et un bolide
du genre Volvo, Mercedes cabriolet, Corvette
ou Audi puissante) et d'une immense demeure. L'ensemble se
noie dans un terrain géant de golf et se recentre autour
d'un complexe restaurant piscine et terrains de tennis. "En
plus de leur maison à plus de 2 millions de dollars,
chaque propriétaire doit payer un loyer annuel pour tout
ça", résume mon beau-frère. Clignez
des paupières. Vais-je pouvoir supporter cette immersion
chez des Américains dont les yeux ne sont plus que des petites
vignettes de machine à sous sur lesquelles il n'y aurait
d'imprimés que des dollars toujours gagnants et dont la bonne
morale fait son rappel dominical dans une église ? Certainement,
oui. D'une part parce que je m'éloigne de mon quotidien d'homme
nocturne excessif et qu'ici tout est calme, verdure et normalité
en poutre apparente (donc suspect). D'autre part parce que ma soeur
est le seul lien de sang direct qu'il me reste et m'enracine encore
dans une histoire familiale, dans mon histoire, alors que tout semble
nous séparer. Elle ponctionne les billets verts et je suis
toujours sur la paille jaune. Elle épouse mari et enfants
et je me tape des serial fuckers à tour de queue. Elle se
projette dans l'avenir avec assurance et je ne connais qu'à
peine mon présent. Elle partage des certitudes et a adopté
ce penchant naturel et typiquement américain du "j'ai
raison". Je suis incertain de façon joyeusement stable.
Après 20 ans d'éducation commune, nos natures respectives
nous ont fait différents. Cependant, nous nous comprenons
toujours. Du moins, je veux le croire pour ma survie "familiale".
Clignez des paupières. Mercredi, nous déjeunons
à Cumberland Club. Au sein de cette vielle bâtisse
victorienne, se déroule une moquette épaisse et sourde
pour riches membres du club qui prennent place, pour les plus honorables
(les plus compte-en-banqués et garnis de cheveux blancs),
dans la "Présidential Room". Là, un serveur
noir court entre chaque table pour servir vins et cafés.
De solides cuisiniers froissent leur pantalon en damier et portent
des plateaux d'argent dégoulinant de crevettes, homards,
légumes en vapeur et viandes rouges rôties. La salle
ronde nous engosse dans un autre temps, dans une tradition de bienséance
à l'anglaise. Fermez des paupières lors d'une balade
le long du port où les vagues de l'océan nous crachent
à la gueule un froid digestif et vigoureux. Demain, nous
serons à Kennebunk puis Boston.
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MERCREDI 28 MAI
2003 _ #228 |
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Un territoire de certitudes (Part 2)
De ma chambre, les fenêtres à
glissières s'ouvrent sur une lumière grise ondulant
sur le bleu noir du lac. Le jour se lève. Le chien et les
deux chats s'allongent sur ma couette et m'ouvrent les yeux. Chaque
matin, ce même et doux rituel fait renaître l'enfance
campagnarde dans laquelle ma soeur et moi avons été
élevés. Clignez des paupières. Mardi,
nous longeons la côte vers le sud du Maine pour une promenade
à Kennebunk. Le rivage de falaises feuilletées et
battues par des vagues apaisées trace une longue et belle
sauvagerie océanique. Plus loin, à Kennebunk Port,
un parking improvisé le long de la route fait descendre les
curieux sur la chaussée. En face, une péninsule brandit
les drapeaux américain et texan. "C'est ici que la
famille Bush vient passer ses vacances", claironne Tom,
bon "républicain" aveugle, en pointant du doigt
un gros pavé de bois serti de vidéosurveillance et
d'agents du FBI. Clignez des paupières. Pour tout américain
bien droit, qui respecte sa patrie et adore Dieu, George W. Bush
n'est pas le demeuré que l'on décrit en Europe mais
l'homme le plus proche du Père protecteur, de la seconde
main divine. Ainsi, à l'arrière de nombreuses voitures
s'autocollent des "Thanks God, I Voted Bush", ou plus
couramment "God Bless America" et "Proud to be American".
Sur les écrans TV ou dans les discussions de supermarché,
le 11 septembre 2001 semble dater d'hier. L'Américain
blanc et riche a peur pour sa famille. Un mal qui viendrait de l'intérieur
et, depuis les Twins, de l'extérieur. De l'intérieur
par crainte des déséquilibrés armés
qui jouent les Rambo incontrôlables dans les lieux publics,
des pédophiles, de la drogue, du tabac qui cancérise
le corps ou des ados qui conduisent drunky. De l'extérieur
par cette obsession des terroristes apparentés à Al
Qaeda. Ce délire sécuritaire s'inscrit en bas des
écrans de télévisions d'un picto de couleur
orange dès mercredi : il prévient le lazy
boy d'un "haut risque" d'attentat à l'approche
du Mémorial Day. Il y a une semaine, tous les médias
faisaient leurs Unes sur les "Terror Drills", simulations
en réel d'attentats à la bombe sale ou humaine. Comme
en France, les gouvernants US semblent jouer avec la peur de la
population afin de s'assurer un bilan politique électoralement
payant. La peur sous Sarkozy vient de l'intérieur.
La peur sous Rumsfeld vient de toute part et donne l'impression
d'un pays sans frontière, sans barrières de sécurité.
Je comprends mieux pourquoi, outre-Atlantique, la guerre en Irak,
"c'est rendre la liberté aux Irakiens opprimés
par Saddam". Il y a, dans cette entreprise militaro-industrielle,
une forme de conjuration du mal du pays : donner à l'Autre
des frontières et une liberté. Ce ressassage autour
du 11 septembre et mon quotidien yankee m'ont poussé
à revisualiser l'image de la chute des tours. Deux avions
dans deux tours ou comment les deux mamelles de la société
américaine s'entretuent : la Liberté (l'avion)
encastré dans l'Argent (les hauts buildings commerciaux).
Clignez des paupières. Six caissons en vert transparent,
d'une dizaine de mètres, se succèdent en pleine rue.
Chacun d'entre eux témoigne de l'holocauste par un texte
de rescapés des camps. À l'intérieur, sous
nos pieds, une grille de fer laisse échapper de la vapeur
d'un carré brillant de petites diodes incandescentes. Jeudi,
Boston est pluvieuse et nous traversons ce monument mémoire
avant de plonger dans une ville où tout est contraste excessif.
Le Ritz-Carlton fait défiler ses limousines pressées
dans une machine à spaghetti. Des homeless squattent le parvis
d'une église. Des secrétaires quittent leurs running
shoes pour de petits mocassins à l'entrée d'un
building à nous donner le torticolis. On mange dans les rues.
On fume en cachette. Au 50e étage de la Prudential Tower,
la ville étale ses quartiers pour riches, moins riches, ses
suburbias, le MIT et le campus d'Harvard. Perchés
au sommet du pic, nous suivons les lignes de voitures miniatures
qui s'engouffrent dans une fourmilière de béton et
ces petits piétons en points noirs qui s'agitent sur les
trottoirs. Clignez des paupières. Cela fait plus de dix jours
que je n'ai pas baisé. Rien ne me manque. Cette petite société
de bonnes manières m'intrigue par toutes les contradictions
qui la font vivre : enfantine, capricieuse, respectueuse de
règles à la limite du liberticide, bouffée
par l'argent ou déboussolée par son identité
(sa puissance ?) perdue. "J'ai une maison de 450 000 dollars,
un compte en banque de 2 millions de dollars, deux beaux enfants
qui iront certainement à Columbia ou Harvard. Peut-être
pas. Peut-être qu'un jour, nous n'aurons plus rien",
sourit ma soeur dans son territoire de certitudes. À Logan
Airport, nous quittons nos chaussures pour un contrôle d'avant
embarquement en direction de la vieille Europe et fermons les paupières
dans un nuage infini.
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MERCREDI 04 JUIN
2003 _ #229 |
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We want more Nuits sonores
En moins de trois valses, mardi,
la place ouverte sur le théâtre de la Croix-Rousse
se couvre d'une foule compacte et mélangeuse de publics.
Les familles lâchent les enfants sautiller devant l'orchestre.
Les cultureux se naturalisent en gens calmes et détendus.
Les branchés s'amabilisent tout en grinçant parfois
des dents : "L'orchestre déconne un peu avec
ses reprises de Pascal Obispo". Clignez des paupières.
Sous le hall d'accueil du théâtre, Laconque
et Mathieu swinguent sur Goûte mes frites de Valérie
Lemercier. Philippe Faure, perpétuel intranquille, se
réjouit de cette belle fête lorsque je clôture
ma prestation décontractée de no-dj par un "My
heart belongs to Daddy". En faux admirateur et accompagné
par Nathalie Veuillet et Wilfrid Haberey, Patrice
Béghain ose un mensonge : "Vous avez été
parfait". Presque. Clignez des paupières. Le soleil
descend sur le thorax bétonné de la piscine du Rhône
et laisse un emballage de lumière bleue rayonner sur la terrasse.
L'apéritif inaugural des Nuits sonores entame les énergies
et invite le milieu politico-médiatique, tous les acteurs
de la nightlife et dealers de musiques à s'échauffer
les mollets en vue d'un endurant week-end. Kanardo Family attire
le torse de Julien Micro. P pour y greffer les séries
limitées de leurs badges pictographiés. Philippe
Moncorgé affirme ne pas être un mauvais garçon.
Z2 se décoiffe de son casque blanc de motard afin de
relooker Jean-Olivier Arfeuillière en héros de la
série Chips. "Effectivement, il ne te manque plus
que la moto avec les sacoches", confirmera Mon Épouse.
Sophie vavavoum Descroix promet : "Je
pense que ce festival va fonctionner". Tout juste. Dès
23 heures, au Transbordeur, Patrice Béghain,
tout timoré par tant de monde en furie, et Laconque
trinquent sous les assauts techno de la parfaite Monika Kruse. Kids-clubbers
sous X et vieux vétérans de la nuit secouent
leurs corps tels des métronomes désaxés. Clignez
des paupières. Jeudi,
St Paul renverse une acid house bienvenue sur les peaux pré-bronzées
d'agités en trance dans la rue de l'Arbre-Sec. "Fabuleux !"
ou "Terrible !" témoignent en masse fêtards
débutants et confirmés. Après cette "ambiance
sympathique quoique un peu fête de la bière",
selon Lady Wonder, c'est au MAC, que les plus beautiful people du
festival se réunissent pour l'un des instants les plus agréables
de Nuits sonores. En terrasse paisible à deux pas du parc,
Roussia liquide sa bière et nous apprend "qu'à
Paris, mis à part au Pulp où chaque jeudi soir est
une folie, c'est la crise dans le milieu. Je vais donc mixer à
l'étranger : Brésil, Allemagne, Japon"
La belle attaque un dj-set latino mâtiné de rock et
Z2, en zigzag groovy, calera sur un "On voit qu'elle
part au Brésil : Là, elle répète".
Clignez des paupières sur une house salace d'Alex Kid à
L'Ambassade, club boursouflé par un trop plein de
danseurs. Un bruit industriel fissure la Sucrière, vendredi.
Pan Sonic ouvre le bal expérimental et rend les 1 500
personnes présentes sceptiques. Pourtant, ce seront, avec
Alec Empire, les seuls vraies bizzareries emballantes de la soirée :
lorsque ce n'est pas Jimi Tenor qui ennuie avec un live d'une
préciosité indigeste, c'est les oursons de Teamtendo
qui crée l'hémorragie d'une partie du public, bien
inspiré par ce mauvais trip electro. David Cantéra
et son papa s'éclipsent alors que Cyrille de la maison Kubik
me remémore l'époque où les villes, où
"les fêtes sont moins clean et plus dans l'esprit du
on-se-met-la-tête-à-l'envers". Clignez des paupières.
Entre petites lolitas qui ont laissé leur discothèque
de campagne, gays bodybuildés, rescapés des fêtes
trance à Gaïa ou petits bourgeois en Ralph Lauren, Dj Arnie
lève les bras vers les armatures métalliques de la
Halle Tony Garnier et tourne un doigt demandeur sur le mix
de Felix Da Housecat. Samedi, tout le monde est de
sortie et se mélange sans gêne, sans barrière
sociale, sans frime. Juste pour danser. Juste 5 000 fêtards
qui se rassemblent. Du presque jamais vu à Lyon et qui rend
la soirée exceptionnelle et mémorable. Clignez des
paupières. En fin de piste, cette première édition
des Nuits sonores est un véritable succès : une
organisation parfaite (pas ou peu d'incidents, aucun délire
sécuritaire et de surveillance exagérée des
festivaliers, très peu d'artistes annulés) et une
forte fréquentation sur tous bars et sites accueillants.
Malgré sa programmation de qualité qui s'est révélée
médiocre à l'usage (aucun artiste n'est sorti du lot
comme LA révélation évidente ou LA tuerie-où-il-fallait-danser)
et en rappel du manque d'âme évident véhiculé
par sa communication visuelle, demeurera le vital : un "We
want more Nuits sonores", unanime et preuve de l'existence
d'un public fortement demandeur de fêtes electro sur la région.
La mairie, gros financier de l'événement, peut claironner
son heureuse initiative. Elle pourra aussi se demander si son mutisme
face aux fermetures des clubs par la préfecture ne vient
pas d'entrer en contradiction avec l'air festif qu'elle vient de
gagner ce week-end. Pour montrer qu'elle veut défendre durablement
la fête et pas uniquement quatre jours par an. Fermez les
paupières.
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MERCREDI 11 JUIN
2003 _ #230 |
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La machination chercheuse
"Parfois, je suis chêne. Parfois,
je suis roseau" résonne une voix suave et grave
dans mon oreille gauche, lundi,
au 10. Monique fête son anniversaire entourée
de Philippe Chavent, ses proches amis et de pimpos en huile
sous leurs mini-shorts. Les bulles de champagne en invasion joyeuse
dans nos sangs, la référence aux arbres de La Fontaine
s'imprime sur l'écran vitreux et flou de mes pensées
: le chêne se tient fier et rigide au côté d'un
roseau fin et souple. A la première tempête, le chêne
cède et déchire ses nervures vitales alors que le
roseau se courbe puis se redresser. Ultra-réalisme d'une
de ces soirée où les egos se superposent et amplifient
la puissance précaire de personnalités sans importances.
J'aime cette terre avec cynisme et m'y plante en roseau qui résiste
au vent fort, en chêne qui campe son image de solide enraciné.
Voilà, la contrainte du milieu des "pipoul" locaux
: être dur pour ne pas se faire coucher tout en étant
tendre pour encore partager de l'humanité. Clignez des paupières
dans les ondes superphoniques de Music For The Airports de
Brian Eno. Mercredi, toujours au 10, Freaks
fait défiler la crème du journalisme et de la communication
pour une nouvelle fête "no-djs" sonorisée
par Kévin et Cruz Poutre. Nathalie Cayuela, Isabelle
Dejeux, Robert Marmoz, Serge Tonioni, Jacques Core, Frédéric
Poignard, Vincent Carry, Michel Cavalca ou Sébastien
Érome défilent sous des rythmiques bâtardes
et intranquilles. Marie-Charlotte entame un posing, debout sur le
comptoir, sous le regard de Philippe je suis un gentil
garçon Moncorgé. Super Pénélope
sort rayonnante de l'after du vernissage des indispensables expos
de Marc Gossian et Wim Delvoye accrochée au MAC. Christian
nous annonce l'ouverture pour la Gay Pride lyonnaise de La Chapelle,
nouveau club estampillé "gay-friendly" dans un
parc verduré de 4000 m2 au 60, montée de Choulans
: "Les travaux seront finis le 14 juin et nous organiserons
la soirée d'inauguration un peu plus tard avec Monsieur le
Maire en invité d'honneur" avance-t-il. Mathieu
saigne du nez et accuse Julien Micro P. de l'avoir buté.
Guillaume charge Ours Fort pour son penchant millioniste,
soi-disant stratégique. Patrice Béghain et
Guy Walter prétendent que leur participation conjointe
à une Freaks où "nous passerions du Schubert
et du Bach" serait une soirée mémorable et dansante.
Une jeune fille me félicite pour ma sélection musicale
et me suspecte d'un "tu t"en fous de ce que je te dis".
Non, je ne sais pas rebondir sur un compliment. Un compliment me
fait naturellement taire. Mon Épouse cligne des paupières
sur une soirée modeste. Caroline Alt s'accroche à
mon cou et descend ses coupes de champagne à l'United
Café (prononcez "luk" pour les initiés
involontaires) pendant qu'un serial fucker pratique des suçions
aveuglantes sur un homme assis au comptoir. Maxime, brun et délicieux
poilu, se fait venter par Laconque puis s'achève,
las, sur un "les filles sont trop incompréhensibles
et compliquées". Le belhomme drunky se laisse masturber
tout en partageant : "Tu cherches à être amoureux?
Ce n'est pourtant pas en cherchant que tu trouves". Il
y a une machination chercheuse dans laquelle on plonge coeur baissé
: transiter d'un "one shot" sexué et impulsif de
la séduction animalière à la quête infructueuse
et structurée du désir amoureux qui dynamise. Clignez
des paupières. Jeudi,
Jazz à Vienne s'annonce aux Subsistances. Les
conférences de presse ne doivent exciter que le publireporter,
présumé journaliste, et regroupe un monde de platitude.
Nassaboy réussit à nous faire rire avec l'histoire
d'un éléphant gay décédé dans
un zoo danois. Sophie 'vavavoum' Descroix me fait cligner des paupières
sur un baiser neutre mais valeureux. Catherine A. glisse
sur la piste et me bute dans sa chute contre le miroir du Medley.
Vendredi, Guillaume tient son
rôle de friend angel auprès de la borderline incontrôlable
et trinque avec Jean Flachet dans le club kitch de la rue Childebert.
Clignez des paupières. "Fuck me ! Asshole ! Please,
come on, fuck me !" se tord sur son lit d'hotel, un irlandais
ramassé à la Jungle, dimanche matin. Nous baisons
avant de rejoindre Super Pénélope à
l'anniversaire de Carla et Z2 sur les terrasses suspendues de la
maison de Rico. Anne annonce son départ pour Sonar et relance
mon envie de gagner Barcelone pour danser sur Herbert, Blackstrobe,
Playgroup, The Soft Pink Truth ou déranger mon cerveau lors
la soirée universelle et ultra-select qui soufflera le dixième
anniversaire du plus beau festival mondial de l'electro. Je suis
fauché et devrai rester à Lyon pour ronger ce regret.
Fermez les paupières après un dîner champêtre
sur la terrasse des Pieds Dans l'Eau.
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MERCREDI 18 JUIN
2003 _ #231 _ SONAR
EDITION |
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We're lost in music
Un vieil homme en costume strict s'est fait
arracher les yeux. Clignez des paupières. Jeudi, cet
aveuglant visuel, illustration générique du dixième
Sonar Festival, nous balance tête baissée dans
la canicule barcelonaise pour le rendez-vous global et vital des
musiques électroniques. Xavier Guétat me guide
dans le quartier Gracia et nous engloutissons tapas sous bière
au kilomètre. Clignez des paupières. Sous le Mercat
de les flors, deux écrans vidéos longilignes déroulent
les images des anciennes éditions de la Mecque mondiale de
l'électro. La soirée anniversaire de Sonar invite
les badgés (artistes, professionnels et journalistes) à
une fête privée au coeur de cette ancienne halle à
fleurs. Ce site post-industriel se boursouffle d'une coursive circulaire
pilonnée par de monumentales colonnes néo-classiques.
Un escalier colimaçonne les beautiful people vers l'étage
cosy. Mes jambes perdent contrôle dès le mix "old
school" de Jeff Mills : une entrée hypnotisante
dans mon passé émotionnel par un mélange de
classics et d'early house. Cyrille Bonin de Kubik
sort son appareil photo et nous montre les premiers clichés
pris sur le salon professionnel qui amène le dealer de disques
lyonnais au festival. "L'idée est de montrer son
cul sur la photo aux nez des festivaliers" trinque Cyrille.
A 4h, une lumière de fin ravage nos têtes dérangées.
Après des cris de capricieux insomniaques, Jeff Mills et
Laurent Garnier ping-ponguent pour un dernier mouvement de
rotules. Clignez des paupières. Trois créatures italiennes
se poussent à l'arrière d'un taxi et je me jette à
l'avant. Elle ne veulent plus dormir et s'amusent de leur poudre
aux pupilles. Place Catalunya, devant le City Hall, une étudiante
française fait une poussée de frime et peste : "Ils
m'ont refusé l'entrée. Là, je vais appeler
un des responsables du club. Je veux qu'il vire ses portiers".
Clignez des paupières au Martini's, club gay tragique
où une grosse dame cacao frotte ses seins sur ma boucle de
ceinture. Vendredi, plus de 10 000 party people bronzent
dans la cour principale du Musée d'Art Contemporain (MACBA)
et se roulent dans l'herbe synthétique sur les rythmiques
hip-hopantes de 2D2. D'autres font voler les chaises longues
et des ballons bleues lorsque Miss Kittin transforme son
dancefloor en fourneau thermomètré à plus de
40 degrés. La grenobloise devient une bête de foire
et les bras ne se lèvent plus pour danser mais pour arriver
à caler un écran LCD sur une image nette de l'égérie
de la branchitude mondiale. Clignez des paupières. Vincent
Carry regrette "les mauvaises conditions d'accueil de
ce festival : Il y a trop de monde et le service ne suit pas".
Le boss des Nuits Sonores pointe ainsi une des vraies problématiques
de cette édition : 100 000 furieux sur trois journées
dans des lieux prêts à exploser. Cependant, Sonar réussit
à mélanger un esprit de fête unique et une programmation
toujours d'avant-garde et captivante. Lorsque Barcelone joue la
dérision, le fun et le décalage avec une communication
pointue, Lyon avance du sérieux et respectable. Lorsque l'expérimentation
à la Sucrière titille l'actualité proclamée
de l'electroclash et des sonorités nordiques, les catalans
cherchent le futur dans une mouvance générale directement
tournée vers l'early house américaine. A Montjuic
2, en nocturne, Arnaud Rebotini et Ivan Smagghe (Blackstrobe)
recousent ces mêmes beats originaux de rock blanc et laissent
nos corps se mouiller. Clignez des paupières. Une fashionista
sort son Palm Pilot et trace trois rails de coke sur l'écran
bleuté. Un pimpo extasié me prend par la taille et
m'embrasse les yeux humides. Linda, belle londonienne, me dévisage
: "Tu te rappelles ? Il y a deux ans ? On dansait comme
des fous sur Herbert. Ici même". Non, je ne
me rappelle pas. Et puis si. Clignez des paupières. "C'est
vrai que Bjork a un peu adopté le look de Mireille Mathieu"
rigole Xavier en suite du concert classique de l'islandaise. Dj
Krush bat son dancefloor de batardises orientalisantes avant
que la foule ne se soulève sur le UK garage plus que parfait
d'Oxide & Neutrino. Clignez des paupières, les
pores de peau imprégnées de beats féroces et
des infrabasses assourdissantes d'Alphex Twins. Samedi,
après une sieste sur la plage et une série de vodka
Red Bull, nous regagnons les 40 000 sourires de Montjuic 2. Darshan
Jesrani (Metro Area) trempe des réminiscences early house
dans une bain groovy pour me traversent le coeur à ne plus
lâcher prise. Une main s'ouvre sur un chapelet de cachetons
d'extasy. Les rayons de lumières multicolores se liquéfient
sur un ensemble de torses nus lorsque The Soft Pink Truth
electrifie les boomers. Nous testerons Raumschiemere et Dj
Hell avant que le jour ne se lève sur nos têtes
vagabondes. Nous fermons les paupières dans la perfection
d'un Laurent Garnier en balade dans le Theme from S-Express
ou secondé par Bugge Wesseltoft. "We're lost
in music. We're lost in music..." bourdonne mon corps repu
et heureux.
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MERCREDI 25 JUIN
2003 _ #232 |
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La fin du monde attendra
Des
silhouettes floues m'encerclent. Des visages sourient. Des mains
se tendent. Des doigts m'indiquent des directions. Un genou à
terre et le torse frappé par un vent sec, je suis au milieu
d'un carrefour et dépoussière mes cils des particules
terrestres qui les alourdissent. Je dois choisir mon chemin mais
ne sais encore ni où aller, ni comment marcher. Un géant
s'avance et empoigne mon bras gauche. Je le repousse. Je me réveille
la tête en sueur plaquée sur l'oreiller. Clignez des
paupières. "Nous sommes tout de même des charognards,
des monstres", m'enlace, après éjaculation,
un serial fucker dans une cabine de baisage vaporisée
d'un musc crade. Lundi,
à La Jungle, les hautes températures nocturnes
activent les entrejambes et forcent la chasse rapide. Au comptoir,
un quatuor à cordes détendues débat sur l'utilité
des Gay Pride : "J'en ai rien à foutre de ces
travelos qui se dépoilent sur un char" contre "Il
nous faut une visibilité afin de ne plus jamais être
menacé pour notre sexualité". En pose lascive
sur un canapé, j'écoute ces brèves de commères.
Je défendrai toujours les manifestations de rues, quelles
soient plus ou moins justes et représentatives d'une réalité.
Clignez des paupières. Chacun de mes rendez-vous fixé
à un inconnu harponné sur des sites Internet m'interroge :
"Comment va-t-il caler sa voix sur ses gestes ? Sait-il
rire ? Comment marchera-t-il ? Comment être naturel
lors d'une rencontre électroniquement imposée ?"
mercredi,
je retrouve Ludovic, amant télématique possible, sur
le parvis de l'Opéra. L'homme est souriant, direct et inspire
la spontanéité. Nous vernissons l'exposition Algérie
au Rectangle dont l'unique intérêt (les prétendues
uvres exposées ne résonnant de rien de sensible) résidera
dans le plaisir de retrouver Françoise Rey allongée
sur les jambes de Stéphane V. aux marches du pavillon
et David Morel, actuellement en résidence à la Galerie
Néon, accompagné par une péteuse-à-baffer
d'Arty Farty. Clignez des paupières. Au dîner
organisé par Christophe Boum et Primabella,
Ludovic bataille avec nos hôtes pour imposer son point de
vue sur sa vision des différences fondamentales entre les
cultures américaines et françaises. Je n'en vois aucune
dans les directions idéologiques prises par ces deux pays
amis-ennemis. Notre civilisation occidentale, basée sur le
capitalisme, est faite pour mourir. Comme toute civilisation et
tout être vivant sur terre. Je prétends que notre société
dite civilisée et démocratique est, dans sa forme
actuelle, sur sa fin. J'imagine les pays "riches" se dirigeant
vers leurs termes génériques et être bouffés
par la peur de l'étranger, des pays "pauvres" devenus
affamés ou terroristes. Incapables d'influer sur le cours
d'une économie aux mains de puissantes compagnies sans domicile
fixe, tous basent leur salut électoral sur une surenchère
militaire et policière à tour de lois. Une dictature
est souvent l'aboutissement d'une force militaire devenue trop forte
et capable de renverser les "élus". "Tu
fabules !", s'énerve Christophe. Certainement,
mais personne ne me contredira. Clignez des paupières dans
un accord charnel dans la cage d'ascenseur où Ludovic me
baise le cou entre deux étages. Jeudi, l'atrium de
l'hôtel de ville s'ouvre aux invités du 20e anniversaire
de l'Institut Lumière pour un dîner en plein
ciel. Agnès Varda expose à Nathalie Cayuela
et Marie-Charlotte sa méthode pour cultiver les pommes de
terre, inspiration originelle de sa performance "patatesque"
à la Biennale de Venise. Frédéric
D. et Pierre Le Magnifique offrent des baisers en série
à Françoise Rey. Joël, drunky, s'envenime :
"Que trouves-tu à Gaël Morel ? Un nain qui ne dégage rien de sexy."
Clignez des paupières lorsque Gérard Collomb,
en tête de micro et penché sur un panier de fleurs,
interroge Bertrand Tavernier et Thierry Frémaux : "Comment
fait-on pour baptiser des roses ?" Au 10, lieu-suite
des festivités, un pimpo fait la lèche sur ma coupe
de champagne alors que Chatte Rouge s'enfonce dans la backroom.
Jean-Paul Brunet s'engosille de bulles de champagne qui font
rire. Guy Walter me questionne sur mon futur immédiat.
Je veux m'éloigner de la réalité déstructurée
et écrire de la fiction imposée. Clignez des paupières.
Patrice Armangau aligne coupe sur coupe à étourdir.
Patrice Béghain couve sa fille d'amour avant de poser
"pour l'image" devant un photographe. Ludovic cramponne
mes lèvres et me fait cligner des paupières. À
La Marquise, Trublyon fête son lancement. Le
trimestriel gratuit en papier sec, aboutissement d'un "do it
yourself" frais et inventif, invite ses premiers lecteurs à
se défragmenter le corps sur la péniche. Joël
liquide deux bières et nous clignons des paupières.
samedi,
nous nous réfugions sur la terrasse du Matchico en
essorage d'un soleil crashé et bullons en compagnie de Super
Pénélope. La fête de la musique m'effraie
et nous squatterons dans la perfection d'un multi-mix au Funambule.
Fermez les paupières.
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MERCREDI 02 JUILLET
2003 _ #233 |
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Rush
Mardi,
une lumière crue et un soleil dur couvent une fontaine Bartholdi
en hémorragie externe : les mâchoires des bestiaux
vomissent de l'eau colorée en sang mais pas un seul sabot
au galop ne s'effondrera. Est-ce une astuce effrayante pour empêcher
les badauds asphyxiés de barboter sous la course de chevaux
figés pour l'éternité ? La vie existerait-elle
sous l'écorce d'un bronze ? En face, au palais Saint-Pierre,
la municipalité rince des invités statiques, à
l'occasion du lancement de sa campagne estivale, annoncée
comme festive. Un orchestre ouvre un banquet frais pour mains baladeuses
sur plateaux à baffrer et bouches aux abois devant les verres
de punch. À chaque invitation "privilège",
la même violence d'une image : quils soient jeunes ou
plus âgés, les convives posent dans le sérieux,
la satisfaction et la conviction d'être important, comme en
vie dans un monde béat d'exceptions. Parce que j'accepte
de finir "vieux con" mais espère ne pas déjà
être un "jeune vieux con", j'entame leur jeu avant
de vite tricher pour toucher légèreté et dérision.
Clignez des paupières. "Puis-je vous draguer ?"
approche-je Vincent, fantasme vivant de l'amant idéal. Le
joli photographe se sauve de ma charge et enlace sa compagne. Clignez
des paupières dans la moiteur putassière du In
Da Club de 50 Cents resucé par Beyoncé,
salope magnifique à peloter tout l'été dans
le lecteur de musique. Sous les pavés de nuages noirs détourés
d'un ciel orageux et lamés par le soleil persistant, la plage.
mercredi, Dopebase sabre la sortie de sa nouvelle
compilation, Macrocut, sur le sable de La Marquise. Anne-Lise,
Christophe Boum et Primabella rincent leur verre de
bouteilles de rosé alors que Jérôme d'Art
Canut me présente à Cédric Dujardin.
"On nous a déjà présenté, il
y a une semaine. Mais vous devez avoir une mémoire très
sélective", tends-je machinalement la main au jeune
vieux. Dj Poulet, joyeux meneur de sons, nous presse
d'un sourire vrai à venir revivre les apéritifs mensuels
organisés par son collectif, vendredi 4, au 8 rue Chaponnay.
Dans la nouvelle garçonnière de Laconque, une
averse de vodka et des grêlons de caviar importés depuis
Moscou par Mathieu nous font cligner des paupières. "Tu
n'y vois rien : c'est exactement la même couleur",
me corrige Guy Darmet sur son coordonné chaussures
et polo. Jeudi, La Chapelle inaugure officiellement
ses terrasses et son dancefloor crypto-religieux et dissème
quelques pipouls au milieu d'une foule de boutiquiers, limonadiers
et vendeurs. Un concours global pour décrocher le titre de
poseur le plus vulgaire et ennuyeux de la soirée. Vieilles
pintades grillées, poules blondes reliftées et kids-clubbers
old fashion transforment le lieu magique en basse-cour surchauffée.
Z2 tente d'approcher la star confirmée de la soirée :
"Elle est où Miss Auvergne 2003 ? Je lui
promets de voter pour elle par SMS à l'élection de
Miss France et le tour est joué". Clignez des paupières.
Au sixième étage dépouillé, Stéphanie
se roule sur la moquette bleue en face d'un ibook prompter. Encerclée
de music lovers, elle vocalise avec langueur et clarté sur
des bleeps néo-electro. La fête organisée dans
l'immeuble des Magasins Généraux, abandonné
et voué à la destruction en vue de la construction
du centre commercial du Confluent, nous perche sur une terrasse
en pointe et des navigations à tous les étages. Christian
R. et Lady Wonder posent un extincteur au sol. Je l'empoigne
et envoie des gouttes mousseuses aux étoiles. Vincent
Carry, un petit sourire en coin, récupère l'engin
du danger imminent pendant que Caroline Alt et David Cantéra
se new-yorkizent accoudés à la balustrade. Petit
Poucet s'éclipse alors que Pierre me présente
Yves, sosie capillaire de George Clooney. Clignez des paupières
sur une fin de nuit excitante. samedi, dans l'Atrium de l'hôtel
de ville, le dixième anniversaire d'Euronews débute
par l'annulation des concerts prévus suite à l'opération
suicidaire d'intermittents du spectacle. "Je m'ennuie",
souffle Super Pénélope. Nous nous réfugions
sous les fresques classiques projetées au plafond du Péristyle,
nouveau bar chic de Philippe Chavent au pied de l'Opéra.
"Ne commencez pas à râler pour les danseurs de
hip hop : nous leur avons ouvert l'amphithéâtre
le temps de la saison", rassure Patrice Armengau. Carla
s'évapore dans le champagne servi aux Muses. Patrice Béghain
biftonne Raphaël Ruffier de 20 euros pour une avance
faite par le journaliste "pour acheter du jambon. Ce n'est
en rien une tentative de corruption". Duchesse mange
avec ses doigts les derniers fruits de sa sangria. Dans l'Amphithéâtre
sur des rythmes cubains, un puits de champagne inépuisable
nous monte au coeur. Z2 tousse, un cigare aux lèvres :
"Ça arrache les poumons". David,
beau gaillard à la main gauche plâtrée, prévient :
"Je tiens à ne pas vous décevoir : je
suis hétéro. Je me suis posé la question sur
mon futur et j'ai décidé de me marier, d'avoir des
enfants et une maison. Ce ne sera peut-être pas le chemin
le plus heureux mais j'ai fait ce choix". Le bonheur ?
Fermez les paupières.
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MERCREDI 09 JUILLET
2003 _ #234 |
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Mon amant de camping
"Quand je vois tous ces gens qui
promènent leur chien et les laissent chier sur les trottoirs,
je me dis que je fais bien d'avoir des plantes. Aujourd'hui, j'ai
passé la journée avec Brooklyn. C'est le pot, là,
sur la tablette" avance Jean-René avec ce sérieux
tout britannique qui complète ses gestes d'homme chic. À
L'Escalier, jeudi, l'associé du Comptoir Saint-Hélène
annonce son retour dans le quartier Terreaux pour animer le Campbell
de la rue Neuve. Nous dégoupillons quelques bières
et je me retrouve flashgordé à La Ruche. Stéphane
B. s'interroge sur ma quête en cours d'un "amant
de camping" : "Tu veux partir en vacances avec
un mec et une tente ? Tu es sûr d'aller bien ?"
La fin de la collection hiver printemps d'ASSA (Amants Sans Suite
Amoureuse) dans des bordels m'assomme. Je veux me poser. Boire une
seule gorge. Caresser un seul corps allongé dans un lit chaud.
Fuir les "ça va ?" automatiques et
ces "Tu pars ?" estivaux. Respirer un peu
plus. Manger moins d'alcool. Toucher l'état amoureux. Alors
je me convaincs que le surnommé "amant du camping"
pour un CDD de deux mois, peut répondre à cet essoufflement
annuel. Clignez des paupières. "Lui, tu lui branches
une dynamo sur le cul et il allume tout Lyon" trinque Stéphane
devant un kid-clubber en transe sur l'euro-dance criarde de Luk
(L'United Café). Jacques Haffner emprunte le
couloir à pintades encadré de deux molosses. "Ce
sont mes gardes du corps. Pas mal. Non ?" nourrit-il ses
protecteurs de champagne. Clignez des paupières. Vendredi,
la Compagnie Là Hors De convie auteurs, metteurs en
scène, comédiens et plasticiens à son Bocal
annuel. Sur le principe de créations de pièces originales
en un week-end, l'exercice se décentre du "ludique"
pour se corser dans le discours politique suite aux multiples conflits
sociaux actuels et à la confrontation des professionnels
du spectacle au Medef. Je pioche un thème parmi "Éducation"
"Santé" "Culture" "Travail"
et une forme d'écriture : "Travail. Forme :
tract militant". Alain Turgeon ne démarre pas
très inspiré ou alors "ce serait des martiens
qui viendraient sur terre et", piste l'écrivain. En
huit clos dans une salle de la médiathèque de Vaise,
nous imprimons la dernière ligne de nos textes avant migration
pour une lecture à Maternelle Process. Clignez des paupières.
Pourquoi suis-je happé dans un combat d'intermittents qui
me dépasse ? En connivence avec tous les activistes
para-culturels sans aucun statut protecteur (graphistes ou photographes
par exemple), j'ai du mal à apprécier justement les
tenants et aboutissants de ces séries d'actions dans les
festivals et dans les rues menées par ces autres "professionnels".
Personne n'aurait vu gonfler la dérive marchande de la culture,
de l'art, et cela bien avant ce début de siècle ?
Personne n'aurait su pointer l'abandon depuis le milieu des années
1990 de toute action politique forte sur le champ de la culture ?
Qui s'est élevé durant la campagne présidentielle
contre la vacuité des programmes culturels non-présentés
par les candidats Chirac et Jospin ? Où
est l'exception culturelle tant défendue dans les négociations
de l'ONC ? Gueule de bois méritée. À "non
vigilance" activisme brouillon pour sauver les meubles.
Oui, je suis avec les intermittents (sic) pour empêcher que
les plus faibles tombent. Le plus urgent est simplet : le retrait,
sans condition, de la convention proposée. Sans se poser
la question de toutes les dérives et les contradictions de
ce système bancal et abusé. Ils verront ça
plus tard et peut-être reconsidéreront la place de
la culture dans notre pays, de notre bien amochée "exception
culturelle". Clignez des paupières. Le beau gosse, une
poignée de vingtaine, file son album de Miss Kittin
à enfourner dans le lecteur de CD et monte à l'étage
de la Jungle. J'attrape un serial fucker et ferme la porte d'un
box. En chasse, je croise l'ange perdu, en déséquilibre
éthylique et les genoux noués par son froc baissé.
Un vieux charognard l'empoigne par le caleçon et l'entraîne
dans un coin. Le pimpo passera sa nuit en tournante sur des queues
de prêts-à-baisser-de-la-chair-bourrée. J'ai
la nausée. Envie d'enfoncer une lame bien coupante dans le
cul de ces émotiomisés. Clignez des paupières.
Samedi et dimanche, comédiens, metteurs en
scène et coordinations de grévistes inonderont salles
et cour du centre de Là Hors De. Débats et représentations
me videront. Au milieu de la nuit dominicale, j'aurai rejoins Guillaume
au Bar de La Tour Rose pour danser avec Catherine A. sur
des vieux standards de Dalida. Nous nous cognons la tête au
sol, à coup de Martini Dry. "Tu n'as pas d'olive ?
Oui, dans James Bond, il n'y en a qu'une parce que James, ce n'est
pas une follasse. Dans Amicalement Votre, Tony Curtis en exige toujours
deux. Cela doit lui rappeler des trucs à sucer",
rigole Claude. Boris, parfait barman relooké en portier sexy
de l'hôtel, danse le long du comptoir sous les éclats
de rire de Philippe Chavent et Patrice Béghain, pour
une fois dans le groove musical. Fermez les paupières, définitivement
drunky.
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MERCREDI 16 JUILLET
2003 _ #235 |
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Pleine lune sur les casques d'acier
Difficile
de s'enfermer dans une disco sombre et enfumée lorsque le
ciel nous met sous couveuse, à point thermomètré,
pour faire éclore des discussions estivales sans importance
en terrasse. La semaine se chauffe dans une course d'impressionnantes
tablées en plein air. Au Café Leffe, mercredi,
Valérie et Raphaël Ruffier tentent de couvrir le flow
assourdissant et revendicateur du concert organisé place
des Terreaux en soutien des intermittents du spectacle. Nous nous
enlisons dans des débats interminables sur notre adhésion
(ou non) à la cause des artistes jusqu'à l'arrivée
de Super Pénélope, Cruz Poutre et OLB, toujours
aussi sexy et polymorphique. Clignez des paupières au Café
203 où Laurent Cerino partage banquette avec deux
jeunes femmes sous l'emprise du charme cliqué par le photographe.
Comment échapper à tous ces bars de bourgeois sous-préfectoraux
qui déplient leurs chaises sur le trottoir pour inviter des
"sans rire" à s'y asseoir ? La ville se "notabilise"
avec peine-à-voir en plein soleil triste de ces Bus Café,
Rouge Rouge, Voile, Café du Pond et
autres bars pour boutiquiers et graines de nullards en "show
off" stériles. Le principal et majeur inconvénient
de ces lieux peut se déphaser en trois étapes : "Je
me montre", puis "je bois", et enfin "je
vomis en tirant la gueule". Dès lors, jeudi,
en chasse d'un ciel clément et bienheureux, nous stationnons
au Matchico, espace ouvert et vital de l'été.
Duchesse se fait masser par Julien Micro.P en narration d'un switching
entre une maîtresse présumée officielle et des
"one shots" à répétition. "Ma
Vespa, c'est un aspirateur à filles", testotérone-t-il,
la chemise en baisse sur les épaules. Clignez des paupières.
"C'est plaisant de voir tous ces badauds longer le quai
même s'il ne se passe rien. Il n'y a que des choses commerciales,
mais c'est agréable de voir les Lyonnais sortir",
résume justement François
'Kanardo' Verdet,
vendredi,
à la guinguette de Lyon Capitale. Sur les berges du
Rhône, les stands s'alignent et ouvrent buvettes et barbecues
pour un week-end "national" crypto Paris-plage.
Sur la pelouse de la garden party off déroulée par
le journal, Caroline Collomb pipe une dosette de champagne
en bouteille pendant que Ludwig, au bras de Claire Carthonnet,
raconte son conte de fée : "Flammarion m'a signé
pour une autobiographie. Je sors un livre début septembre".
Pascale Bonnier-Chalier rejoint le groupe de l'incompréhension
des Nuits mobiles. "Il faudra que vous m'expliquiez : Je
ne comprends rien à cette chronique", pivote Madame
Festivités-de-la-municipalité vers Patrice Béghain.
Ours Fort introduit dans le jardin une meute de CRS, rapidement
corrigée par Jean-Olivier Arfeuillère, en maître
du barbecue pour la soirée transfiguré, d'un "Tiens,
les Chippendales sont parmi nous". Clignez des paupières.
À Tombé du Ciel, Julien-Justin insiste
: "Présentez-moi votre nouveau canard",
en direction de Benoît, escort-boy du soir et jeune médecin
clouté de piercings du cou au bas des reins. "Je
ne souhaite pas vous décevoir mais je ne suis pas prêt
pour une relation amoureuse", croit apercevoir Benoît
dans mes quémandages de baisers à répétition.
Je ne suis plus dans les réminiscences enfantines et idéalisantes
des Cendrillon ou Belle au Bois Dormant : je fais
des efforts pour séduire l'Autre et tracer un hypothétique
bout de route affectueux et commun mais ne m'acharne plus à
croire ou faire croire à cet autre qu'il est mon avenir du
moment. Clignez des paupières dans une chorégraphie
psychédélique et charnue avec Jérôme
d'Art Canut sur des assauts afro-housy à L'Ambassade.
Même si l'événement populaire et amusant des
guinguettes nous ensable, dimanche,
à trinquer en compagnie de Philippe Chavent et Claude
à la guinguette orientale des Modern Art Café
et Buldo, le grand rendez-vous du bal des pompiers ne peut
être zappé. À la caserne Saint-Louis, tout s'active
dans une descente permanente et drunkisante de champagne. Super
Pénélope scanne le lieu : "Il y a 80%
de filles ici. Sûre qu'elles rêvent toutes de se faire
un pompier", puis s'agite sous les bulles de savons scintillantes
sous les rayons laser : "Au niveau pyrotechnique, je n'ai
pas vu mieux. C'est la fête de l'année". Robert
V. arpente tous les bars thématiques et nous présente
une série de jeunes pompiers en feu : Max, Anthony, Jérémy,
Théo ou Sylvain rentrent dans le jeu de la drague ambiguë
et se laissent empoigner ou frôler. Aux chiottes, deux bleus
se débraguettent et m'encadrent. "Tu as l'air chaud",
détecte celui de droite. "Je suis pédé",
refroidis-je l'air ambiant. Un quatuor de post ados sniffent la
fiole de poppers dégoupillée et courbent à
la positive leurs bouches béates. Un homme du feu se laisse
toucher les fesses par un décoloré qui se corrige
aussitôt : "Je ne suis pas une passive".
Fermez les paupières lorsque Super Pénélope
disparaît et Robert V. s'entorse un pied dans l'escalier d'une
backroom de la Jungle.
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MERCREDI 23 JUILLET
2003 _ #236 |
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L'usage intensif d'une queue trop bien
faite
Le soleil massacre nos corps et, de ses
rayons tirés au plomb, aligne nos cerveaux au rang de végétaux.
"C'est comme si mon crâne était un bol d'eau
dans lequel surnageraient deux neurones en solitaire",
fait raccord Lady Wonder sur le portable. Sous cette canicule
et lorsque la ville se vide, la lenteur se pose. Une agréable
sensation de perdre son temps sans effort ni remords. Mais aussi,
un agacement face à mon inaction qui parfois me frictionne
de mauvaises pensées. Il y a de la contradiction dans ce
non mouvement estival : une face claire qui laisse de la marge
pour connaître, mieux et en tranquillité, tous ceux
que l'on salue au pas de course en pleine saison et dont on ne sait
rien si ce n'est ce que les autres peuvent ragoter à leur
sujet ; une face sombre qui me fait barboter dans des questionnements
palliatifs et souvent douteux. C'est quand l'état amoureux
béat ? Dois-je tout donner pour mon hypothétique
avenir "professionnel" ? Devenir plus conciliant ?
Être un tueur ambitieux qui écrase son voisin ?
Des questions qui n'auront pas réponse et qui, pour certaines,
ne se reposeront plus. Clignez des paupières. Mercredi,
Guillaume Tanhia agite son portable au Péristyle
de l'opéra avant de descendre un bon litre de kir et fêter
ses multi-contrats de producteur heureux. Nous soupons sous la fresque
angélique de Chez Carlino en compagnie de Françoise
Rey et Olivier Angèle. Le chanteur fustige le
milieu gay commercial et regrette que les pédés soient
moins flamboyants qu'antan et ne rêvent aujourd'hui que d'une
vie en couple, siamoiserie du modèle hétérosexué.
Au 10, Jean Flachet arrose nos gorges de boissons
drunkizantes pendant que Guillaume lève les bras en cadence
avec les déhanchés de Philippe Chavent. Jacques
Haffner annonce le relooking de sa deuxième salle pour
la rentrée et une campagne de communication vantant le futur
programme hebdomadaire du club. Clignez des paupières. Je
me place debout entre les jambes écartées et pliées
d'un serial fucker et laisse une bouche épaisse dégainer
mon caleçon. Au comptoir de la Jungle, certains souffrent
d'un manque d'air ou d'excitations. D'autres dorment depuis des
heures déjà sur le cuir d'un canapé. Je réveille
un bellâtre et le monte dans ma chambre. Jeudi, nos
jambes s'emmêlent. Nos nuques transpirent. Nos torses se ventousent.
Nos bras glissent. Nous passons, avec l'ASSA de la veille, l'entière
après-midi à se caresser dans un mouvement d'aiguilles
à la recherche d'un espace frais sur un cadran de draps trop
chauds. Clignez des paupières. "J'ai trois jours
pour trouver quelque chose avant mon départ", décide
Mathieu en terrasse du Café 203. "Fille ou
garçon, je m'en fous. Ce n'est pas pendant mon séjour
touristique dans les pays de l'Est qu'il va m'arriver quelque chose",
complète l'éternel indécis. Nous flashgordons
à la soirée Les pieds dans l'eau de Tombé
du Ciel. Les chaises, pieds à cheval sur les boudins
gonflables de piscines pour enfants, trempent nos pieds nus dans
l'eau chlorée. Les tables à boire jouent les parasols
à rafraîchissements. Nous baladons un canard en plastique
jaune sur les flots bleus factices de notre pataugeoire sous le
regard amuseur du maître-flotteur Dominique et Julien-Justin,
en lèvres avec son nouveau boyfriend. Clignez des paupières,
plaqué au corps d'un ASSA, gentilhomme tendre et captivé
sur le net. "Non ! Tu ne vas pas commettre cette faute
mortelle", m'ordonne Super Pénélope
au portable, vendredi, alors que j'arrive en caisse d'un
sport shop avec l'accessoire surprise et très mode de l'été :
le poignet éponge du tennisman que tout clubber, un peu inspiré,
empoigne avec fierté. Je capitule et rejoins Pénélope
au Péristyle. Claude défile sur le granit noir du
salon jazzy en poigne virile d'une sacoche en strass. Il ne réussira
qu'à rendre indifférente Françoise Rey
en rangement de son porte-monnaie, boîtier de cassette vidéo
en plexi transparent immonde. "Mais c'est très pratique.
Je ne veux pas de ces petites choses où vous ne pouvez rien
mettre", se défend la douce. Après un souper
à Mon Manège à Moi où nous hurlons
des insanités et un drink entraîneur au 10, nous investissons
l'Ambassade pour une série d'allumages sur corps masculins
sans défense. "Il suffit de bouger son cul et vous
vous retrouvez avec un mec en chaleur à vos genoux. C'est
beaucoup trop facile", s'amuse Françoise dans le
sas d'entrée du club. Au Medley, Super Pénélope
ondule sur le Crazy For Love de Beyoncé avant de cligner
des paupières. Seules les barres blanches qui cloisonnent
les terrains de foot accrochent la lumière des étoiles.
Des hommes marchent, dimanche, sous l'obscurité d'une
allée balisée d'arbres sous le vif d'un vent orageux.
D'autres râlent. Celui-ci me mate. Nous nous allongeons derrière
un sapin, petit résineux voyeur de nos ébats fugaces
sur l'herbe sèche. L'homme ne bande pas mais aime ma queue.
Je regarde le ciel noir de Gerland et ferme les paupières.
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INSTINCT NOCTURNE
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Écrit
par Baptiste Jacquet |
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire
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