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INSTINCT NOCTURNE
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Écrit
par Baptiste Jacquet |
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire
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MERCREDI 12 MARS
2003 _ #217 |
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Lorsque
le jour se lèvera
"On va s'entraîner à
mort !" se réveille, mardi,
le Carré d'Or (Mon Épouse, Duchesse, K-Line,
Super Pénélope, Cruz Poutre et Julien Micro P.)
au Mushi-Mushi. Après avoir lancé, l'été
dernier, l'idée d'un grand championnat international de Uno,
Nasser réalise enfin notre rêve : "Il
y aura même un représentant du fabricant Mattel".
Le rendez-vous pris pour le 12 avril : au Ki Ki Kaï
Kaï, nous clignons des paupières en d'amicales embrassades
avec Kamel. De ce que l'on ne naît pas et avec quoi on tente
de se couvrir la raison afin de travestir cette réalité
trop en prise avec les doutes sur sa condition. Ou, du pourquoi
vouloir être celui que l'on sait ne jamais avoir à
connaître. Mathieu intellectualise sa vie en terrasse du
Nord, mercredi. Il m'arrive parfois de me demander si
le lecteur de cette chronique me considère comme un pédé
qui souffre de sa condition de pédé ou un homme qui
ne sait pas tout à fait quelle direction il emprunte ou quel
est son but final, juste avant la mort. Je prétends poser
questions de vie et non exposer mon mode de vie. Mais ma démarche
n'est pas toujours très claire : le pas est trop peu
déterminé. Clignez des paupières. Au 10, Laconque
nervure ses jambes de bas résille noir pour laisser fleurir
une jupette en tulle multicouche avant d'être massée
par Mathieu à son dos défendant. Christophe Boum
et Primabella se drunkizent à la vitesse du son, puis
courent dans tout le bar en chasse de Rocco, le canin de
Jacques Haffner. Clignez des paupières. "Tu
ne veux pas que je me mette à quatre pattes ?",
s'approche Christophe de Stéphane B. à l'United
Café. Nous commentons l'esthétique du nouveau
nez, légèrement retravaillé, du toujours convoité.
Un inconnu provocateur me place devant lui et me demande de l'embrasser
sans bouger. "Non, reste là s'il te plaît :
je suis en train de pisser contre le mur", abuse le bucolique.
Je cligne des paupières, la tête de Christophe calée
sur mon cou et son corps massif en liquide contre ma carcasse. Vendredi
au 10, Jean-Albert liste son programme de la Fashion-Week :
"Je vais peut-être rater la fête organisée
au dernier étage de l'Arche de la Défense mais il
y a celles de Colette et de Technikart dans le courant de
la semaine. Je me suis calmé au niveau fête. Ma sortie
obligée demeure KABP, le reste". On le retrouvera
pourtant en fin de nuit en posing destroy au DV1 et se lamenter
sur "cette techno indansable et mal foutue". Clignez des
paupières, un rire en bouche, lorsque Gilles du Medley
se travelote en beatnik chevelu avec une pancarte taggée
"Non ! À la guerre !". Samedi,
le Ninkasi Opéra ouvre sa déco prototype. Les
balançoires, peu conviviales en guise de tabourets de comptoir,
agitent des conduits en aluminium qui déversent dans des
tubes un spectre de lumière douceâtre. Les plus gros
fêtards de la ville découvrent le nouveau lieu en titubant
sur de la musique soul. Certains ne cessent de s'inquiéter
sur l'épuration effective des lieux nocturnes du centre ville
entreprise par la préfecture et la mairie. Gaëlle
Communal présente son nouvel amour américain et
délicat. Jérôme d'Art Canut et Olivier
alignent les pichets de bière maison pendant que je tente
une approche écrite sur Julien Le Grand. Sur un papier
plié : "Voudriez-vous faire plus ample connaissance ?
Proposition plus ou moins malhonnête, qui plus est maladroite".
Julien me glisse en poche sa réponse : "Suis très
droit et honnête (lol) mais très attaché à
mon amie". Clignez des paupières. Une course sans suite
nous fera fermer Tombé du Ciel en compagnie de Julien-Justin
et comparses avant de descendre au Medley puis remonter à
La Jungle. Deux jeunes hommes en slip hurlent entre les serial
fuckers. L'un deux porte des lunettes de plongée et crois
savoir que "si je vais dans la backroom en sous-sol, je suis
certain d'atteindre les profondeurs du néant". Fermez
les paupières sous les guitares rocky de The Rapture.
Sorties préventives
(courts-lettrages). Petites projections
sur ce que les prochaines nuits auront de "Vital". Ce
jeudi 13 mars, Concept Food sert la soupe (du pote O'feu) au
Rectangle avec deejays et toujours l'Atelier Van Lieshout. Le 12 avril,
Nassaboy et ses amis organiseront le Championnat international de
Uno de Lyon au Ki Ki Kaïkaï. Ré-actline :
06 63 66 01 10. Encore plus loin, Sonar Festival
se déroulera les 12, 13 et 14 juin à Barcelone.
Le centre du monde électro concentrera durant trois jours
et trois nuits, au hasard : Matthew Herbert, Ladytron, Dj Hell,
Miss Kittin, Metro Area, Markus Detmer et autres mastodontes de
la House Nation. La programmation de Björk ou d'Underworld
semble moins "fashion" que celle des Pet Shop Boys l'an
dernier (on aurait bien vu une Kylie Minogue, icône ultime
de la branchitude globale) mais tout s'annonce pour le mieux. infos :
www.sonar.es.
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MERCREDI 19 MARS
2003 _ #218 |
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All
day and all the night
Au loin, des perles humides de lumière
filent s'écraser sur les berges. L'eau noire du fleuve graisse
les baleines en béton armé qui thoraxent la terrasse
de la Piscine du Rhône. En ses entrailles, lundi,
le "Meeting poétique" inaugural du Printemps
des Poètes chérit promeneurs nocturnes, artistes,
comédiens et lettrés. Le coeur de la langue ne bat
plus assez fort pour respirer à pleins poumons. Au bordel
littéraire mouvant et pseudo-improvisé qui avait réussi,
lors de l'édition 2002, à extraire et amplifier la
magie du ventre nautique succèdent des performances et lectures
statiques qui corsettent le visiteur dans un imaginaire trop étriqué.
Clignez des paupières. Au Rectangle, jeudi,
des Fashionista arty se laissent guidés par des bodybuildés
sur les bancs de musculation, une verre pendu au poignet cassé,
le sac à main en guise d'haltère. Concept Food
continue ses rendez-vous Soup mix pour créer l'émeute
autour d'une casserole de pot-au-feu. Isabelle Dejeux grince
dès son arrivée : "Il y a trop de monde.
C'était plus chaleureux la dernière fois à
La Marquise". Des corps sirotent, allongés
sur de grands duvets blancs. Du bruit, beaucoup de bruit. Super
Pénélope dresse le court listing de "tous
mes ennemis, ici présents" alors qu'Agnès, jeune
designer de fauteuils improbables, trouve Laurent Gaudin
"très séduisant mais j'ai repéré
un jeune mec qui, j'en suis sûre, n'attend que moi".
Philippe Moncorgé fait discussion à part, loin
de Marie-Charlotte, et s'apprête à lancer un nouveau
projet lunaire et très certainement inutile, donc indispensable.
Je ne lui laisse pas le temps de m'éclaircir sur cette création
et me jette sur une vitre embuée pour y inscrire : "My
Heart Belongs To Mammy". Clignez des paupières.
Après un exercice de poids avec Pierre Budimir, des
baisers aux M & Ms (Géraldine et Kévin), Sylvie
Perret et Agnès Vézirian, François Kanardo
Verdet nous entraînent au vernissage de La Nombreuse au
Modern Art Café. Avant chemin, nous aurons eu le temps
d'harponner le jeune timide, "je m'appelle Laurent. Je suis
d'Orléans", courtiserie de la designeuse vampire.
La terrasse déborde de kids-skaters et borderliners. "A
l'intérieur, c'est freaks", ressort, transpirante, Super
Pénélope. Julien Micro P. cligne des paupières
sur sa Vespa. Nous ne rejoindrons pas David Cantéra
pour danser sur le set époustouflant de Mr Scruff
à La Marquise mais jouerons la séduction
sur l'investissable Laurent au Matchico, bar où personne
ne peut faire la gueule dans son coin tellement il y a de bavards
sous l'épaisse couche de fumée tabageuse. Agnès
Morel gagne la partie avec le provincial d'une entre-confession :
"J'ai besoin d'un câlin". Clignez des paupières.
Des pans vitrés, enquillés les uns derrière
les autres, dupliquent le corps des danseurs. De petits écrans
à projections amplifient, floutent les battements de jambes
et mains. Vendredi, Saburo Teshigawara bascule la
Maison de la Danse dans une oeuvre belle mais difficile.
Je n'arrive pas à larguer ma quête de compréhension
pour rejoindre l'instable, ces résonances lumineuses qui
déforment ou multiplient, ce combat pour l'unité de
l'être, ses rêveries, les traces que l'on veut au delà
de la vie laisser, cette pleine sérénité atteinte
en fin de course. Le spectacle est trop intelligent pour un homme
qui n'a pas assez dormi. Clignez des paupières. Après
une invitation à souper au Crème (2, rue Fernand-Rey,
quartier des Pentes) en compagnie de Super Pénélope,
nous tablons avec Mon Épouse, Duchesse, Cruz Poutre
et Joël au KiKi KaïKaï (10, rue Burdeau, quartier
des Pentes), nouveau bar brocante à la mode. Troublé
par la présence de Patrick, mon amour au plus que conditionnel,
j'oublie la discussion du Carré d'Or autour de "la
fellation complète soit la F.C. et l'interrompue, la F.I."
définies comme "celle où tu avales et l'autre
pas". Clignez des paupières. Samedi, Joël
ouvre son duplex avec terrasse-à-alcoolisme à "des
troupeaux de créatures anglaises avec des seins de partout",
pointe Duchesse. Maître XXY affirme que je "ne
peux pas ne pas croire en l'amour" alors que je lui explique
que la croyance à besoin d'idéologie. Or, je n'ai
aucune idée sur ce que sera mon prochain amour, ni quand
il se manifestera. Duchesse cligne des paupières sur cette
surboum enivrante en hurlant le "Girl, I want to be with
you all the time. All day and all the night" des The Kinks.
Dimanche, au Gay Tea Dance du 10, Richelieu promet de venir
rire à Freaks, ce mercredi 19 dans ce même bar,
où je suis censé jouer au pousseur de disques. L'auto-promo
faite, Guy Darmet en retour du Bresil corrige l'impression
mitigée que m'a laissé le spectacle de vendredi. "Évidemment,
si tu te couches à 7h du matin, tu n'es pas forcément
en bonne condition pour apprécier ce spectacle",
abuse-t-il d'un sourire. Claire Carthonnet se prend au jeu
du vouvoiement et annonce la sortie de son livre pour le 28 avril
chez Robert Laffont. Fermez les paupières.
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MERCREDI 26 MARS
2003 _ #219 |
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En
souvenir de Sir Lawrence
J'ai
les mains moites et le visage chaud. De l'autre côté
de la nuit, j'expérimente, mercredi,
au 10, le rôle de pousseur de disques pour l'apéritif
Freaks organisé par Beadoa et Jacques Haffner.
Étant un des maîtres d'oeuvre de cette petite virgule
nocturne, j'écris ces lignes avec gêne. Puis-je évoquer
cette soirée sans tomber dans l'auto-congratulation ou atteindre
le sommet de mon narcissisme cafardeux ? Peu importe. Je veux
me mettre dans la peau du "no-dj". A force de taper sur
le petit monde de la MK2 local, il me fallait agir pour mieux casser
ou me faire casser. Clignez des paupières. Beaucoup de mes
proches se revendiquent "enfants de la télé".
Je resterai pour toujours un "enfant de la radio". La
bande FM a explosé pendant mon adolescence de jeune pubère
enfermé dans sa chambre, peu sociable, les oreilles collées
au transistor à griffonner des titres de chansons et à
appuyer sur la gâchette "record" du radio-cassette.
Tout avaler : la vague pop romantique, la new-wave, la cold-wave,
l'italo-dance et autres vieux standards disco. C'est en 1986 que
je rencontre la révolution house qui changera notre rapport
à la musique-à-danser pour longtemps. Jusqu'à
aujourd'hui. Early house, hip-house et acid-house ont renvoyé
le dj-attrape-bimbos-et-je-parle-dans-le-micro dans la ringardise.
En moins de 20 ans, le deejaying s'est répandu des pionniers
de la House Nation à l'ensemble des ados. Aujourd'hui,
la boucle se referme : le dj est mainstream (le pic est atteint
en 2001 avec Jean-Édouard, du Loft) et retrouve ses peu glorieux
ancêtres, tombeurs de jupons et petits prétentieux
souvent sans talent, et surtout, sans le sens de la dérision
et de l'éclectisme. Le deejay spécialisé et
bourrin n'est plus à la mode : les "must go"
des soirées parisiennes demeurent KABP à La Boule
Noire avec Patrick Vidal, dieu du mélange des
genres, et Kill The Dj au Pulp. Le succès de
2 Many Djs, bousilleurs, short-cutters doués et boîtes
noires de la variété, en rajoute dans le mouvement
anti-DJ. Clignez des paupières. Suis-je un bon "no-DJ" ?
La fête est-elle plaisante et rieuse ? Cruz Poutre avance :
"Là, tu essaies de mixer. Pourquoi ne pas faire des
"Shuffle Parties" comme à New York : tu mets
des morceaux en tout genre dans un ordinateur et il les balance
dans n'importe quel ordre ?" Nadine Fageol se plaque
contre mon dos et ondule sur un vieux standard deep. Marie et Jacques
Perrichon soupirent : "Il y a tromperie sur le concept
de cette soirée : tu ne casses pas assez les styles".
Carla et Helena Roche s'emportent sur le Plastic Dreams
de Jaydee alors que Colas Rifkiss, Christophe Boum
et Pierre Budimir sont partants pour jouer les programmateurs
musicaux lors d'une prochaine session. Doumé recale
le pitch d'un morceau rocky et Kamel, salement viré du Mushi-Mushi,
trinque au bar. Clignez des paupières et remerciements au
soutien apporté par Nathalie Cayuela, Marie-Charlotte,
Gaelle Communal, Laconque, Marie et Vincent, Nathalie
et OLB, Mariska et Antoine, Sophie et Jean-Marie, David
Cantéra, Pierre Le Magnifique, Frédéric,
Bruno Ansellem, Le Guilloux NDC, François Kanardo Verdet,
Julien-Justin, Mathieu, Philippe Moncorgé,
Alain Turgeon, Nicolas Stifter, Nasser, Michel Cavalca,
Jean-Pierre Bouchard, Jean-Paul Brunet, le Carré
d'Or et à tous les "freaks" présents. Au
KikiKaïKaï, repère de beaux-arteux jeunes
et jolis, la tablée relance le sujet phallique. Vendredi,
Super Pénélope conte la masturbation d'un hamster
("il s'assoie et s'astique avec ses petites pattes avant")
alors que K-Line questionne, accompagnée par Duchesse en
mime "réalistic" des copulations entre rats-avec-des-ailes :
"Les pigeons ont-ils une bite ?". Le printemps
est là. Clignez des paupières. "Je t'ai aimé.
Je crois t'aimer encore mais ne sais pas trop pourquoi",
me lèche à l'oreille Rachid, au Medley.
L'homme aux yeux en diamant noir tente de me basculer sans succès.
Nous courons à L'Ambassade se drunkiser au milieu
de kids clubbers et de music lovers. Clignez des paupières.
"Je dois prendre ma garde à 9h", s'endort
ASSA 2003-18 sur mon corps cassé. Je glisse ma main sous
son t-shirt et cale mes doigts sur le sternum renfoncé du
tendre militaire. Nous clignons des paupières, mes lèvres
en surligne de ses sourcils. Samedi,
nous manifestons contre la guerre en Irak. Je ne me sens pas à
ma place au milieu de ces slogans concrets et pas toujours du meilleur
effet. Je participe parce que, de façon abstraite, le début
de ce nouveau siècle me fait peur : trop violent, trop
répressif, trop simpliste, trop idiot. A chaque échelle
(mondiale, nationale, locale), il y a tentative d'étouffement
et de réduction des libertés et du droit. Fermez les
paupières en souvenir de Sir Lawrence, dans le David
Lean, qui assure : "J'aime le désert parce
qu'il est propre". Plus tard, une goutte de sang tachera
cette virginité.
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MERCREDI 02 AVRIL
2003 _ #220 |
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Virages
solaires
L'écran se découpe en deux :
une manchette à dérouler suggère un réel
charnel avec une série de photos des internautes connectés.
Un large pavé à correspondance incite au remplissage,
juste à côté. La nuit, ceux qui ne sortent pas
chassent sur le net. Tout est bruyant dans un "chat",
forum de discussion en direct sur dot.com "matrimonial".
J'imagine l'assourdissant cliquetis des touches des claviers-messagers.
Il y a des hommes qui s'ennuient et marquent le temps par errance
entre lignes écrites sans élan et curiosité
de l'autre. Il y a des serial fuckers qui s'infiltrent à
domicile par un bout de leur queue en pixels. Il y a un bataillon
de déficients affectifs qui utilisent leur ordi en logiciel
de sélection d'idéal amoureux absolu et non-engageant.
La cohue des mots entrebouffés par l'incrustation de photos
et le dialogue imposé qui condamne tout silence lettré
à rompre le contact avec son interlocuteur piquent les yeux.
Trop de bruit pour peu de chose. Clignez des paupières. Pour
beaucoup, recruter un amant ou un amour sur Internet, ou par réseaux
téléphoniques, n'est pas "naturel, parce qu'une
rencontre, c'est d'abord physique et fondée sur le hasard"
ou que "ce mode de rencontre est un contre-sens : on va
vers autrui par son enveloppe puis son contenu, et non l'inverse".
Rien ne me dérange dans cette forme de primo-rencontre et
le "chatting" s'avère parfois amusant et payant.
Mercredi, je harponne, au Voxx, un internaute rancardé
sous le regard amusé, et imposé, de Madame M &
Ms, K-Line, Mon Épouse et Cruz Poutre. Clignez des
paupières dans un corps à corps tendre avec le post-virtuel.
Au Toboggan, jeudi, nous assistons à la représentation
de Les applaudissements ne se mangent pas, par la compagnie
de Maguy Marin. De longues lanières colorées
en plastique emboîtent la scène comme ces rideaux d'été
fixés au pas des portes ouvertes pour protéger ses
habitants des insectes et de la chaleur. Les danseurs entrent et
sortent pour se séduire puis se dévorer jusqu'à
l'os. Une musique répétitive, crispante (et hélas
fatigante pour le spectateur) encastre les lutteurs dans un univers
réfrigérant. Ces allers-retours incessants, ce dehors-dedans,
pour finir en combats vicieux sous nos yeux ne prêtent pas
à l'évasion : ils claustrent. Christian Johan
Bégot sort de sa troisième représentation
("Je l'avais déjà adoré pendant la
Biennale") alors que Mathieu moue en trois mots :
"Cela ne prête pas à rire". Clignez des paupières.
Au Baryton, le mathématicien agrippe les jeunes filles afin
de tester leur culture littéraire. "Dites Mademoiselle,
vous savez ce qu'est une apocope ?" tape-t-il à
côté de la plaque à s'en rendre extraterrestre.
Un couple s'embrasse accoudé à une table tout en se
caressant les oreilles. Danse amoureuse étrange à
en sourire et cligner des paupières. Vendredi, Super
Pénélope et Julien Micro P. se coiffent
de leur coquille de Caliméro pour ne pas avoir été
invités au dîner donné par Mon Épouse
et OLB, à l'autre Confluent, Chez Francis. "On
s'en fout. On a un plan ailleurs" se relève le duo
au KiKiKaïKaï. Dans la paillote merveilleuse, Joël
embaume la salle de son tenace parfum Chanel. Maître XXY disparaît
sans salutation, à son habitude. Nadine Fageol doit
être certainement secouée par le sexy d'OLB pour ne
pas partir en virgule. Ce qui lui vaudra multiples "Tu es bien
calme ce soir". Après un digestif, les a capella parfaits
de Francis et Raphaël Ruffier font oublier aux convives
nos essais peu convainquant de duo avec Duchesse sur le régressif
Au pays de Candy ou le trop beau En relisant ta lettre de
Serge Gainsbourg. Clignez des paupières à la
porte de La Jungle. "Remonte ton pantalon et viens nous
rejoindre au Soleil" harcèle K-line sur le portable
pendant je peine à finir un serial fucker. Dans le club afro
de la rue René Leynaud, Sandrine B. me présente
le bonheur du week-end, un charmant et expérimental Dijonnais.
Félix, qui se laisse draguer par les deux bords de l'envie.
"Tu n'as aucune chance : il est hétéro
pur", croit savoir Joël alors que je caresse les reins
du jeune homme avant qu'il ne se blottisse contre la poitrine de
Sandrine. 8h du matin et la lumière nous éblouit et
allonge Félix, overdrunky et beau, sur le canapé.
"Match nul" juge Sandrine avant de cligner des paupières.
"Le pet de foufoune est la garantie d'un bon ramonage"
déclare Christophe Boum, samedi, à Laconque
en total relooking, cheveux châtains en balayage à
la Pamela Ewing. "C'est un carré destructuré"
frime la belle avant d'embarquer à la soirée disco
d'Ange et Manu à La Marquise. Nous apprenons, qu'après
Le Monde à L'Envers, La Cour et Le Pulps (tous condamnés
à fermer leur porte à 1h du matin pour des motifs
à résonance "sécuritaire"), L'Ambassade
rejoint ce trio dans le casse-nuit actuel et en voie de conformité
avec le futur slogan "Lyon, ville de sommeil". Dans la
Mercedes qui m'emporte vers les hauteurs, je n'imagine pas encore
que le taxi prenne un virage solaire. Je ramasse la clé sous
le paillasson et me glisse dans le lit de Pierre-Bertrand.
Fermez les paupières, une étincelle amoureuse en plein
corps.
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MERCREDI 09 AVRIL
2003 _ #221 |
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What
is this thing called love ?
Mardi,
ma joue posée sur son bas ventre tend l'oreille sur le nombril
de Pierre-Bertrand. Les mains de l'amourable calment, avec
des caresses à tordre de plaisir, ma peau maltraitée
par tant d'errances. Nous clignons des paupières au milieu
d'un lit d'attouchements bienfaiteurs. Poinçonné de
"je t'aime", "mon amour" et de "mon chéri",
notre accrochage charnel se poursuit jeudi.
Je suis calme, en dépressurisation, et presque fatigué.
Comme si cette fiction, ou cette réelle volonté (égoïste ?)
de Pierre-Bertrand à être amoureux, reposer ce corps
tendu par les nerfs et peu limité dans ma course permanente
aux excès nocturnes. Et puis, il est plaisant, même
si ce n'est qu'un mirage goûté avec méfiance
mais soif, de se voir souffler mots tendres et compliments. Clignez
des paupières. À l'apéritif que donne Dopebase,
chaque premier vendredi du mois dans son local de la rue
Chaponnay (quartier Guillotière), Cricri s'emporte
contre les autorisations de fermeture tardive ôtées
(ou non reconduites) aux établissements nocturnes de la Presqu'île.
Son discours rejoint ceux des tenanciers victimes de cette épuration
du festif et des noctambules "engagés". Le travail
de "mise en campagne" de la ville, entrepris avec zèle
par la préfecture, avance et se trouve être une aubaine
pour la mairie centrale qui évite ainsi un deuxième
effet "nettoyage" pas très bon pour son image (circa
son arrêté anti-prostitution). La ville ne bronche
pourtant pas et on l'imagine même applaudir secrètement
la petite tuerie organisée par la rue Servient, qui méconnait
la capacité qu'ont les gens de la nuit à créer,
inventer, contourner les problèmes. Ce qui ne sera plus permis
dans un cadre "légal" se fera (et se fait déjà)
dans le privé, dans le secret. Tant pis pour les moins biens
informés et hors des circuits du Lyon-d'en-haut. Tant pis
pour l'économie et le rayonnement de la ville hors de ses
boulevards périphériques. Tant mieux pour le créatif
et l'originalité. Les hommes politiques ne devraient jamais
oublier qu'ils n'ont aucun pouvoir à faire dormir leurs administrés
à une heure imposée, ou dite légale, par le
simple fait que la nuit est un espace social vital, de rencontres,
de rupture avec les solitudes et d'amusements. Clignez des paupières.
Au 10, Laconque nous débriefe sur son amie parachutée
dans son appartement : "Elle était en pleurs,
voilée de la tête au pied. Elle a craqué. Maintenant,
elle veut devenir pute". Mathieu n'en dira pas plus sur
sa reconversion à l'hétérosexualité
alors que tous s'amusent de la blague "Savez-vous que font
trois pédés à une blonde ? deux qui la
tiennent et un qui la coiffe". Clignez des paupières
au Matchico sous un nuage de fumée. Il y a pèlerinage
au théatre de la Croix-Rousse, samedi. Nous sentons
bien que le public d'adultes qui amène sa progéniture
rire avec le clown Buffo, accompagné par le violoniste
Pierre Amoyal, adule les écrits de Howard Buten,
écrivain-psy-clown. L'auteur de Il faudra bien te couvrir
grimace, se prend les doigts d'amour pour un violoncelle qui
se révélera être une maman prête à
ouvrir son bois pour un enfant à cordes ombilicales. Réprésentation
à laisser ses lèvres s'ouvrir de béatitude
ou d'enchantements. K-line et Super Pénélope
rectifient pourtant : "Buten, seul sur scène,
tu te pisses dessus du début à la fin. Il est capable
de beaucoup mieux". Je suis preneur. Clignez des paupières.
"C'est du lesbien canadien", transcrit Carla lors de l'inauguration
du T'chom, ex-Mushi-Mushi. "C'est mon t'chom, au lieu
de mon homme, disent les filles là-bas" ajoute la plus
vavavoum. "Là, il y a vraiment beaucoup de filles"
se gratte le t-shirt aiglé, Z2. Christelle Kanardo
Chambre et Sandrine B. s'installent sous les projections
diapo au rez-de-beuverie du Plastic People. Nous rejoignons
le duo de mères en célibataire après agrippage
du over-sexy Felix en phase d'être happé par
Lady Wonder, plante vorace avec laquelle je ne pourrai rivaliser
dans la prédation du dijonnais. Le bar associatif et nouvel
itinéraire obligé du revival rocky des allumés
nocturnes se trouve rapidement dévaliser de tous ses tonneaux
de bière et nous partons drunky vers le Soleil après
avoir trop forcé sur "tu veux en fait te faire sauter
mais masque ton envie par un discours intello" à un
quadra des Pentes. Dans le club en surchauffe, Lady Wonder nous
inflige une correction en se postant devant Felix avant de l'embrasser
à pleine gorgée. "Tu te dis prédateur
et sûr de récuperer le garçon dans ton lit ?"
part la nouvelle bombe au cou du belhomme. Fermez les paupières.
Sorties préventives
(courts-lettrages). Brèves
projections sur ce que les prochaines nuits auront de "Vital".
Ce samedi 12 avril dès 14h, Nassaboy et ses amis organisent
le Championnat International de Uno de Lyon au KiKi Kaïkaï
(10, rue Burdeau, quartier Pentes). Inscription à effectuer
d'urgence au 06 63 66 01 10. A partir du 14 avril,
Jérôme d'Art Canut, Elli et autres créateurs
ouvrent, au Prince de La Charité (70, rue de la Charité,
quartier Perrache), une exposition d'objets déco à
sortir impulsivement le chéquier.
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MERCREDI 16 AVRIL
2003 _ #222 |
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Ouverture
"Non, non. Ce n'est pas de la chanson
engagée. Enfin ils luttent contre la double peine et le Front
National", avait réussi à me convaincre
Mathieu pour l'accompagner au concert de La Tordue.
Mais, mardi, au Transbordeur, les deux groupes programmés
en première partie ouvrent une soirée pour post-pubères
fumeurs de joints et vaguement révoltés. Une suite
de duos balance dans la fosse des textes minorés et réducteurs
"sociétaux" par accords simplets de guitare sèche,
violoncelle ou accordéon. "C'est très
Amélie Poulain", essaie de me détendre,
Mathieu. "C'est très chanson-à-boire entre
jeunes pentards qui finiront conseillers bancaires en cravates et
écouteront en boucle le futur intégral de Carla
Bruni. Peut-être même, habiteront-ils le canal Saint-Martin",
charge-je. La Tordue aligne chansons engagées et réalistes
bien foutues mais sans aucun rythme. Ce qui m'éloigne de
la variété française est cette culture profonde
qu'affectionnent les gens du pays pour le texte, au détriment
du groovy : pour plaire et vendre ici, il faut que les interprètes
montrent qu'ils ont du coffre ou qu'ils narrent une histoire "intéressante".
La musique n'est qu'une triste accompagnatrice. Seuls, Gainsbourg,
la musique électronique et le hip hop national nous sauvent
de cette misère ambiante du pauvre son. Clignez des paupières.
Vendredi, nous entreprenons un zapping nocturne des bars
gays après avoir trinqué au Kikikaïkaï en
compagnie de Pierre-Bertrand. Au lendemain de la soirée inaugurale
du bar le plus dans l'air du temps et qui provoquait une grosse
colère de Super Pénélope pour s'en être
fait refoulée ("Elle voulait absolument un carton d'invitation
alors qu'on y tout le temps fourré. C'est fini de ce lieu"),
Emmanuel me représente Mariana, peste et dérisoirement
détestée. Mathieu insiste pour un passage éclaire
à L'United Café afin de mater quelques pimpos
provinciaux avant de nous retrouver à pleurer, rue Mercière,
devant les cages à poules du Restaurant Agricole. "Libérez
ces pauvres bêtes", menace-je les serveurs, un doigt
près des becs. "Mais, nous les changeons tous les deux
jours. Elles retrouvent une basse-cour pour souffler un peu",
se dédouanent les tortionnaires. Clignez des paupières.
"Ils te montrent la cage et tu choisis ta volaille. J'ai choisi
la plus craintive, la seule qui se tapissait au fond, par pure cruauté",
maline Carla au Medley après un souper au nouveau
restaurant de Michel Barthod. "C'est votre canard ?
Je suis heureux de connaître votre nouvel amant",
me félicite Julien-Justin à l'approche de Pierre-Betrand.
Line balance la tête et prétend : "Je me
suis colorée en blonde platine pour enfin retrouver l'intelligence".
Nous clignons des paupières lorsque sortent Mariana et Emmanuel
d'une private party, rue Neuve. "Je vous laisse mon téléphone
et vous promets de vous croquer dans toutes les positions"
abuse le dessinateur à en rendre jaloux mon boyfriend. Mariana
happe Mathieu pour une dernière danse à L'Ambassade,
rouverte "all night long". Samedi, au petit matin,
Pierre-Bertrand glisse sa bouche contre mon oreiller : "Je
ne sais pas si vous avez besoin de -Moi- dans votre lit ou juste
-Quelqu'un- dans votre lit". Question sans réponse.
Clignez des paupières. La trentaine de participants au championnat
international de Uno de Lyon se divise en plusieurs tables du Kikikaïkaï.
Je me fais descendre dès la première manche alors
que Mon Epouse, Super Pénélope et Cruz Poutre
défendent l'honneur du Carré d'Or à coup de
"Uno ! Si ! J'ai dit "Uno" ! Toi,
ne me cherche pas !". Chaque gagnant du round dispute
la pool de "la win" et les autres ramassent les miettes
dans une compétition dégénérée
de "la loose". Je m'insurge contre le fait que "les
losers ne pourront jamais être repêchés et réintégrer
le pool des winners", avant de me faire moucher par Vin.100
et Nassaboy. Après "Petite" et "Grande"
Finale, la remise des prix honore Mon Epouse, Antoine ou Doumé.
Je serai gratifié du prix de la mauvaise foi (sic). Pré-drunky
par une après-midi ludique et familiale à réinventer
au plus vite, nous partons fumer le narguilé avec Elodie
et Bruno Ansellem chez Sandrine B. Duchesse et K-Line jouent
les body-girls lascives de Robert V. sur un canapé en
osier hamiltonien et sniffent du poppers entre deux pommes en fumée.
Nous shampouinons sur les meilleures senteurs du marché (entre
Guerlain, Caron ou Yves Saint-Laurent) avant de tituber et cligner
des paupières. Dimanche, lors
du traditionnel hard strip au "Gay Tea Dance" du 10, Jacques
Haffner annonce la nuit-dédicace du pavé de la
bellissime Claire Carthonnet, J'ai quelque chose à
vous dire, le mardi 28 avril dans sa disco retapinée
en centre sexy huilé et ultra-mondain. Fermer les paupières
sur un moelleux et doux I've Got You under My Skin de Franck
Sinatra.
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MERCREDI 23 AVRIL
2003 _ #223 |
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Peur
sur la vie
Des
pas de course s'approchent de mon dos. J'entends crier mon prénom.
Je me retourne et vois trois silhouettes pourchasser un jeune homme,
Paul. Lundi,
3h, le ciel est encore chaud et mon âme dans le vague. Paul
s'époumone : "Je ne sais pas ce qu'ils me veulent.
Je ne leur ai rien fait." Un molosse s'approche de nous.
J'avance mon bras en sa direction afin d'essayer de parler. "Pousse-toi",
coupe la brute avant de lancer son poing dans la tête de Paul.
Par lâcheté (peut-être) ou parce que je ne sais
pas me battre (plus sûrement), je m'écarte d'une dizaine
de mètres alors que mon ami est mis à terre et fracassé
par les trois frappes. Le 17 répond qu'il arrive. J'ai
peur. Le coeur se bat contre ma peau de poule. En moins de trois
minutes, deux voitures de flics banalisées m'encadrent. Paul
s'enfuit plus haut, gratuitement détruit. Je suis embarqué
pour une virée en centre ville afin de retrouver les malfrats.
La batterie de bleus qui m'escorte ne m'impressionne pas. L'autorité
policière de la rue ne m'a jamais impressionné. En
attente à l'hôtel de police ou dans un commissariat,
un peu plus. Là, j'ai souvenir que tout se mélange :
gamins menottés, femmes en pleurs, mecs en sang, colts qui
vous passent sous les yeux. On ne sait plus quelles sont les victimes,
quels sont les agresseurs. Clignez des paupières. Lundi,
la chasse aux trois truands s'arrête net lorsqu'un type se
balade en pleine rue, un flashball cranté en main. La voiture
stoppe et tout s'accélère. L'armé est sommé
de s'allonger au sol, quatre flingues pointés sur sa face.
Je commence à cauchemarder sur la suite de cette nuit avant
de cligner des paupières avec difficulté. Comment
digérer ces temps de violence ? Avoir toujours peur ?
C'est ce que souhaitent les petits délinquants. C'est ce
que souhaitent également les pouvoirs publics et tous ces
hommes sarkotiques. Clignez des paupières. Le show-off des
rondes du samedi soir où une 3-6 blindée de policiers
mâles contrôle une 4-6 crachant du son et empilant quatre
caïds à la peau pas assez claire provoque un effet troublant :
ce même jeu du rapport de force, ce machisme du "j'ai
la plus grosse", qui suinte des caisses. Clignez des paupières.
"Dis bonjour à la caméra", nous amusions-nous,
il y a quelques nuits, les têtes tendues et grimaçant
aux yeux vidéo installés à presque tous les
carrefours du quartier Terreaux. Clignez des paupières. Le
21 avril 2002 ne serait peut-être pas un accident électoral
où le pays aurait demandé à ses dirigeants
d'être plus proches de ses préoccupations quotidiennes.
Il aurait plutôt poussé le bulletin un peu loin pour
exiger simplisme clair et réductions idéologiques
soit une certaine forme de populisme. Belle aubaine pour ces hommes
addictés au pouvoir qui, depuis un an, n'ont pas d'autre
courage politique que de sortir l'artillerie lourde de la vidéosurveillance
et des cars de CRS afin de réduire "l'insécurité"
et de montrer concrètement leur "uvre". L'Ordre
(et sa visibilité) est devenu un monument au même titre
que les grands travaux en dur que l'élu sort du sol afin
de convaincre ses électeurs qu'il "a fait quelque chose".
Les agresseurs de Paul doivent être punis. Que proposent cependant
nos maires à ceux qui n'auront pas une caméra dans
leur rue ou dans leur cage d'escalier ? Nos dirigeants ont-ils
oublié l'environnement social, urbain et éducatif
dans lequel germe, à chaque instant, une armada de futures
petites frappes ? Doit-on, à Lyon, décréter
un couvre-baston à minuit (ou à 1h pour ces présumés
causeurs de trouble "antisocial" que seraient les limonadiers)
où, tous, nous devrions nous cloîtrer et vivre dans
la peur de l'autre ? Clignez des paupières. Le week-end
nous amènera, vendredi,
à s'évader sur de l'early house savoureusement sillonné
par le toujours excellent Manoo et dj Touch à L'Ambassade.
Mathieu me jalousera de fricodanser avec une blonde ultra sexy avant
qu'Emmanuel B. me textote son départ de la Hot
Cargo du Transbordeur. Samedi,
je consomme les serial fuckers à La Jungle. Des tours
de queues sous la pénombre du bordel, en rappel de Sébastien
L. au DV1 : "Oui, je crois en l'amour.
Pourquoi cela te dérange-t-il ?" Fermez les
paupières.
Sorties préventives
(courts-lettrages). Petites projections
sur ce que les prochaines nuits auront de "Vital". Ce
mercredi 23 avril, Freaks revient au 10 (10, rue
Mulet, quartier Terreaux) avec les no-Djs Colas Rifkiss, François
Maihles et, s'il a retrouvé ses disques, Sébastien
Érome. Du 28 mai au 1er juin, le Festival des Nuits
sonores devrait voir défiler Ellen Allien, Schneider TM,
Roussia, Add'n To (X), Pan Sonic, Felix Da Housecat et Derrick Carter
dans plusieurs lieux de la ville. Que du bon qui fera certainement
oublier le visuel nullissime de ce premier festival électro
de la ville : une trop glamoureuse platine-disque sur un vieux
parquet pourri qui mérite une sélection officielle
pour le sacre du plan de communication le plus ringard de l'année.
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MERCREDI 30 AVRIL
2003 _ #224 |
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Under
the sunny blue
"J'avais
mes vieux disques des années 1980 mais impossible de les
utiliser : la plupart sont rayés",
peste Kevin des M & Ms aux pick-ups de Freaks 2, mercredi
au 10. Lascive, Carla lève le doigt avant d'approuver
le Breathe de Télépopmusic : "Ah,
enfin, la musique sort du sommeil". Au comptoir, Danielle
de la Galerie Archaï trinque avec Grande Cécile en échauffement.
Geneviève s'étonne dès son deuxième
drink : "Je bois l'alcool comme de l'eau. Tu fais pareil ?"
Nadine Fageol prévient : "Philippe Chavent
de la Pink Tower est colère : il n'a pas été
convié à cette fête et, par mesure de rétorsion,
ne te fera pas découvrir sa nouvelle carte des Terrasses".
Clignez des paupières. Alors que Marie-Charlotte envoie un
"Quand je vois qui tu te tapes et qui je me tape, tu me
dois bien 3 coupettes", en missive à une Isabelle
Dejeux en raccord parfait entre champagne à volonté
et sourires d'un gentleman charmeur, Colas Rifkiss joue le
deejay hip hop. À travers un bouquet de fleurs en lumière
rouge, Mathieu mate un jeune pimpo, regard plissé à
laserifier ses yeux-étoiles, un gilet de chasseur multipoche
et un paquet de Cartier au bout des doigts. Clignez des paupières.
Nous saluerons Sophie 'vavavoum'Descroix, Nathalie Cayuela,
Julien Micro P., Kanardo family ou Nicolas Stifter
et le Concept Food duo suivi par Laurent Gaudin. Patrice Armengau
vient me souffler : "J'ai un scoop pour vous. Patrice
Béghain vient d'embrasser Claire Carthonnet".
La belle sourira plus tard, tout en effectuant une petite sélection
musicale : "Ca change de Collomb
et Touraine". Clignez des
paupières sur ce deuxième rendez-vous "no-djs".
Au bar de La Ruche, jeudi,
le "moi-je" de certains gays accouche d'un "Tu
vois, une mise en scène de E.T. par moi aurait donné
un résultat fondamentalement différent de celle faite
par Spielberg", idiotie-à-rire sérieusement
pronostiquée par un théâtreux. Clignez des paupières.
"Tous les deejays à qui j'ai envoyé le morceau
sont unanimes : c'est une petite tuerie. Produire ce titre
m'a physiquement épuisé", annonce Dj Arnie,
vendredi,
à notre table de Koutoubia. En sortie de ses heures
à s'occuper de sa communauté "acid et early house"
sur le net, le discret se moque de l'amant brésilien de Christian.
Ce dernier se défend : "Bon, il ne faut pas le
voir danser, c'est tout. Là, il part un mois au Chili puis
revient travailler au Ritz. C'est un bon plan pour un séjour
parisien de luxe". Clignez des paupières. À L'Ambassade,
un ordinateur portable drive le mix garage du nightclub. "Il
utilise le logiciel Final Scratch qui injecte les données
des fichiers mp3 dans les sillons de deux vinyles codés.
Le deejay n'a plus qu'à amener son ordi et ses deux galettes.
C'est fini les flycases à traîner sur des roulettes
et tes disques que tu abîmes", s'emballe Arnie avant
de croiser sa langue avec celle du ravissable Yann, droit sur ses
genoux en appui sur un sofa du Medley. Clignez des paupières.
Nos cabines à baise se font face. Assis dans la première,
jambes allongées et avant-bras en croix, je regarde un serial
fucker, debout dans la deuxième. Dans un bordel, l'art du
sexe rapide consiste à attirer la main de son partenaire
sur sa peau, dans mon cas, à lui faire effectuer le premier
pas afin qu'il se sente demandeur. In extenso, soumis à mes
désirs. L'appât de l'autre se fait par l'attitude physique.
Tout se flaire autour d'une danse silencieuse, animale et sexomagnétique.
Enfin, le partenaire désigné se rapproche, entre puis
ferme ma cellule à copuler. Clignez des paupières.
Samedi,
Mon Épouse et Cruz Poutre nous chassent de la ville
pour une partie de campagne dans la villa familiale, accrochée
au rocher d'un village du Gard. Entre deux pages de Jalouse et Voici,
Super Pénélope questionne Duchesse, en extase
sur une chaise longue : "Maintenant que j'ai fini mon
atelier "lime à ongles", je pose une ou deux couches
de vernis ?". Échange pré-estival tout aussi
fondamental que le reproche fait par K-line à la gent masculine :
"Les mecs, lorsque vous finissez de pisser, vous pourriez vous
tamponner le gland afin de ne pas pourrir la cuvette des chiottes".
Le week-end défile lentement sous un doux soleil entre jeux
de sociétés primaires (Uno et Mafia), photo-jets sur
fainéants assoupis et forte alcoolisation nocturne. Lady
Wonder et Félix joueront tout le week-end au couple en décalage
horaire. Raphaël Ruffier tentera de nous faire peur
dans un cimetière abandonné par lecture de nos noms
respectifs sur les pierres tombales abattues dans de hautes herbes.
Clignez des paupières. Lundi,
nous pataugeons les pieds dans le Gardon. Au loin, une banquise
de grenouilles en chant berce notre pique-nique bienheureux. Je
regarde une dernière fois la plage de galets, tape ces derniers
mots puis ferme l'Ibook et les paupières.
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MERCREDI 07 MAI
2003 _ #225 |
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Déroutes
Sylvain
dicte sa personnalité avec l'assurance et les jugements définitifs
des hommes trop peu sûrs d'eux pour s'aventurer à exposer
leurs faiblesses. mardi,
au 10, nous fendons la cohue des futurs lecteurs du J'ai des
choses à vous dire, de Claire Carthonnet pour s'isoler
dans un salon particulier du bar. Le jeune homme, attrapé
sur le Net, se parle et ouvre quelques sourires questionneurs. Clignez
des paupières. Les derniers rayons du soleil captent une
foule dans la rue Mulet où, le coeur amoureux, Lady Wonder
quitte Felix. Catherine A., toujours aussi borderline, se réjouit
de la jolie dédicace faite par la Lyonnaise la plus en vogue
du printemps. Nous prenons nouvelle de l'avancement des travaux
du futur "spot" nocturne situé dans une ancienne
chapelle à 5 minutes de Perrache. "Le gros uvre est
terminé et l'ouverture est prévue pour mi-mai voire
début juin", avance le directeur d'artistique. Clignez
des paupières. Patrice Béghain s'éclipse
avant de réapparaître et se siamoiser au côté
de Guy Walter. Clignez des paupières dans un long
baiser romantique à Sylvain sur une marche croix-roussienne.
mercredi,
Duchesse et Super Pénélope poursuivent leur
"rigolothérapie" à Tombé du Ciel
et miment la chorégraphie eighties des Trois Nuits par
semaine d'Indochine. "Trois nui-heu ! Trois
nui-heu !" se balancent-elles, corps raidis et bras
en shaker. Clignez des paupières. Le fond sonne "garage"
soulful et new-yorkais. La surface se crade de blip acidifiés
et de tâches de basses saturées et pourries. Dj Deep
renverse Super Pénélope à L'Ambassade
d'un dj-set à la luxuriance moins convenue, plus abrasive.
Surprenant et à nous faire transpirer de plaisir. Clignez
des paupières dans une dernière descente des escaliers
du Medley. jeudi,
dans les chiottes de l'United Café, Mad Dog
concourt au titre du "meilleur suceur de la ville". "Je
suis toujours dans la course ?" interroge l'adorable
en glissant sa main sur ses lèvres mouillées. Clignez
des paupières. "J'ai passé ma journée
à baiser : je me suis fait dix mecs tout en m'accordant
une pause pour aller manger chez Pizza Pino. Évidemment,
je me suis changé et mis tout propre pour y aller",
se vante un serial fucker douteux dans le couloir de la Jungle.
Sous l'emprise d'un Subutex, un chasseur se moque : "Pour
Pizza Pino ? Fallait pas". Clignez des paupières
lorsque le MD balance, en ping-pong dans les écouteurs, un
circonstanciel "mess around, mess around, mess around"
du Fine Time de New Order. "Je ne veux pas être dérouté
de mes ambitions professionnelles par une histoire d'amour",
affirme Robert V à Duchesse et Joël lors d'un souper
en appartement, vendredi.
Mon désir d'être enlevé refait alors surface :
se placer sur une ligne droite et directive m'ennuie. Monter, avec
ignorance, amoureux, reflète cette envie de me faire surprendre,
de ne pas comprendre, de perdre la raison. Ma fascination pour le
crime passionnel ou le suicide se source dans cette curiosité
des déroutes inintelligibles. Clignez des paupières.
"Je me suis marié par convention", sourit Anthony
en face de sa jeune compagne lorsque je caresse le torse d'un Stéphane
au sourire angélique et fashionetta parisien épaulé
dans une veste Barbara Bui. samedi,
Olivier Auguste fête son anniversaire et reçoit, dans
son atelier, borderliners et la branchitude locale. Z2 alimente
le salon de rythmiques drum'n'bass pendant que David Cantéra,
dédrunkisé, coffre la cave dans des beats upliftin.
Au test des sobriquets usés par nos parents lorsque nos âges
étaient plus tendres, Helena Roche partage :
"J'avais le même que toi ! C'est rare. Le pire
est que certains continuent à t'appeler avec ce petit nom
alors que tu n'as plus cinq ans". Les cuisses massives
et ouvertes sur un string noir, une invitée ordonne :
"Donnez-moi à boire !". Jérôme
d'Art Canut plie ses mollets joliment poilus sur sa chaise.
"On teste tous les cocktails. Un truc de fou : il y a
des flaques d'eau au plafond et l'équipe est une association
de gens atypiques, un peu tarés", plaisante le décorateur
en sortie du Buldo de la Stifter Family, ouvert dès
cette semaine à l'île Barbe. Clignez des paupières.
Nous rapatrions Emmanuel B. sur la party et le bel architecte
ne me décrochera plus. "Je veux te dessiner, te croquer",
insiste-il alors que Stéphane pend mes lèvres et Anthony
voudrait me basculer dans son monde intangible. Clignez des paupières
dans la transpiration matinale d'une addiction sexuelle avec l'inconnu
parisien. "Alexis le retour", fluorise le portable, dimanche.
Je course le "vieux beau", dixit l'amourable, en terrasse
du Cap Opéra attablé avec Super Pénélope
et Mathieu. Je me lamente de devoir partir pour Boston et ses banlieues
chics où ma vie se réduira à plager au bord
de l'océan, manger du homard et faire du bateau sur le lac
d'un lotissement pour WASP fortunés. Seul bonheur instantané,
sans ombrage calculateur : voir Alexis et manger son corps
entre un pimpo se branlant sur le comptoir du 10 et Mathieu
perdu dans sa bisexualité à l'United Café.
Fermez les paupières.
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MERCREDI 14 MAI
2003 _ #226 |
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Guérilla
"Vous avez un look intemporel, à
contre-courant", relançait Claire lorsque
notre quotidien était lié. Être à la
mode n'est pas la première de mes occupations : je suis
mal rasé, les dents jaunies, les cheveux grisonnants en broussaille
et adepte du shopping à peu près tous les cinq ans.
Nonobstant, je regarde les pratiques de mes contemporains avec intérêt
parce qu'elles révèlent l'état de notre société.
Nuits, fashion, stupéfiants, modes de vies et musicales ne
sont finalement que de crus rejetons du présent. Afin de
ne pas passer les beaux jours tel un bouseux provincial où
un contre-urbain, voici la revue en large d'une époque "guérilla".
Musiques. Voilà trois ans que la soit disant Electroclash
(avec son look associé) agite les pieds sur les dancefloors :
bâtardises de rock, punk et pop, elle se gave de beats électroniques
un peu cracra et pousse les kid-clubbers à adopter une attitude
punky avec ceinture cloutée, cheveux colorés et nonchalance
de junky. Parallèlement à ce mouvement dont les Allemands
sont les plus gros pourvoyeurs de sons, le rock pur de dur remotive
les chevelus et ne se gène plus pour investir les fêtes.
Plus pointu et encore confiné à une petite élite
ultra-branchée, le revival de l'Early & Acid House plonge
les vieux trentenaires de la grande époque des raves et prises
de MDMA pour un trip nostalgique. Plus prometteur, le speed-garage
(mélange de ragga, soul et garage accéléré)
qui n'a jamais emballé autre danseur que le Londonien serait
destiné à devenir encore plus taré et à
conquérir, enfin, le monde des night-clubs. À Lyon,
les deejays font hélas toujours tourner leurs vieux disques
de house estampillés "lounge" et "tube à
Ibiza" ou sillonnent des rythmiques drum'n bass usées
pour Pentards croix-roussiens post-pubères. Clignez des paupières.
Fashion. Il y a du ménage à faire dans les
penderies lorsque l'on voit les fringues que portent certains frimeurs.
La ringardise touche tous les porteurs de pompes Puma et jeans délavés
aux fesses en raccord avec une pauvre chemise froissée. Pour
les dames, la mode est toujours aux chaussures ultra-pointues (quitte
à devoir faire un bain de pieds en fin de nuit après
avoir torturé ses orteils dans une épingle de cuir
ridicule) et montées sur de petits talons (très pratique
pour les foulures sur grilles d'aération dans le bitume).
En étage, elles se doivent de porter de l'ultra court imprimé
et des accessoires de couleur obligatoirement rouge. Quel diktat.
Sic. Pour les messieurs, le nec du chic consiste à s'étriquer
dans une chemise blanche, sans un seul mauvais pli, et se pendre
à une fine cravate noire. Aux pieds, des Adidas rouges (encore)
ou Converse haute, forcément haute. Enfin, le retour du treillis
originel pour tous. Voilà la grande affaire de l'été :
la tenue paramilitaire, guérilla des rues. Pompes montantes,
inspiration de la bonne Rangers du G.I., et pantalons multipoches
raccourcis jusqu'à mi-mollet (histoire de montrer que l'on
est prêt à traverser le Rhône à la nage)
seront les deux symboles de la fashion estivale. Clignez des paupières.
Stupéfiants. Je ne vais pas faire la promotion de
l'usage des drogues. Seulement, toujours plus, elles s'infiltrent
dans tous les milieux et leur prise ne se cantonne plus au seul
festif nocturne : on se drogue au travail comme en soirée.
L'ecstasy est le fou du roi indétronable des shoots pour
excités lyonnais. La consommation de cocaïne explose
et se répartit entre la haute bourgeoisie où l'on
signale "qu'on a pris de la 40" (ici, "40" signifie
le pourcentage de pureté minimale de la dope) et le petit
commerçant qui saigne du nez sur un rail synthétique.
Les plus junkés testent médicaments et héroïne
en poudre. La masse se noie dans l'alcool sans grand risque de répression
policière. Bienvenue dans une société largement
shootée. Clignez des paupières.
Vocable. Rien de plus énervant, et à vous faire
sourire de moquerie, que d'entendre ou lire : "C'est tendance !".
La "tendance" est à bannir ce mot de son dictionnaire.
On lui préférera "à la mode", ou
mieux en plus snob, "dans l'air du temps". Toujours dans
l'esprit du combattant urbain, tout terme qui peut caractériser
une certaine violence se refourgue dans des phrases définitives :
"J'ai passé une nuit très rude" rivalise
avec "C'était trop corrosif !" ou "un
son trop abrasif !". Enfin, après avoir usé
jusqu'à leur dernière lettre les "hype",
"mainstream" et autre "sociétal", l'intelligensia
présumée découvre aujourd'hui le "think
tank", littéralement "réservoir à
réflexions". Aucun média ne loupe l'occasion
de placer son "think tank" dans le texte afin de décrire
toutes ces petites matières grises qui réfléchissent
à notre futur. Fermez les paupières sur cette chronique
trop "think tank".
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INSTINCT NOCTURNE
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Écrit
par Baptiste Jacquet |
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire
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