INSTINCT NOCTURNE

Écrit par Baptiste Jacquet
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire

 
MERCREDI 12 MARS 2003 _ #217
 

Lorsque le jour se lèvera

"On va s'entraîner à mort !" se réveille, mardi, le Carré d'Or (Mon Épouse, Duchesse, K-Line, Super Pénélope, Cruz Poutre et Julien Micro P.) au Mushi-Mushi. Après avoir lancé, l'été dernier, l'idée d'un grand championnat international de Uno, Nasser réalise enfin notre rêve : "Il y aura même un représentant du fabricant Mattel". Le rendez-vous pris pour le 12 avril : au Ki Ki Kaï Kaï, nous clignons des paupières en d'amicales embrassades avec Kamel. De ce que l'on ne naît pas et avec quoi on tente de se couvrir la raison afin de travestir cette réalité trop en prise avec les doutes sur sa condition. Ou, du pourquoi vouloir être celui que l'on sait ne jamais avoir à connaître. Mathieu intellectualise sa vie en terrasse du Nord, mercredi. Il m'arrive parfois de me demander si le lecteur de cette chronique me considère comme un pédé qui souffre de sa condition de pédé ou un homme qui ne sait pas tout à fait quelle direction il emprunte ou quel est son but final, juste avant la mort. Je prétends poser questions de vie et non exposer mon mode de vie. Mais ma démarche n'est pas toujours très claire : le pas est trop peu déterminé. Clignez des paupières. Au 10, Laconque nervure ses jambes de bas résille noir pour laisser fleurir une jupette en tulle multicouche avant d'être massée par Mathieu à son dos défendant. Christophe Boum et Primabella se drunkizent à la vitesse du son, puis courent dans tout le bar en chasse de Rocco, le canin de Jacques Haffner. Clignez des paupières. "Tu ne veux pas que je me mette à quatre pattes ?", s'approche Christophe de Stéphane B. à l'United Café. Nous commentons l'esthétique du nouveau nez, légèrement retravaillé, du toujours convoité. Un inconnu provocateur me place devant lui et me demande de l'embrasser sans bouger. "Non, reste là s'il te plaît : je suis en train de pisser contre le mur", abuse le bucolique. Je cligne des paupières, la tête de Christophe calée sur mon cou et son corps massif en liquide contre ma carcasse. Vendredi au 10, Jean-Albert liste son programme de la Fashion-Week : "Je vais peut-être rater la fête organisée au dernier étage de l'Arche de la Défense mais il y a celles de Colette et de Technikart dans le courant de la semaine. Je me suis calmé au niveau fête. Ma sortie obligée demeure KABP, le reste". On le retrouvera pourtant en fin de nuit en posing destroy au DV1 et se lamenter sur "cette techno indansable et mal foutue". Clignez des paupières, un rire en bouche, lorsque Gilles du Medley se travelote en beatnik chevelu avec une pancarte taggée "Non ! À la guerre !". Samedi, le Ninkasi Opéra ouvre sa déco prototype. Les balançoires, peu conviviales en guise de tabourets de comptoir, agitent des conduits en aluminium qui déversent dans des tubes un spectre de lumière douceâtre. Les plus gros fêtards de la ville découvrent le nouveau lieu en titubant sur de la musique soul. Certains ne cessent de s'inquiéter sur l'épuration effective des lieux nocturnes du centre ville entreprise par la préfecture et la mairie. Gaëlle Communal présente son nouvel amour américain et délicat. Jérôme d'Art Canut et Olivier alignent les pichets de bière maison pendant que je tente une approche écrite sur Julien Le Grand. Sur un papier plié : "Voudriez-vous faire plus ample connaissance ? Proposition plus ou moins malhonnête, qui plus est maladroite". Julien me glisse en poche sa réponse : "Suis très droit et honnête (lol) mais très attaché à mon amie". Clignez des paupières. Une course sans suite nous fera fermer Tombé du Ciel en compagnie de Julien-Justin et comparses avant de descendre au Medley puis remonter à La Jungle. Deux jeunes hommes en slip hurlent entre les serial fuckers. L'un deux porte des lunettes de plongée et crois savoir que "si je vais dans la backroom en sous-sol, je suis certain d'atteindre les profondeurs du néant". Fermez les paupières sous les guitares rocky de The Rapture.

Sorties préventives (courts-lettrages). Petites projections sur ce que les prochaines nuits auront de "Vital". Ce jeudi 13 mars, Concept Food sert la soupe (du pote O'feu) au Rectangle avec deejays et toujours l'Atelier Van Lieshout. Le 12 avril, Nassaboy et ses amis organiseront le Championnat international de Uno de Lyon au Ki Ki Kaïkaï. Ré-actline : 06 63 66 01 10. Encore plus loin, Sonar Festival se déroulera les 12, 13 et 14 juin à Barcelone. Le centre du monde électro concentrera durant trois jours et trois nuits, au hasard : Matthew Herbert, Ladytron, Dj Hell, Miss Kittin, Metro Area, Markus Detmer et autres mastodontes de la House Nation. La programmation de Björk ou d'Underworld semble moins "fashion" que celle des Pet Shop Boys l'an dernier (on aurait bien vu une Kylie Minogue, icône ultime de la branchitude globale) mais tout s'annonce pour le mieux. infos : www.sonar.es.

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MERCREDI 19 MARS 2003 _ #218
 

All day and all the night

Au loin, des perles humides de lumière filent s'écraser sur les berges. L'eau noire du fleuve graisse les baleines en béton armé qui thoraxent la terrasse de la Piscine du Rhône. En ses entrailles, lundi, le "Meeting poétique" inaugural du Printemps des Poètes chérit promeneurs nocturnes, artistes, comédiens et lettrés. Le coeur de la langue ne bat plus assez fort pour respirer à pleins poumons. Au bordel littéraire mouvant et pseudo-improvisé qui avait réussi, lors de l'édition 2002, à extraire et amplifier la magie du ventre nautique succèdent des performances et lectures statiques qui corsettent le visiteur dans un imaginaire trop étriqué. Clignez des paupières. Au Rectangle, jeudi, des Fashionista arty se laissent guidés par des bodybuildés sur les bancs de musculation, une verre pendu au poignet cassé, le sac à main en guise d'haltère. Concept Food continue ses rendez-vous Soup mix pour créer l'émeute autour d'une casserole de pot-au-feu. Isabelle Dejeux grince dès son arrivée : "Il y a trop de monde. C'était plus chaleureux la dernière fois à La Marquise". Des corps sirotent, allongés sur de grands duvets blancs. Du bruit, beaucoup de bruit. Super Pénélope dresse le court listing de "tous mes ennemis, ici présents" alors qu'Agnès, jeune designer de fauteuils improbables, trouve Laurent Gaudin "très séduisant mais j'ai repéré un jeune mec qui, j'en suis sûre, n'attend que moi". Philippe Moncorgé fait discussion à part, loin de Marie-Charlotte, et s'apprête à lancer un nouveau projet lunaire et très certainement inutile, donc indispensable. Je ne lui laisse pas le temps de m'éclaircir sur cette création et me jette sur une vitre embuée pour y inscrire : "My Heart Belongs To Mammy". Clignez des paupières. Après un exercice de poids avec Pierre Budimir, des baisers aux M & Ms (Géraldine et Kévin), Sylvie Perret et Agnès Vézirian, François Kanardo Verdet nous entraînent au vernissage de La Nombreuse au Modern Art Café. Avant chemin, nous aurons eu le temps d'harponner le jeune timide, "je m'appelle Laurent. Je suis d'Orléans", courtiserie de la designeuse vampire. La terrasse déborde de kids-skaters et borderliners. "A l'intérieur, c'est freaks", ressort, transpirante, Super Pénélope. Julien Micro P. cligne des paupières sur sa Vespa. Nous ne rejoindrons pas David Cantéra pour danser sur le set époustouflant de Mr Scruff à La Marquise mais jouerons la séduction sur l'investissable Laurent au Matchico, bar où personne ne peut faire la gueule dans son coin tellement il y a de bavards sous l'épaisse couche de fumée tabageuse. Agnès Morel gagne la partie avec le provincial d'une entre-confession : "J'ai besoin d'un câlin". Clignez des paupières. Des pans vitrés, enquillés les uns derrière les autres, dupliquent le corps des danseurs. De petits écrans à projections amplifient, floutent les battements de jambes et mains. Vendredi, Saburo Teshigawara bascule la Maison de la Danse dans une oeuvre belle mais difficile. Je n'arrive pas à larguer ma quête de compréhension pour rejoindre l'instable, ces résonances lumineuses qui déforment ou multiplient, ce combat pour l'unité de l'être, ses rêveries, les traces que l'on veut au delà de la vie laisser, cette pleine sérénité atteinte en fin de course. Le spectacle est trop intelligent pour un homme qui n'a pas assez dormi. Clignez des paupières. Après une invitation à souper au Crème (2, rue Fernand-Rey, quartier des Pentes) en compagnie de Super Pénélope, nous tablons avec Mon Épouse, Duchesse, Cruz Poutre et Joël au KiKi KaïKaï (10, rue Burdeau, quartier des Pentes), nouveau bar brocante à la mode. Troublé par la présence de Patrick, mon amour au plus que conditionnel, j'oublie la discussion du Carré d'Or autour de "la fellation complète soit la F.C. et l'interrompue, la F.I." définies comme "celle où tu avales et l'autre pas". Clignez des paupières. Samedi, Joël ouvre son duplex avec terrasse-à-alcoolisme à "des troupeaux de créatures anglaises avec des seins de partout", pointe Duchesse. Maître XXY affirme que je "ne peux pas ne pas croire en l'amour" alors que je lui explique que la croyance à besoin d'idéologie. Or, je n'ai aucune idée sur ce que sera mon prochain amour, ni quand il se manifestera. Duchesse cligne des paupières sur cette surboum enivrante en hurlant le "Girl, I want to be with you all the time. All day and all the night" des The Kinks. Dimanche, au Gay Tea Dance du 10, Richelieu promet de venir rire à Freaks, ce mercredi 19 dans ce même bar, où je suis censé jouer au pousseur de disques. L'auto-promo faite, Guy Darmet en retour du Bresil corrige l'impression mitigée que m'a laissé le spectacle de vendredi. "Évidemment, si tu te couches à 7h du matin, tu n'es pas forcément en bonne condition pour apprécier ce spectacle", abuse-t-il d'un sourire. Claire Carthonnet se prend au jeu du vouvoiement et annonce la sortie de son livre pour le 28 avril chez Robert Laffont. Fermez les paupières.

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MERCREDI 26 MARS 2003 _ #219
 

En souvenir de Sir Lawrence

J'ai les mains moites et le visage chaud. De l'autre côté de la nuit, j'expérimente, mercredi, au 10, le rôle de pousseur de disques pour l'apéritif Freaks organisé par Beadoa et Jacques Haffner. Étant un des maîtres d'oeuvre de cette petite virgule nocturne, j'écris ces lignes avec gêne. Puis-je évoquer cette soirée sans tomber dans l'auto-congratulation ou atteindre le sommet de mon narcissisme cafardeux ? Peu importe. Je veux me mettre dans la peau du "no-dj". A force de taper sur le petit monde de la MK2 local, il me fallait agir pour mieux casser ou me faire casser. Clignez des paupières. Beaucoup de mes proches se revendiquent "enfants de la télé". Je resterai pour toujours un "enfant de la radio". La bande FM a explosé pendant mon adolescence de jeune pubère enfermé dans sa chambre, peu sociable, les oreilles collées au transistor à griffonner des titres de chansons et à appuyer sur la gâchette "record" du radio-cassette. Tout avaler : la vague pop romantique, la new-wave, la cold-wave, l'italo-dance et autres vieux standards disco. C'est en 1986 que je rencontre la révolution house qui changera notre rapport à la musique-à-danser pour longtemps. Jusqu'à aujourd'hui. Early house, hip-house et acid-house ont renvoyé le dj-attrape-bimbos-et-je-parle-dans-le-micro dans la ringardise. En moins de 20 ans, le deejaying s'est répandu des pionniers de la House Nation à l'ensemble des ados. Aujourd'hui, la boucle se referme : le dj est mainstream (le pic est atteint en 2001 avec Jean-Édouard, du Loft) et retrouve ses peu glorieux ancêtres, tombeurs de jupons et petits prétentieux souvent sans talent, et surtout, sans le sens de la dérision et de l'éclectisme. Le deejay spécialisé et bourrin n'est plus à la mode : les "must go" des soirées parisiennes demeurent KABP à La Boule Noire avec Patrick Vidal, dieu du mélange des genres, et Kill The Dj au Pulp. Le succès de 2 Many Djs, bousilleurs, short-cutters doués et boîtes noires de la variété, en rajoute dans le mouvement anti-DJ. Clignez des paupières. Suis-je un bon "no-DJ" ? La fête est-elle plaisante et rieuse ? Cruz Poutre avance : "Là, tu essaies de mixer. Pourquoi ne pas faire des "Shuffle Parties" comme à New York : tu mets des morceaux en tout genre dans un ordinateur et il les balance dans n'importe quel ordre ?" Nadine Fageol se plaque contre mon dos et ondule sur un vieux standard deep. Marie et Jacques Perrichon soupirent : "Il y a tromperie sur le concept de cette soirée : tu ne casses pas assez les styles". Carla et Helena Roche s'emportent sur le Plastic Dreams de Jaydee alors que Colas Rifkiss, Christophe Boum et Pierre Budimir sont partants pour jouer les programmateurs musicaux lors d'une prochaine session. Doumé recale le pitch d'un morceau rocky et Kamel, salement viré du Mushi-Mushi, trinque au bar. Clignez des paupières et remerciements au soutien apporté par Nathalie Cayuela, Marie-Charlotte, Gaelle Communal, Laconque, Marie et Vincent, Nathalie et OLB, Mariska et Antoine, Sophie et Jean-Marie, David Cantéra, Pierre Le Magnifique, Frédéric, Bruno Ansellem, Le Guilloux NDC, François Kanardo Verdet, Julien-Justin, Mathieu, Philippe Moncorgé, Alain Turgeon, Nicolas Stifter, Nasser, Michel Cavalca, Jean-Pierre Bouchard, Jean-Paul Brunet, le Carré d'Or et à tous les "freaks" présents. Au KikiKaïKaï, repère de beaux-arteux jeunes et jolis, la tablée relance le sujet phallique. Vendredi, Super Pénélope conte la masturbation d'un hamster ("il s'assoie et s'astique avec ses petites pattes avant") alors que K-Line questionne, accompagnée par Duchesse en mime "réalistic" des copulations entre rats-avec-des-ailes : "Les pigeons ont-ils une bite ?". Le printemps est là. Clignez des paupières. "Je t'ai aimé. Je crois t'aimer encore mais ne sais pas trop pourquoi", me lèche à l'oreille Rachid, au Medley. L'homme aux yeux en diamant noir tente de me basculer sans succès. Nous courons à L'Ambassade se drunkiser au milieu de kids clubbers et de music lovers. Clignez des paupières. "Je dois prendre ma garde à 9h", s'endort ASSA 2003-18 sur mon corps cassé. Je glisse ma main sous son t-shirt et cale mes doigts sur le sternum renfoncé du tendre militaire. Nous clignons des paupières, mes lèvres en surligne de ses sourcils. Samedi, nous manifestons contre la guerre en Irak. Je ne me sens pas à ma place au milieu de ces slogans concrets et pas toujours du meilleur effet. Je participe parce que, de façon abstraite, le début de ce nouveau siècle me fait peur : trop violent, trop répressif, trop simpliste, trop idiot. A chaque échelle (mondiale, nationale, locale), il y a tentative d'étouffement et de réduction des libertés et du droit. Fermez les paupières en souvenir de Sir Lawrence, dans le David Lean, qui assure : "J'aime le désert parce qu'il est propre". Plus tard, une goutte de sang tachera cette virginité.

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MERCREDI 02 AVRIL 2003 _ #220
 

Virages solaires

L'écran se découpe en deux : une manchette à dérouler suggère un réel charnel avec une série de photos des internautes connectés. Un large pavé à correspondance incite au remplissage, juste à côté. La nuit, ceux qui ne sortent pas chassent sur le net. Tout est bruyant dans un "chat", forum de discussion en direct sur dot.com "matrimonial". J'imagine l'assourdissant cliquetis des touches des claviers-messagers. Il y a des hommes qui s'ennuient et marquent le temps par errance entre lignes écrites sans élan et curiosité de l'autre. Il y a des serial fuckers qui s'infiltrent à domicile par un bout de leur queue en pixels. Il y a un bataillon de déficients affectifs qui utilisent leur ordi en logiciel de sélection d'idéal amoureux absolu et non-engageant. La cohue des mots entrebouffés par l'incrustation de photos et le dialogue imposé qui condamne tout silence lettré à rompre le contact avec son interlocuteur piquent les yeux. Trop de bruit pour peu de chose. Clignez des paupières. Pour beaucoup, recruter un amant ou un amour sur Internet, ou par réseaux téléphoniques, n'est pas "naturel, parce qu'une rencontre, c'est d'abord physique et fondée sur le hasard" ou que "ce mode de rencontre est un contre-sens : on va vers autrui par son enveloppe puis son contenu, et non l'inverse". Rien ne me dérange dans cette forme de primo-rencontre et le "chatting" s'avère parfois amusant et payant. Mercredi, je harponne, au Voxx, un internaute rancardé sous le regard amusé, et imposé, de Madame M & Ms, K-Line, Mon Épouse et Cruz Poutre. Clignez des paupières dans un corps à corps tendre avec le post-virtuel. Au Toboggan, jeudi, nous assistons à la représentation de Les applaudissements ne se mangent pas, par la compagnie de Maguy Marin. De longues lanières colorées en plastique emboîtent la scène comme ces rideaux d'été fixés au pas des portes ouvertes pour protéger ses habitants des insectes et de la chaleur. Les danseurs entrent et sortent pour se séduire puis se dévorer jusqu'à l'os. Une musique répétitive, crispante (et hélas fatigante pour le spectateur) encastre les lutteurs dans un univers réfrigérant. Ces allers-retours incessants, ce dehors-dedans, pour finir en combats vicieux sous nos yeux ne prêtent pas à l'évasion : ils claustrent. Christian Johan Bégot sort de sa troisième représentation ("Je l'avais déjà adoré pendant la Biennale") alors que Mathieu moue en trois mots : "Cela ne prête pas à rire". Clignez des paupières. Au Baryton, le mathématicien agrippe les jeunes filles afin de tester leur culture littéraire. "Dites Mademoiselle, vous savez ce qu'est une apocope ?" tape-t-il à côté de la plaque à s'en rendre extraterrestre. Un couple s'embrasse accoudé à une table tout en se caressant les oreilles. Danse amoureuse étrange à en sourire et cligner des paupières. Vendredi, Super Pénélope et Julien Micro P. se coiffent de leur coquille de Caliméro pour ne pas avoir été invités au dîner donné par Mon Épouse et OLB, à l'autre Confluent, Chez Francis. "On s'en fout. On a un plan ailleurs" se relève le duo au KiKiKaïKaï. Dans la paillote merveilleuse, Joël embaume la salle de son tenace parfum Chanel. Maître XXY disparaît sans salutation, à son habitude. Nadine Fageol doit être certainement secouée par le sexy d'OLB pour ne pas partir en virgule. Ce qui lui vaudra multiples "Tu es bien calme ce soir". Après un digestif, les a capella parfaits de Francis et Raphaël Ruffier font oublier aux convives nos essais peu convainquant de duo avec Duchesse sur le régressif Au pays de Candy ou le trop beau En relisant ta lettre de Serge Gainsbourg. Clignez des paupières à la porte de La Jungle. "Remonte ton pantalon et viens nous rejoindre au Soleil" harcèle K-line sur le portable pendant je peine à finir un serial fucker. Dans le club afro de la rue René Leynaud, Sandrine B. me présente le bonheur du week-end, un charmant et expérimental Dijonnais. Félix, qui se laisse draguer par les deux bords de l'envie. "Tu n'as aucune chance : il est hétéro pur", croit savoir Joël alors que je caresse les reins du jeune homme avant qu'il ne se blottisse contre la poitrine de Sandrine. 8h du matin et la lumière nous éblouit et allonge Félix, overdrunky et beau, sur le canapé. "Match nul" juge Sandrine avant de cligner des paupières. "Le pet de foufoune est la garantie d'un bon ramonage" déclare Christophe Boum, samedi, à Laconque en total relooking, cheveux châtains en balayage à la Pamela Ewing. "C'est un carré destructuré" frime la belle avant d'embarquer à la soirée disco d'Ange et Manu à La Marquise. Nous apprenons, qu'après Le Monde à L'Envers, La Cour et Le Pulps (tous condamnés à fermer leur porte à 1h du matin pour des motifs à résonance "sécuritaire"), L'Ambassade rejoint ce trio dans le casse-nuit actuel et en voie de conformité avec le futur slogan "Lyon, ville de sommeil". Dans la Mercedes qui m'emporte vers les hauteurs, je n'imagine pas encore que le taxi prenne un virage solaire. Je ramasse la clé sous le paillasson et me glisse dans le lit de Pierre-Bertrand. Fermez les paupières, une étincelle amoureuse en plein corps.

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MERCREDI 09 AVRIL 2003 _ #221
 

What is this thing called love ?

Mardi, ma joue posée sur son bas ventre tend l'oreille sur le nombril de Pierre-Bertrand. Les mains de l'amourable calment, avec des caresses à tordre de plaisir, ma peau maltraitée par tant d'errances. Nous clignons des paupières au milieu d'un lit d'attouchements bienfaiteurs. Poinçonné de "je t'aime", "mon amour" et de "mon chéri", notre accrochage charnel se poursuit jeudi. Je suis calme, en dépressurisation, et presque fatigué. Comme si cette fiction, ou cette réelle volonté (égoïste ?) de Pierre-Bertrand à être amoureux, reposer ce corps tendu par les nerfs et peu limité dans ma course permanente aux excès nocturnes. Et puis, il est plaisant, même si ce n'est qu'un mirage goûté avec méfiance mais soif, de se voir souffler mots tendres et compliments. Clignez des paupières. À l'apéritif que donne Dopebase, chaque premier vendredi du mois dans son local de la rue Chaponnay (quartier Guillotière), Cricri s'emporte contre les autorisations de fermeture tardive ôtées (ou non reconduites) aux établissements nocturnes de la Presqu'île. Son discours rejoint ceux des tenanciers victimes de cette épuration du festif et des noctambules "engagés". Le travail de "mise en campagne" de la ville, entrepris avec zèle par la préfecture, avance et se trouve être une aubaine pour la mairie centrale qui évite ainsi un deuxième effet "nettoyage" pas très bon pour son image (circa son arrêté anti-prostitution). La ville ne bronche pourtant pas et on l'imagine même applaudir secrètement la petite tuerie organisée par la rue Servient, qui méconnait la capacité qu'ont les gens de la nuit à créer, inventer, contourner les problèmes. Ce qui ne sera plus permis dans un cadre "légal" se fera (et se fait déjà) dans le privé, dans le secret. Tant pis pour les moins biens informés et hors des circuits du Lyon-d'en-haut. Tant pis pour l'économie et le rayonnement de la ville hors de ses boulevards périphériques. Tant mieux pour le créatif et l'originalité. Les hommes politiques ne devraient jamais oublier qu'ils n'ont aucun pouvoir à faire dormir leurs administrés à une heure imposée, ou dite légale, par le simple fait que la nuit est un espace social vital, de rencontres, de rupture avec les solitudes et d'amusements. Clignez des paupières. Au 10, Laconque nous débriefe sur son amie parachutée dans son appartement : "Elle était en pleurs, voilée de la tête au pied. Elle a craqué. Maintenant, elle veut devenir pute". Mathieu n'en dira pas plus sur sa reconversion à l'hétérosexualité alors que tous s'amusent de la blague "Savez-vous que font trois pédés à une blonde ? deux qui la tiennent et un qui la coiffe". Clignez des paupières au Matchico sous un nuage de fumée. Il y a pèlerinage au théatre de la Croix-Rousse, samedi. Nous sentons bien que le public d'adultes qui amène sa progéniture rire avec le clown Buffo, accompagné par le violoniste Pierre Amoyal, adule les écrits de Howard Buten, écrivain-psy-clown. L'auteur de Il faudra bien te couvrir grimace, se prend les doigts d'amour pour un violoncelle qui se révélera être une maman prête à ouvrir son bois pour un enfant à cordes ombilicales. Réprésentation à laisser ses lèvres s'ouvrir de béatitude ou d'enchantements. K-line et Super Pénélope rectifient pourtant : "Buten, seul sur scène, tu te pisses dessus du début à la fin. Il est capable de beaucoup mieux". Je suis preneur. Clignez des paupières. "C'est du lesbien canadien", transcrit Carla lors de l'inauguration du T'chom, ex-Mushi-Mushi. "C'est mon t'chom, au lieu de mon homme, disent les filles là-bas" ajoute la plus vavavoum. "Là, il y a vraiment beaucoup de filles" se gratte le t-shirt aiglé, Z2. Christelle Kanardo Chambre et Sandrine B. s'installent sous les projections diapo au rez-de-beuverie du Plastic People. Nous rejoignons le duo de mères en célibataire après agrippage du over-sexy Felix en phase d'être happé par Lady Wonder, plante vorace avec laquelle je ne pourrai rivaliser dans la prédation du dijonnais. Le bar associatif et nouvel itinéraire obligé du revival rocky des allumés nocturnes se trouve rapidement dévaliser de tous ses tonneaux de bière et nous partons drunky vers le Soleil après avoir trop forcé sur "tu veux en fait te faire sauter mais masque ton envie par un discours intello" à un quadra des Pentes. Dans le club en surchauffe, Lady Wonder nous inflige une correction en se postant devant Felix avant de l'embrasser à pleine gorgée. "Tu te dis prédateur et sûr de récuperer le garçon dans ton lit ?" part la nouvelle bombe au cou du belhomme. Fermez les paupières.

Sorties préventives (courts-lettrages). Brèves projections sur ce que les prochaines nuits auront de "Vital". Ce samedi 12 avril dès 14h, Nassaboy et ses amis organisent le Championnat International de Uno de Lyon au KiKi Kaïkaï (10, rue Burdeau, quartier Pentes). Inscription à effectuer d'urgence au 06 63 66 01 10. A partir du 14 avril, Jérôme d'Art Canut, Elli et autres créateurs ouvrent, au Prince de La Charité (70, rue de la Charité, quartier Perrache), une exposition d'objets déco à sortir impulsivement le chéquier.

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MERCREDI 16 AVRIL 2003 _ #222
 

Ouverture

"Non, non. Ce n'est pas de la chanson engagée. Enfin ils luttent contre la double peine et le Front National", avait réussi à me convaincre Mathieu pour l'accompagner au concert de La Tordue. Mais, mardi, au Transbordeur, les deux groupes programmés en première partie ouvrent une soirée pour post-pubères fumeurs de joints et vaguement révoltés. Une suite de duos balance dans la fosse des textes minorés et réducteurs "sociétaux" par accords simplets de guitare sèche, violoncelle ou accordéon. "C'est très Amélie Poulain", essaie de me détendre, Mathieu. "C'est très chanson-à-boire entre jeunes pentards qui finiront conseillers bancaires en cravates et écouteront en boucle le futur intégral de Carla Bruni. Peut-être même, habiteront-ils le canal Saint-Martin", charge-je. La Tordue aligne chansons engagées et réalistes bien foutues mais sans aucun rythme. Ce qui m'éloigne de la variété française est cette culture profonde qu'affectionnent les gens du pays pour le texte, au détriment du groovy : pour plaire et vendre ici, il faut que les interprètes montrent qu'ils ont du coffre ou qu'ils narrent une histoire "intéressante". La musique n'est qu'une triste accompagnatrice. Seuls, Gainsbourg, la musique électronique et le hip hop national nous sauvent de cette misère ambiante du pauvre son. Clignez des paupières. Vendredi, nous entreprenons un zapping nocturne des bars gays après avoir trinqué au Kikikaïkaï en compagnie de Pierre-Bertrand. Au lendemain de la soirée inaugurale du bar le plus dans l'air du temps et qui provoquait une grosse colère de Super Pénélope pour s'en être fait refoulée ("Elle voulait absolument un carton d'invitation alors qu'on y tout le temps fourré. C'est fini de ce lieu"), Emmanuel me représente Mariana, peste et dérisoirement détestée. Mathieu insiste pour un passage éclaire à L'United Café afin de mater quelques pimpos provinciaux avant de nous retrouver à pleurer, rue Mercière, devant les cages à poules du Restaurant Agricole. "Libérez ces pauvres bêtes", menace-je les serveurs, un doigt près des becs. "Mais, nous les changeons tous les deux jours. Elles retrouvent une basse-cour pour souffler un peu", se dédouanent les tortionnaires. Clignez des paupières. "Ils te montrent la cage et tu choisis ta volaille. J'ai choisi la plus craintive, la seule qui se tapissait au fond, par pure cruauté", maline Carla au Medley après un souper au nouveau restaurant de Michel Barthod. "C'est votre canard ? Je suis heureux de connaître votre nouvel amant", me félicite Julien-Justin à l'approche de Pierre-Betrand. Line balance la tête et prétend : "Je me suis colorée en blonde platine pour enfin retrouver l'intelligence". Nous clignons des paupières lorsque sortent Mariana et Emmanuel d'une private party, rue Neuve. "Je vous laisse mon téléphone et vous promets de vous croquer dans toutes les positions" abuse le dessinateur à en rendre jaloux mon boyfriend. Mariana happe Mathieu pour une dernière danse à L'Ambassade, rouverte "all night long". Samedi, au petit matin, Pierre-Bertrand glisse sa bouche contre mon oreiller : "Je ne sais pas si vous avez besoin de -Moi- dans votre lit ou juste -Quelqu'un- dans votre lit". Question sans réponse. Clignez des paupières. La trentaine de participants au championnat international de Uno de Lyon se divise en plusieurs tables du Kikikaïkaï. Je me fais descendre dès la première manche alors que Mon Epouse, Super Pénélope et Cruz Poutre défendent l'honneur du Carré d'Or à coup de "Uno ! Si ! J'ai dit "Uno" ! Toi, ne me cherche pas !". Chaque gagnant du round dispute la pool de "la win" et les autres ramassent les miettes dans une compétition dégénérée de "la loose". Je m'insurge contre le fait que "les losers ne pourront jamais être repêchés et réintégrer le pool des winners", avant de me faire moucher par Vin.100 et Nassaboy. Après "Petite" et "Grande" Finale, la remise des prix honore Mon Epouse, Antoine ou Doumé. Je serai gratifié du prix de la mauvaise foi (sic). Pré-drunky par une après-midi ludique et familiale à réinventer au plus vite, nous partons fumer le narguilé avec Elodie et Bruno Ansellem chez Sandrine B. Duchesse et K-Line jouent les body-girls lascives de Robert V. sur un canapé en osier hamiltonien et sniffent du poppers entre deux pommes en fumée. Nous shampouinons sur les meilleures senteurs du marché (entre Guerlain, Caron ou Yves Saint-Laurent) avant de tituber et cligner des paupières. Dimanche, lors du traditionnel hard strip au "Gay Tea Dance" du 10, Jacques Haffner annonce la nuit-dédicace du pavé de la bellissime Claire Carthonnet, J'ai quelque chose à vous dire, le mardi 28 avril dans sa disco retapinée en centre sexy huilé et ultra-mondain. Fermer les paupières sur un moelleux et doux I've Got You under My Skin de Franck Sinatra.

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MERCREDI 23 AVRIL 2003 _ #223
 

Peur sur la vie

Des pas de course s'approchent de mon dos. J'entends crier mon prénom. Je me retourne et vois trois silhouettes pourchasser un jeune homme, Paul. Lundi, 3h, le ciel est encore chaud et mon âme dans le vague. Paul s'époumone : "Je ne sais pas ce qu'ils me veulent. Je ne leur ai rien fait." Un molosse s'approche de nous. J'avance mon bras en sa direction afin d'essayer de parler. "Pousse-toi", coupe la brute avant de lancer son poing dans la tête de Paul. Par lâcheté (peut-être) ou parce que je ne sais pas me battre (plus sûrement), je m'écarte d'une dizaine de mètres alors que mon ami est mis à terre et fracassé par les trois frappes. Le 17 répond qu'il arrive. J'ai peur. Le coeur se bat contre ma peau de poule. En moins de trois minutes, deux voitures de flics banalisées m'encadrent. Paul s'enfuit plus haut, gratuitement détruit. Je suis embarqué pour une virée en centre ville afin de retrouver les malfrats. La batterie de bleus qui m'escorte ne m'impressionne pas. L'autorité policière de la rue ne m'a jamais impressionné. En attente à l'hôtel de police ou dans un commissariat, un peu plus. Là, j'ai souvenir que tout se mélange : gamins menottés, femmes en pleurs, mecs en sang, colts qui vous passent sous les yeux. On ne sait plus quelles sont les victimes, quels sont les agresseurs. Clignez des paupières. Lundi, la chasse aux trois truands s'arrête net lorsqu'un type se balade en pleine rue, un flashball cranté en main. La voiture stoppe et tout s'accélère. L'armé est sommé de s'allonger au sol, quatre flingues pointés sur sa face. Je commence à cauchemarder sur la suite de cette nuit avant de cligner des paupières avec difficulté. Comment digérer ces temps de violence ? Avoir toujours peur ? C'est ce que souhaitent les petits délinquants. C'est ce que souhaitent également les pouvoirs publics et tous ces hommes sarkotiques. Clignez des paupières. Le show-off des rondes du samedi soir où une 3-6 blindée de policiers mâles contrôle une 4-6 crachant du son et empilant quatre caïds à la peau pas assez claire provoque un effet troublant : ce même jeu du rapport de force, ce machisme du "j'ai la plus grosse", qui suinte des caisses. Clignez des paupières. "Dis bonjour à la caméra", nous amusions-nous, il y a quelques nuits, les têtes tendues et grimaçant aux yeux vidéo installés à presque tous les carrefours du quartier Terreaux. Clignez des paupières. Le 21 avril 2002 ne serait peut-être pas un accident électoral où le pays aurait demandé à ses dirigeants d'être plus proches de ses préoccupations quotidiennes. Il aurait plutôt poussé le bulletin un peu loin pour exiger simplisme clair et réductions idéologiques soit une certaine forme de populisme. Belle aubaine pour ces hommes addictés au pouvoir qui, depuis un an, n'ont pas d'autre courage politique que de sortir l'artillerie lourde de la vidéosurveillance et des cars de CRS afin de réduire "l'insécurité" et de montrer concrètement leur "uvre". L'Ordre (et sa visibilité) est devenu un monument au même titre que les grands travaux en dur que l'élu sort du sol afin de convaincre ses électeurs qu'il "a fait quelque chose". Les agresseurs de Paul doivent être punis. Que proposent cependant nos maires à ceux qui n'auront pas une caméra dans leur rue ou dans leur cage d'escalier ? Nos dirigeants ont-ils oublié l'environnement social, urbain et éducatif dans lequel germe, à chaque instant, une armada de futures petites frappes ? Doit-on, à Lyon, décréter un couvre-baston à minuit (ou à 1h pour ces présumés causeurs de trouble "antisocial" que seraient les limonadiers) où, tous, nous devrions nous cloîtrer et vivre dans la peur de l'autre ? Clignez des paupières. Le week-end nous amènera, vendredi, à s'évader sur de l'early house savoureusement sillonné par le toujours excellent Manoo et dj Touch à L'Ambassade. Mathieu me jalousera de fricodanser avec une blonde ultra sexy avant qu'Emmanuel B. me textote son départ de la Hot Cargo du Transbordeur. Samedi, je consomme les serial fuckers à La Jungle. Des tours de queues sous la pénombre du bordel, en rappel de Sébastien L. au DV1 : "Oui, je crois en l'amour. Pourquoi cela te dérange-t-il ?" Fermez les paupières.

Sorties préventives (courts-lettrages). Petites projections sur ce que les prochaines nuits auront de "Vital". Ce mercredi 23 avril, Freaks revient au 10 (10, rue Mulet, quartier Terreaux) avec les no-Djs Colas Rifkiss, François Maihles et, s'il a retrouvé ses disques, Sébastien Érome. Du 28 mai au 1er juin, le Festival des Nuits sonores devrait voir défiler Ellen Allien, Schneider TM, Roussia, Add'n To (X), Pan Sonic, Felix Da Housecat et Derrick Carter dans plusieurs lieux de la ville. Que du bon qui fera certainement oublier le visuel nullissime de ce premier festival électro de la ville : une trop glamoureuse platine-disque sur un vieux parquet pourri qui mérite une sélection officielle pour le sacre du plan de communication le plus ringard de l'année.

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MERCREDI 30 AVRIL 2003 _ #224
 

Under the sunny blue

"J'avais mes vieux disques des années 1980 mais impossible de les utiliser : la plupart sont rayés", peste Kevin des M & Ms aux pick-ups de Freaks 2, mercredi au 10. Lascive, Carla lève le doigt avant d'approuver le Breathe de Télépopmusic : "Ah, enfin, la musique sort du sommeil". Au comptoir, Danielle de la Galerie Archaï trinque avec Grande Cécile en échauffement. Geneviève s'étonne dès son deuxième drink : "Je bois l'alcool comme de l'eau. Tu fais pareil ?" Nadine Fageol prévient : "Philippe Chavent de la Pink Tower est colère : il n'a pas été convié à cette fête et, par mesure de rétorsion, ne te fera pas découvrir sa nouvelle carte des Terrasses". Clignez des paupières. Alors que Marie-Charlotte envoie un "Quand je vois qui tu te tapes et qui je me tape, tu me dois bien 3 coupettes", en missive à une Isabelle Dejeux en raccord parfait entre champagne à volonté et sourires d'un gentleman charmeur, Colas Rifkiss joue le deejay hip hop. À travers un bouquet de fleurs en lumière rouge, Mathieu mate un jeune pimpo, regard plissé à laserifier ses yeux-étoiles, un gilet de chasseur multipoche et un paquet de Cartier au bout des doigts. Clignez des paupières. Nous saluerons Sophie 'vavavoum'Descroix, Nathalie Cayuela, Julien Micro P., Kanardo family ou Nicolas Stifter et le Concept Food duo suivi par Laurent Gaudin. Patrice Armengau vient me souffler : "J'ai un scoop pour vous. Patrice Béghain vient d'embrasser Claire Carthonnet". La belle sourira plus tard, tout en effectuant une petite sélection musicale : "Ca change de Collomb et Touraine". Clignez des paupières sur ce deuxième rendez-vous "no-djs". Au bar de La Ruche, jeudi, le "moi-je" de certains gays accouche d'un "Tu vois, une mise en scène de E.T. par moi aurait donné un résultat fondamentalement différent de celle faite par Spielberg", idiotie-à-rire sérieusement pronostiquée par un théâtreux. Clignez des paupières. "Tous les deejays à qui j'ai envoyé le morceau sont unanimes : c'est une petite tuerie. Produire ce titre m'a physiquement épuisé", annonce Dj Arnie, vendredi, à notre table de Koutoubia. En sortie de ses heures à s'occuper de sa communauté "acid et early house" sur le net, le discret se moque de l'amant brésilien de Christian. Ce dernier se défend : "Bon, il ne faut pas le voir danser, c'est tout. Là, il part un mois au Chili puis revient travailler au Ritz. C'est un bon plan pour un séjour parisien de luxe". Clignez des paupières. À L'Ambassade, un ordinateur portable drive le mix garage du nightclub. "Il utilise le logiciel Final Scratch qui injecte les données des fichiers mp3 dans les sillons de deux vinyles codés. Le deejay n'a plus qu'à amener son ordi et ses deux galettes. C'est fini les flycases à traîner sur des roulettes et tes disques que tu abîmes", s'emballe Arnie avant de croiser sa langue avec celle du ravissable Yann, droit sur ses genoux en appui sur un sofa du Medley. Clignez des paupières. Nos cabines à baise se font face. Assis dans la première, jambes allongées et avant-bras en croix, je regarde un serial fucker, debout dans la deuxième. Dans un bordel, l'art du sexe rapide consiste à attirer la main de son partenaire sur sa peau, dans mon cas, à lui faire effectuer le premier pas afin qu'il se sente demandeur. In extenso, soumis à mes désirs. L'appât de l'autre se fait par l'attitude physique. Tout se flaire autour d'une danse silencieuse, animale et sexomagnétique. Enfin, le partenaire désigné se rapproche, entre puis ferme ma cellule à copuler. Clignez des paupières. Samedi, Mon Épouse et Cruz Poutre nous chassent de la ville pour une partie de campagne dans la villa familiale, accrochée au rocher d'un village du Gard. Entre deux pages de Jalouse et Voici, Super Pénélope questionne Duchesse, en extase sur une chaise longue : "Maintenant que j'ai fini mon atelier "lime à ongles", je pose une ou deux couches de vernis ?". Échange pré-estival tout aussi fondamental que le reproche fait par K-line à la gent masculine : "Les mecs, lorsque vous finissez de pisser, vous pourriez vous tamponner le gland afin de ne pas pourrir la cuvette des chiottes". Le week-end défile lentement sous un doux soleil entre jeux de sociétés primaires (Uno et Mafia), photo-jets sur fainéants assoupis et forte alcoolisation nocturne. Lady Wonder et Félix joueront tout le week-end au couple en décalage horaire. Raphaël Ruffier tentera de nous faire peur dans un cimetière abandonné par lecture de nos noms respectifs sur les pierres tombales abattues dans de hautes herbes. Clignez des paupières. Lundi, nous pataugeons les pieds dans le Gardon. Au loin, une banquise de grenouilles en chant berce notre pique-nique bienheureux. Je regarde une dernière fois la plage de galets, tape ces derniers mots puis ferme l'Ibook et les paupières.

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MERCREDI 07 MAI 2003 _ #225
 

Déroutes

Sylvain dicte sa personnalité avec l'assurance et les jugements définitifs des hommes trop peu sûrs d'eux pour s'aventurer à exposer leurs faiblesses. mardi, au 10, nous fendons la cohue des futurs lecteurs du J'ai des choses à vous dire, de Claire Carthonnet pour s'isoler dans un salon particulier du bar. Le jeune homme, attrapé sur le Net, se parle et ouvre quelques sourires questionneurs. Clignez des paupières. Les derniers rayons du soleil captent une foule dans la rue Mulet où, le coeur amoureux, Lady Wonder quitte Felix. Catherine A., toujours aussi borderline, se réjouit de la jolie dédicace faite par la Lyonnaise la plus en vogue du printemps. Nous prenons nouvelle de l'avancement des travaux du futur "spot" nocturne situé dans une ancienne chapelle à 5 minutes de Perrache. "Le gros uvre est terminé et l'ouverture est prévue pour mi-mai voire début juin", avance le directeur d'artistique. Clignez des paupières. Patrice Béghain s'éclipse avant de réapparaître et se siamoiser au côté de Guy Walter. Clignez des paupières dans un long baiser romantique à Sylvain sur une marche croix-roussienne. mercredi, Duchesse et Super Pénélope poursuivent leur "rigolothérapie" à Tombé du Ciel et miment la chorégraphie eighties des Trois Nuits par semaine d'Indochine. "Trois nui-heu ! Trois nui-heu !" se balancent-elles, corps raidis et bras en shaker. Clignez des paupières. Le fond sonne "garage" soulful et new-yorkais. La surface se crade de blip acidifiés et de tâches de basses saturées et pourries. Dj Deep renverse Super Pénélope à L'Ambassade d'un dj-set à la luxuriance moins convenue, plus abrasive. Surprenant et à nous faire transpirer de plaisir. Clignez des paupières dans une dernière descente des escaliers du Medley. jeudi, dans les chiottes de l'United Café, Mad Dog concourt au titre du "meilleur suceur de la ville". "Je suis toujours dans la course ?" interroge l'adorable en glissant sa main sur ses lèvres mouillées. Clignez des paupières. "J'ai passé ma journée à baiser : je me suis fait dix mecs tout en m'accordant une pause pour aller manger chez Pizza Pino. Évidemment, je me suis changé et mis tout propre pour y aller", se vante un serial fucker douteux dans le couloir de la Jungle. Sous l'emprise d'un Subutex, un chasseur se moque : "Pour Pizza Pino ? Fallait pas". Clignez des paupières lorsque le MD balance, en ping-pong dans les écouteurs, un circonstanciel "mess around, mess around, mess around" du Fine Time de New Order. "Je ne veux pas être dérouté de mes ambitions professionnelles par une histoire d'amour", affirme Robert V à Duchesse et Joël lors d'un souper en appartement, vendredi. Mon désir d'être enlevé refait alors surface : se placer sur une ligne droite et directive m'ennuie. Monter, avec ignorance, amoureux, reflète cette envie de me faire surprendre, de ne pas comprendre, de perdre la raison. Ma fascination pour le crime passionnel ou le suicide se source dans cette curiosité des déroutes inintelligibles. Clignez des paupières. "Je me suis marié par convention", sourit Anthony en face de sa jeune compagne lorsque je caresse le torse d'un Stéphane au sourire angélique et fashionetta parisien épaulé dans une veste Barbara Bui. samedi, Olivier Auguste fête son anniversaire et reçoit, dans son atelier, borderliners et la branchitude locale. Z2 alimente le salon de rythmiques drum'n'bass pendant que David Cantéra, dédrunkisé, coffre la cave dans des beats upliftin. Au test des sobriquets usés par nos parents lorsque nos âges étaient plus tendres, Helena Roche partage : "J'avais le même que toi ! C'est rare. Le pire est que certains continuent à t'appeler avec ce petit nom alors que tu n'as plus cinq ans". Les cuisses massives et ouvertes sur un string noir, une invitée ordonne : "Donnez-moi à boire !". Jérôme d'Art Canut plie ses mollets joliment poilus sur sa chaise. "On teste tous les cocktails. Un truc de fou : il y a des flaques d'eau au plafond et l'équipe est une association de gens atypiques, un peu tarés", plaisante le décorateur en sortie du Buldo de la Stifter Family, ouvert dès cette semaine à l'île Barbe. Clignez des paupières. Nous rapatrions Emmanuel B. sur la party et le bel architecte ne me décrochera plus. "Je veux te dessiner, te croquer", insiste-il alors que Stéphane pend mes lèvres et Anthony voudrait me basculer dans son monde intangible. Clignez des paupières dans la transpiration matinale d'une addiction sexuelle avec l'inconnu parisien. "Alexis le retour", fluorise le portable, dimanche. Je course le "vieux beau", dixit l'amourable, en terrasse du Cap Opéra attablé avec Super Pénélope et Mathieu. Je me lamente de devoir partir pour Boston et ses banlieues chics où ma vie se réduira à plager au bord de l'océan, manger du homard et faire du bateau sur le lac d'un lotissement pour WASP fortunés. Seul bonheur instantané, sans ombrage calculateur : voir Alexis et manger son corps entre un pimpo se branlant sur le comptoir du 10 et Mathieu perdu dans sa bisexualité à l'United Café. Fermez les paupières.

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MERCREDI 14 MAI 2003 _ #226
 

Guérilla

"Vous avez un look intemporel, à contre-courant", relançait Claire lorsque notre quotidien était lié. Être à la mode n'est pas la première de mes occupations : je suis mal rasé, les dents jaunies, les cheveux grisonnants en broussaille et adepte du shopping à peu près tous les cinq ans. Nonobstant, je regarde les pratiques de mes contemporains avec intérêt parce qu'elles révèlent l'état de notre société. Nuits, fashion, stupéfiants, modes de vies et musicales ne sont finalement que de crus rejetons du présent. Afin de ne pas passer les beaux jours tel un bouseux provincial où un contre-urbain, voici la revue en large d'une époque "guérilla".
Musiques. Voilà trois ans que la soit disant Electroclash (avec son look associé) agite les pieds sur les dancefloors : bâtardises de rock, punk et pop, elle se gave de beats électroniques un peu cracra et pousse les kid-clubbers à adopter une attitude punky avec ceinture cloutée, cheveux colorés et nonchalance de junky. Parallèlement à ce mouvement dont les Allemands sont les plus gros pourvoyeurs de sons, le rock pur de dur remotive les chevelus et ne se gène plus pour investir les fêtes. Plus pointu et encore confiné à une petite élite ultra-branchée, le revival de l'Early & Acid House plonge les vieux trentenaires de la grande époque des raves et prises de MDMA pour un trip nostalgique. Plus prometteur, le speed-garage (mélange de ragga, soul et garage accéléré) qui n'a jamais emballé autre danseur que le Londonien serait destiné à devenir encore plus taré et à conquérir, enfin, le monde des night-clubs. À Lyon, les deejays font hélas toujours tourner leurs vieux disques de house estampillés "lounge" et "tube à Ibiza" ou sillonnent des rythmiques drum'n bass usées pour Pentards croix-roussiens post-pubères. Clignez des paupières.
Fashion. Il y a du ménage à faire dans les penderies lorsque l'on voit les fringues que portent certains frimeurs. La ringardise touche tous les porteurs de pompes Puma et jeans délavés aux fesses en raccord avec une pauvre chemise froissée. Pour les dames, la mode est toujours aux chaussures ultra-pointues (quitte à devoir faire un bain de pieds en fin de nuit après avoir torturé ses orteils dans une épingle de cuir ridicule) et montées sur de petits talons (très pratique pour les foulures sur grilles d'aération dans le bitume). En étage, elles se doivent de porter de l'ultra court imprimé et des accessoires de couleur obligatoirement rouge. Quel diktat. Sic. Pour les messieurs, le nec du chic consiste à s'étriquer dans une chemise blanche, sans un seul mauvais pli, et se pendre à une fine cravate noire. Aux pieds, des Adidas rouges (encore) ou Converse haute, forcément haute. Enfin, le retour du treillis originel pour tous. Voilà la grande affaire de l'été : la tenue paramilitaire, guérilla des rues. Pompes montantes, inspiration de la bonne Rangers du G.I., et pantalons multipoches raccourcis jusqu'à mi-mollet (histoire de montrer que l'on est prêt à traverser le Rhône à la nage) seront les deux symboles de la fashion estivale. Clignez des paupières.
Stupéfiants. Je ne vais pas faire la promotion de l'usage des drogues. Seulement, toujours plus, elles s'infiltrent dans tous les milieux et leur prise ne se cantonne plus au seul festif nocturne : on se drogue au travail comme en soirée. L'ecstasy est le fou du roi indétronable des shoots pour excités lyonnais. La consommation de cocaïne explose et se répartit entre la haute bourgeoisie où l'on signale "qu'on a pris de la 40" (ici, "40" signifie le pourcentage de pureté minimale de la dope) et le petit commerçant qui saigne du nez sur un rail synthétique. Les plus junkés testent médicaments et héroïne en poudre. La masse se noie dans l'alcool sans grand risque de répression policière. Bienvenue dans une société largement shootée. Clignez des paupières.
Vocable. Rien de plus énervant, et à vous faire sourire de moquerie, que d'entendre ou lire : "C'est tendance !". La "tendance" est à bannir ce mot de son dictionnaire. On lui préférera "à la mode", ou mieux en plus snob, "dans l'air du temps". Toujours dans l'esprit du combattant urbain, tout terme qui peut caractériser une certaine violence se refourgue dans des phrases définitives : "J'ai passé une nuit très rude" rivalise avec "C'était trop corrosif !" ou "un son trop abrasif !". Enfin, après avoir usé jusqu'à leur dernière lettre les "hype", "mainstream" et autre "sociétal", l'intelligensia présumée découvre aujourd'hui le "think tank", littéralement "réservoir à réflexions". Aucun média ne loupe l'occasion de placer son "think tank" dans le texte afin de décrire toutes ces petites matières grises qui réfléchissent à notre futur. Fermez les paupières sur cette chronique trop "think tank".

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INSTINCT NOCTURNE

Écrit par Baptiste Jacquet
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire

 

 

 

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