INSTINCT NOCTURNE

Écrit par Baptiste Jacquet
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire

 
MERCREDI 01 JANVIER 2003 _ #207
 

Starz & Zeroes 2002 (Rétro - Part 1)

Avant de retrouver (dans le prochain numéro) toutes les Starz et le meilleur de la ville, petit retour sur mes déceptions, ennuis, énervements. Voici le palmarès saignant des Zéroes de l'année 2002. Ouvrez les paupières.

Zéro Premier - Brun 21 avril
Quelques jours avant le premier tour de l'élection présidentielle, je m'apprête à voter pour François Bayrou. Claire me suspecte de vouloir lancer une nouvelle mode électorale tellement mon poulain sonne creux avec son poster géant en sous-bois titré "La Relève" et joue le moderne trop gentil avec le pot d'échappement odorama de son bus au colza. Le 21 avril sera beaucoup moins drôle. Ma correction dans l'isoloir à voter Jospin ne changera rien. 20h noircit les écrans télé du choc : Le Pen qualifié pour le tour ultime. Dégoût et rage me rougissent la peau. 15 jours de manifestations, de débats interminables afin de comprendre le pourquoi puis la décision finale d'aller se faire entuber et voter Chirac. Le 5 mai, le voleur ramasse un gros 82% de voix. Le pays a rectifié sa bascule à droite, affolé qu'il était d'avoir poussé l'aiguille beaucoup trop loin. Sombre histoire.

Zéro Deuxième - Tranquille
Certains dépeignent Loft Story comme une nouvelle forme d'avilissement de l'être humain, un jeu ignoble bidonné et décérébrant. Pourtant les candidats du real-show se disent tous "tranquilles" (avec ou sans l'accent du midi) comme cette France qui se rêve "tranquille", débarrassée de ses vilains moutons noirs : petits délinquants, mendiants, jeunes raveurs, prostitué(e)s, avorteuses, gays ou pornographes suspects. Tous veulent être tranquilles et pouvoir dormir les fenêtres ouvertes sans craindre le bandit ou le bruit de la vie. J'aime l'intranquillité car elle me rend vigilant et réactif. Tout cacher. Tout expulser. Tour déplacer. Tout nettoyer. Tout incarcérer. Tout filmer. Pour être "tranquille" sans regarder au fond. Que se passera-t-il le jour où, tous, nous serons "tranquilles" sans rien devant nos yeux pour nous bousculer à défendre une cause, nous donner l'ambition d'un autre avenir pour nous-même, pour les autres ? Le monde selon Sarkozy et les Forrest' UMP est trop propre, trop brillant, trop factice pour être réel. Trop Loft Story.

Zéro troisième - Gérard Collomb
Avant lui, il y avait le révolutionnaire et ambitieux Michel Noir puis, le méprisant et rond-flan-flan Raymond Barre. Avec Gérard Collomb, il y a le sécuritaire et ce goût paraffiné de sous-préfecture que l'on imaginait avoir définitivement éliminé avec la retraite de Francisque. Le maire, heureusement socialiste, envoie manu-poliçari les putes en banlieue et visse la vidéosurveillance à chaque coin de rue. Pour la paix des chats gris, il favorise le couvre-feu nocturne à coup de descentes de police dans les bars afin de choyer ce nouveau bourgeois, ex-parisien stressé et désireux de calme et propreté dans cette ravissante bourgade lyonnaise. S'il est choquant, pour l'électeur de gauche, que Monsieur le Maire mène une politique à la Rudolph Guiliani, le plus désolant est qu'il n'équilibre même pas cette politique droitière par un pendant plus positif, urbain, humain, à l'écoute de l'air du temps comme son homologue parisien. Avant le 21 avril, on ne l'entend pas. Après, il verse une vraie larme puis se tait. Le 14 juillet, il vante la République avec les choeurs d'une tripotée de petits chrétiens, cierges allumés sur les quais du Rhône. En Automne, il inaugure une place des Compagnons de La Chanson. Il sourit aux webcams de Lyonpoupoules.commérages, site spécialisé en mako-lettrages et inaugurations de boutiques. Il promeut la ville à coup de crêpages de chignons entre jeunes filles pures mais chaperonnées par des tyrans. Il promet une savane au parc de la Tête d'Or et un centre commercial (pardon, de loisirs) au Confluent. Que du glamour. Conscient de ce trop plein de "vavavoum", Gégé dégaine l'effet "ketchup" soit "patience, on est entrain de secouer et tout va sortir d'un coup". Si le ketchup n'est pas mon condiment favori, j'espère que son effet sera au moins des plus réussi.

Zéro quatrième - Laurent Natale
Lyon-Clubbimbos
ou La nuit lyonnaise vue depuis les soutien-gorges de jeunes filles blondes, c'est lui. Espace VIP ou Comment poser des questions très impertinentes à des starlettes parisiennes, c'est encore lui. Belles et Bien ou Se la jouer mec qui sait lire après avoir laissé papoter chiffons des animatrices ainsi présumées analphabètes, c'est toujours lui. Le multi-producteur de TLM est ma tête de turc pour le navrant qui inonde l'écran et pourrit les qualités des brillants Paul Satis et Stéphane Cayrol. Et vu la taille de sa tête, j'ai de la matière pour 2003.

Zéro cinquième (light) - Le faux jeans vintage
C'est le énième renouveau du jeans. Après l'effet "dust" de 2001, voici le bleu égratigné et vieilli. Le top de la ringardise se porte tout marine foncé et salement délavé sur les cuisses ou au cul. On pensait pourtant avoir atteint des sommets avec le jeans "neige". Fermez les paupières sur tant de laideur.

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MERCREDI 08 JANVIER 2003 _ #208
 
J'ai du sang sur les doigts

"Tomorrow, tomorrow will not be like today tomorrow, I will be happy tomorrow" languit Superpitcher (Kompakt Rec.) sur un nuage hyperphonique qui égrène les perles blanches d'une guitare sèche. Clignez des paupières. Cette première Nuits Mobiles de l'an 3 aurait pu, initialement, se titrer "Le Reste Off 2002", compilation de tout ce que je n'ai pas voulu écrire sur la vieille année : Le 30 décembre 2001, mon agression en appartement par un présumé amant qui m'amène à faire une déposition d'homme drunky aux yeux rouges accoudé à Laconque au commissariat du troisième. L'expérience nocturne mémorable du Printemps des Poètes à La Piscine du Rhône où les participants se laissent enfermer dans des cabines humides et s'offrent les frayeurs lettrées de la Compagnie des Trois Huit. En avril, quatre CRS à nos trousses lorsque Christophe Boum braille, à 1h du matin, un "Stop aux fachos" dans le mégaphone après une manifestation contre Le Pen. La fierté et le soulagement de se voir féliciter par un photographe, le 5 mai à la préfecture, suite à notre happening dans la permanence chiraquienne pour brandir des pancartes "Monsieur 82 %, j'ai vomi après avoir voté pour toi". La délivrance rythmique imposée aux corps de Marie, Violaine, Nicolas Stifter et David Cantéra par le dj-set massif de Mr Scruff pendant le Sonar Festival de Barcelone en juin. Mon jeu de prédateur cynique sur tous mes ASSAS (Amants Sans Suite Amoureuse) "scorpionisés" à La Jungle, au Medley et au Double Side. Mes trois années de célibat (déjà) malgré les accroches de Rachid, Alexis et Patrick. Un été noir où les huissiers me coursent pour des loyers impayés, où Guillaume P. part dans le décor routier pour finir dans un cimetière du Bordelais, où je ne crois pas pouvoir survivre au père suicidé à l'aube de ces 32 années qui s'approchent tant de moi. Les frissons de bonheur offert par la Compagnie Quasar lors de la toujours très respectable Biennale de la Danse. La formation du Carré d'Or (Duchesse, Super-Pénélope, Mon Épouse, Carla, K-Line, Cruz Poutre, Maître XXY, Joël, OLB, Julien Micro P.) dans ce trop stylé et peu familier quartier des Pentes. Le Geogaddi de Boards Of Canada qui restera l'album hi-fi de l'année. Mon manque de tenue à m'endormir dans une cabine de La Jungle, le pantalon baissé et la queue vigilante. Mon agacement face à ce conservatisme "raffarineux" qui assoupit cette belle et riche ville. Le mépris que m'inspirent les djs locaux, incapables de restyliser les genres. Mon questionnement sur le pourquoi une "petite" ville comme Grenoble produit des Miss Kittin & The Hacker, machines à danser infernales et internationalement reconnues, alors que Lyon ne s'exporte que par ses musiques "dubs" pour fumeurs de joints tranquilles. Les remerciements affectueux (à certains, amoureux) pour ce 2002 curieux à Mon Épouse, Christophe Boum, Babby du Modern Bar, Mireille et Jean-Luc de feu VertuBleu, Patrice Béghain, Jacques Haffner, Carla, Z2, Guillaume, Kamel du Mushi-Mushi, Jean-Olivier Arfeullière, Sandrine B., Primabella, Line et Gilles du Medley, Géraldine et Kévin, La Koutoubia, Florent de la Table d'Hyppolite, Les Chats Siamois, Marc Gassion, Le Bimb, K-Line, Mathieu, Gaelle Communal et à tous les lecteurs dont j'ignore l'exis-dense et pour lesquels je n'écris pas. Clignez des paupières. Et puis. Et puis, je sors d'un rêve perturbant : j'ai du sang sur les doigts. Je suis allongé dans une barque sur une rivière noire et bercé par un courant calme. J'ouvre les yeux et la pleine lune noie mes pupilles de son blanc crémeux. Je fixe l'astre, ce Nevada lointain. Le long du rivage feuillu, une foule tente d'attirer mon regard par des cris d'horreurs, pour certains, et de joies, pour la plupart. Mes mains sont rouges et chaudes. Un nuage, magnétisé par le rond clair, vide la lumière de mes rétines et assombrit le ciel. Je tente de m'asseoir et m'appuie sur mes bras. Une douleur électrique se nervure de mes poignets à mes épaules jusqu'à marquer une grimace sur mon visage pourtant apaisé. Je capte les alentours, les applaudissements, les montrés-du-doigts accusateurs. La cale du flotteur boit les étoiles, petites têtes d'allumettes en feu sur une flaque de sang. Mes doigts n'ont plus d'ongles. J'ai mal mais suis heureux comme, en plein éveillé, je suis heureux de ma naïveté préservée mais en douleur face à ce méchant cynisme qui m'attrape et pourrait me basculer dans l'aigreur caractéristique du vieux con. Clignez des paupières. Je me réveille la bouche pâteuse et tente de me rappeler la suite de mon parcours sanguinaire. Sans issue. Dommage. "Tomorrow will be not like today tomorrow, il will be happy" relance le lecteur-cd. J'ouvre grandes les paupières, puis souris. Bienvenue à tous en 2003.

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MERCREDI 15 JANVIER 2003 _ #209
 

Som' Like It In Riot

"Tu arrives ?" questionne OLB, mercredi, alors que nous traversons l'atrium de l'Hôtel de Ville enneigé et clouté d'immenses stalagmites roses lumineuses. "Que cette année vous soit douce", souhaite Gérard Collomb aux "forces vives" invitées. Le bref discours applaudi, des mains d'affamés s'articulent en pagaille le long des tablées de champagne et petits plats de chefs lyonnais. Là sans l'être, je traverse les salles bavardes au cas où. Au cas où un joli lutin me balancerait une boule de neige grisante et fraîche sur la gueule avant de me botter cette vilaine déprime hors du corps. Puis il partirait en courant avec des éclats de rire pleins les souliers. Mais, ce soir, je m'ennuie. OLB fait tourner un logo "FCPL" sur l'écran de son portable : "Non. C'est le football club de la presse lyonnaise", crâne le journaliste après mon premier déchiffrage qui aurait pu être "Fan des chauffards en poids lourds". Un "tu es le mec le plus sexy de la soirée" mal-adressé au footballeur amateur et puis Patrice Armengau, en binôme avec Serge Dorny, salue Jacques Haffner et Julien. La paire de clubbers annonce l'ouverture du 10 en lieu et place du feu Dark's Klub, ce 23 janvier (on imagine déjà la course aux invitations pour assister à cette première et les coups de sacs à main, les jeux de coudes pour pénétrer dans la nouvelle disco). "Effectivement, il y a une référence au Onze dans le choix du nom", sourit le jet-setteur avant de me piquer d'un "Patrice Armengau est très mignon : il s'est fait faire un lifting ?". Le plus chic des Lyonnais est de retour pour l'Opéra national de Lyon. "On peut rigoler un peu ! Non ?" se corrige l'ex-fleuriste. Patrice Béghain me désigne comme "homme dangereux", sans autre commentaire qu'un petit sourire malin. Dangereux, je le suis trop certainement pour moi. Pas pour les autres. Ces autres que je salue en embrassades automatiques et à qui, au mieux de ma forme, j'aurais arraché leur langue en V d'un french kiss bien franc et jouissif. Clignez des paupières. Mon Épouse et Cruz Poutre écrasent des bulles de champagne avec l'aimable Serge Tonioni. Dans le grand escalier, Michel Chomarat nous remémore les anciennes "tazs" où les mecs s'enculaient fesses nues sous les fenêtres des riverains. Une boule à facettes géante fait graviter ses pointillés le long du lourd velours des marches. Nous clignons des paupières, la tête vissée sur ce rotor magique en plein retour dans l'air du temps. Sous les 9 muses grelottantes de l'Opéra, je supplie Barbara Romagnan de m'accompagner prendre un verre au Baryton : "Pourquoi me vouvoies-tu toujours ? (sic ) Je dois travailler sur ma thèse Bon d'accord, juste un verre". Dans le bar de la rue de l'Arbre-Sec, Isabelle Dejeux se sent un peu seule avec son Sony-Ericsson high-tech : "Pour échanger des photos, il faudrait que je connaisse au moins une personne qui soit équipée de ce type de portable", sourit la ravissable. Sébastien Érome joue le caïd après s'être, soi-disant battu sous la neige avec un automobiliste. À deux tables, Cricri continue sa série Je-ne-bois-qu'avec-des-blondes. L'éternel ado rectifiera : "Je fréquente également des rousses et même des brunes". Julien Micro P. prend la pose du charmé devant Barbara Romagnan. Clignez des paupières dans une grande bataille de neige. À l'United Café, Pascal et Comtesse se drunkizent, accrochés à mon cou : "Ici, ce sont les soldes Kiabi : aucun mec emportable". Les corps de deux jeunes filles en plein jeu hystérique se sont jetés dans la fontaine Bartholdi lorsque je cligne des paupières. Vendredi,l'Lax Bar invite les prétendants Mister Gay 2003 à défiler sur écran géant lors d'une présélection sous le signe du minet imberbe et aseptisé avant la finale régionale au DV1, le 17 janvier. Dalida peigne sa perruque sur le comptoir de La Ruche, les épaules nues et tatouées à coups du tampon de L'Avant-Première (feu Modern Bar). "Si tu ne viens pas voir mon show, dimanche 19 au Medley, et que tu ne publies pas une photo de moi, je t'étrangle avec mon boa !" remonte-t-elle ses seins rembourrés sous un lamé scintillant. Yann corrige l'impétueuse : "Tu peux me prêter ta tenue pour me faire une boule à facette avec ?" Dans la rue, nous clignons les paupières alors que le showman entonne un Pour ne pas vivre seul, les talons aiguilles en jeu de castagnettes et les jambes arquées. Samedi, Jacques Haffner s'échappe de L'Ambassade lorsque Manoo soulève le dance floor d'un Two Months Off d'Underworld terrifique. Fabrice me pousse hors du Medley pour une course en taxi jusqu'à La Jungle. "Dites Monsieur, vous avez une grosse queue ?" lance le borderliner dans le cou du chauffeur. "Ah, vous êtes hétéro et divorcé. Et c'est votre femme qui vous a plaqué. Ben, chez les homos, il n'y a pas ce problème : nous sommes très conciliants avec les ébats extra-conjugaux de nos maris", claque-t-il la portière devant le bordel. Fermez les paupières.

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MERCREDI 22 JANVIER 2003 _ #210
 

La princesse de Galles et moi

"Tu devrais écrire quelque chose pour toi", me relançaient des aficionados de cette chronique hebdo. Mercredi, je fais part d'un projet à Duchesse : Pourquoi ai-je mangé ma mère ? serait le titre d'un petit essai romanesque personnel et cannibale. L'en-tête "manger ma mère" résume assez bien mon existence. Je me nourris pour que mon corps avance. J'ingurgite verbes-et-compléments de l'Autre pour que ma tête broie brillant, couleurs et noirceur. Mon rapport à la bouche n'est pas tout net. Très logiquement, je refuse la simple idée de consulter un dentiste, cet épouvantail électrique en chemise blanche qui vous enfonce des objets métalliques et froids dans le gosier. J'en perdrais certainement mes dents à la quarantaine. Peu importe. Plus étrange, je suis un gourmand pénétrant mais peu demandeur de baisers, sexes à m'agiter la langue. Comme si mes lèvres ne se desserraient que pour s'ouvrir sur un partenaire pressenti important, un amour à déguster. "Manger ma mère", voilà mon devenir. Posséder sa mère. Posséder l'amour originel. Clignez des paupières. "Allez ! Frappe-moi s'il te plaît !" lève la tête un pimpo accroupi, les mains en pinces sur mes mollets. Jeudi, dans les toilettes de l'United Café, nos regards froids et durs soutiennent un jeu sexué et ordonné par quelques petites violences. Le nerf à bloc, je m'allonge sur le lit et le fil du casque dénoue "You feel the move you want to follow. I take the turn It's hard to follow. You want me touch. I want your body. I feel the heat" de la perle deep et early-house It's You transpirée par E.S.P. Clignez des paupières. Vendredi, le portable accumule les "appels en absence". Toujours dans le gouffre, pas envie de parler et ennui de ne pas savoir par où recommencer. "Tu viens à la K.A.B.P. demain ?" couvre la voix du Bimb depuis Le Cabaret, nouveau lieu parisien dans l'air du temps et looké par Ora-Ïto"les gens sont tous beaux même s'il y a beaucoup de gym-queens et que la musique est cheap", selon mon dernier amour. "Je mixe vendredi prochain aux Bains Douches pour un défilé", monocorde Dj Arnie, certainement scotché devant son ordi à chatter avec sa communauté "Acid & Early House" sur la toile. "C'est moi. Non seulement tu n'écris plus que tu m'aimes mais en plus tu ne donnes plus de nouvelles", raccourcit Jacques Haffner dont on ne sait toujours pas s'il portera une tenue de footballeur en soie bleue et estampée d'un numéro 10 pailleté lors de l'ouverture, le 23 janvier, du 10 (rue Mulet). Clignez des paupières. Super Pénélope m'invite comme escort boy pour la présentation des voeux de Patrice Béghain dans le réfectoire des Subsistances. Comité restreint pour un discours de l'adjoint à la Culture qui se veut de proximité et personnel. "Avec les résonances de la pièce, on aurait cru assister à un sermon religieux", masque un invité un peu moqueur. Julien Micro P. plante ses jambes en V près du buffet. "Je sais, tu vas encore me dire que j'écarte toujours les jambes à cause de mes trop grosses bourses", coupe Julien. Nous nous posons ensuite des questions aussi fondamentales que la direction capillaire (toute en longueur avec un côté remonté sur l'oreille gauche) prise par Alain Turgeon ou "Le maire va-t-il assister à l'élection de Mister Gay Lyon ce soir ?". Françoise Rey lève les bras au ciel pour se précipiter dans les bras de Patrice Armengau. Face à nous, les Patrice A. & B. "Voilà, j'ai trouvé. Vous me faites penser à un émeu Vous ignorez l'animal ? C'est une sorte d'autruche, le plumage gris, le regard latéral" m'étripe l'adjoint. "C'est pas très gentil : L'émeu est laid et passe son temps le bec dans la boue" indique Super Pénélope. Patrice B. en rajoute : "l'émeu est malicieux". Sourd-ire. Droit comme un aigle, Patrice A. scanne la salle avant de nous déposer devant la Mairie Centrale, enfoncés dans l'intérieur cuir d'une berline et bercés par la voix grave et rassurante du nouveau directeur adjoint de l'Opéra. Clignez des paupières. Au DV1, un travelo éjecte les finalistes de l'élection de Mister Gay Lyon 2003 pour ne garder qu'un jeune marin, pimpo au torse nu et post-pubère imberbe. Drunky, je remonte la rue vers La Jungle. L'ennui force la baise facile. L'ennui force l'envie de ne pas parler, de ne pas avoir à briller de son entreprise de séduction bavardeuse. Pourtant, lorsqu'un instituteur me ferme dans la cabine, son visage me refroidit. "Souris un peu, nous ne sommes pas sur le bûcher" injecte-je à ASSA 2003-05 (Amant Sans Suite Amoureuse). Je m'endors. Je me réveille et baisse les yeux sur la langue entubée dans mon nombril d'un amant éphémère agenouillé. Tour de clé et attouchements poussés. Clignez des paupières. Dimanche, Françoise Giroud chute. Et dire que, le toujours très à la mode, 20 ans me prédit, dans le versant négatif de mon signe, de finir comme elle. Pas encore sorti de la déprime. Fermez les paupières.

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MERCREDI 29 JANVIER 2003 _ #211
 

Et l'envie s'évanouit

Comme si elle ne s'était absentée que le temps d'un goûter à la fin d'une après-midi d'automne puis était ressortie du salon de thé, les lèvres vernies de sucre et les doigts sentant les viennoiseries chaudes. Claire réapparaît, mercredi, sur la banquette vermillon du Café La Cloche (rue de la Charité, quartier Bellecour). Toujours aussi "vavavoum", borderline et chic, ma Première relate ses activités professionnelles étoffées et bouffantes durant tous ces mois où nous étions restés sans nouvelles. Malicieuse, elle déguste sa séparation avec Mezzont ("je l'ai déstabilisé dans son fonctionnement d'homme droit et marié"). Éternelle Belle-au-bois-dormant, elle expulse son bonheur de jeune épouse, bague Cartier au doigt et Rolls Royce rouge pour les week-ends sur la Riviera. Clignez des paupières. Chez Carlo, nous croisons nos fourchettes sur les lasagnes exquises de notre pizzeria maison. Claire rayonne : "Je suis si heureuse de vous retrouver. Je crains en permanence de perdre les gens que j'aime... Plus encore en ces temps où tout va si vite pour moi et où je ne sais jamais si je vais rester en phase avec mes amis". Ce type de questionnement m'est étranger. J'accepte de transformer l'étroite complicité d'une époque en silencieuses et nostalgiques retrouvailles avec mes amis. Je perds ceux qui s'éloignent trop du courant de ma vie. Je perds ceux qui sont très proches. Clignez des paupières. "Votre longue expérience de la douleur explique certainement votre résistance face à ce conflit interminable", m'éclaire ma princesse. Plus de dix années que je joue le salarié besogneux au fin fond d'une Z.I de banlieue. Plus d'un an que mes quatre petits patrons ont décidé de me faire démissionner : échanges de courriers visés par avocats respectifs, mise au placard, pas de travail, petites mesquineries en tous genres. C'est ce que l'on appelle le "harcèlement moral", très à la mode dans les pause-déjeuners, et manifeste d'une violence invisible et destructrice. Chaque jour, je tourne comme un fauve dans une cage de dossiers vides. Ma tête gamberge souvent et se lobotomise parfois. Mon blocage professionnel me renvoie à ma vie, mon histoire, ma structure. Plus je mets les doigts dans mes bulbes cérébraux, plus rejaillit ce faux besoin d'affection ou d'amour. A trop fouiller, je me perds volontiers et me place hors de la réalité. Non, je n'éprouve pas le besoin impérieux d'être amoureux. Je ne crois pas en l'amour. Je l'ai éprouvé, et l'éprouverai encore et, évidemment, sans que l'autre ne me laisse le choix ni de son commencement, ni de sa durée et ni de sa forme. Me fourvoyer dans la quête sentimentale sans frein pour ne pas faire face à mes emmerdes, voilà une belle façon d'être stupide. Clignez des paupières. Jeudi, le 10 de Jacques Haffner s'ouvre à tout le gotha local. Guillaume Tanhia me caresse d'un "tes papiers sont très bien lorsque tu déprimes. Tiens encore quelques semaines avant le suicide et Jean-Olivier Arfeullière pourra éditer un très beau Best Of de ta rubrique". Peste aimable. Carla dévoile le creux de ses seins sous un décolleté sexy à en rendre jalouse Super Pénélope. Julien Micro P. s'extasie sur la plastique d'un gogo huileux : "Il a des cuissots, le gaillard !". Z2 rebondit sur un fauteuil et hurle des "Allez ! Champagne !". Le "pipool media" (Gérard Angel, Jean-Alain Fonlupt, Jacques Corre, Frédéric Poignard) fait figuration devant Claire Carthonnet, femme la plus convoitée de la soirée : "Ils me harcèlent tous. Entendons-nous bien, il n'y a rien de sexuel". Je m'évade quelques instants, les jambes en cisaille avec celles de Roland, dernier homme excitant de mes rencontres. Le pâtissier de la place Sathonay a cette innocente douceur dans le regard qui me fait oublier toute l'agitation environnante. Il imagine ma main glisser de ses cuisses à son entrejambe comme si je n'étais qu'un "serial fucker" démoniaque. L'envie s'évanouie. Je l'embrasse. Je l'embrasse encore. Clignez des paupières. Z2 tente d'approcher Guy Darmet qui prend aussitôt peur. "Il ne m'aime pas beaucoup, Guy, depuis que j'ai dansé sur son dos lors du bal Blanc de la Biennale" rigole l'agitateur nocturne. Julien-Justin décide que je dois être amoureux tout en étant sous l'emprise d'un Jean-Paul Brunet en sourire. Patrice Armengau et Pierre Le Magnifique ferme cette première grande soirée de l'année à 1h. Sic! "L'adjoint (Patrice Béghain) étant à New-York s'est vengé de ne pouvoir être là en faisant fermer le lieu très tôt pour être sûr de ne rien rater" allonge les yeux, Patrice A. Clignez des paupières. Vendredi, le Medley retrouve Richelieu aux platines pour une fête où Line frimousse, un cristal-light autour du coup. Pascal ("Non! Nicolas ! C'est mon prénom de drague") et Comtesse partent à l'assaut éthylique d'un Joackim, chauffeur-routier de Belfort et hétéro-inflexible. Je ferme les paupières sur un air de "Couleur café, que j'aime ta couleur café..." doucement tourné par Jane Birkin.

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MERCREDI 05 FEVRIER 2003 _ #212
 
La machine à bouloches

Les étincelles jaunes et rouges des bolides se courbent ou se détendent pour entrer et sortir de mes semelles. Un champ infini de lampadaires s'étire jusqu'à ne marquer, au loin, qu'un horizon clair dans l'obscurité. Sous mes pieds, le tunnel de la Croix-Rousse. Au milieu de la rue des Fantasques, Le Temps Perdu. Lundi, les amis du Clairon fêtent la réussite de la vente d'uvres en soutien de la Lettre confidentielle d'Albert Agostino. Myriam éclate ballons de rouge sur papillotes de poissons avant de regonfler les questions d'amour et de psychanalyse. La tablée se drinkize de politiques, cultures et engagements. Vincent Girard, célèbre pour ses luminaires go-between et que l'on a connu beaucoup plus agressif dans ses postures à cramer l'objectif d'une vidéosurveillance pour indécence, lance son énigme : "Comment magnétiser un livre afin de pouvoir le placer dans n'importe quelle position sur une plaque de fer aimantée ?" Après un long brainstorming chez ses voisins d'assiettes, plutôt pessimistes sur l'issue de l'entreprise, l'artiste expulse : "Votre incompréhension ouvre les portes de ma compréhension". Clignez des paupières. Cette rare intelligence dans la disposition des uvres, la force des propos et les émotions provoquées font de l'exposition consacrée à Adrian Piper une des plus impressionnantes expériences arty du moment. Jeudi, l'Institut d'Art Contemporain de Villeurbanne vernit une rétrospective de l'artiste noire américaine. Même si ce type d'événement inaugural distrait plus qu'il ne rend attentif aux pièces exposées (nuée de "beausardeux", arty-people et pique-picoles habituels qui forcent la public-relation), le trouble et l'attraction de l'exposition agitent l'inner-eyes. Des yeux, il est question dans une boîte en colimaçon dont le coeur nous emprisonne sur une série de visages d'hommes noirs aux yeux verdâtres. Malaise pour le petit bourgeois blanc. Ouvrez très grandes les paupières. Vendredi, Rue Royale Architectes donne son pot d'agence annuel. Déprimé ou pas, le rendez-vous ne pouvait pas être évité, étant toujours vécu comme le plus grand et le plus borderline des apéros de début d'année. Dans la cour de l'immeuble, une piste d'atterrissage rouge sanguin pour hélicoptère de Guillaume Gelay et Arno Piroud nous avertit qu'il faudra bien redescendre d'en haut. En haut, les invités se hélicent dans une ronde autour d'expos, de verres et d'amusements. Édouard, homme au regard persan, scanne : "Il y a des arty, des Pentards, beaucoup d'alcooliques Non ?". Jean-Alain Fonlupt se fond d'admiration dans les éléphants détourés de Fred de Boc. J'enlace Gaelle Communal, mon coeur palpitant. Gilles Buna étudie de très près l'architecture des bouteilles vides lorsque Carla et Z2 dynamitent les lieux. "Non, je n'ai pas le look Dynasty. D'accord, mon pull bouloche un peu" se défend Carla après s'être vu gratifiée de "très à la mode, ton look Dynasty. Il ne te manque plus que la grosse ceinture en chute sur les hanches". Dj Fraggle, expatrié à Paris, crâne : "Je peux t'envoyer une machine à bouloches depuis la capitale. Très efficace". Z2 se dandine, toisé d'un "An Emotionnal Beat In A World Of Fury" en script sur son t-shirt. Pierre Obrecht promet l'envoi expéditif de sa carte de vux, forcément vital : le bel homme est habité par l'originalité de la chose. Virginie teste en continu son portable-photographique de fashion victim. Puis je m'enferme dans les toilettes avec Arletty. Elle baisse son pantalon, d'une main maintient la porte fermée, de l'autre touche le filet d'eau ouvert sur le lavabo pour laver ce qui n'est pas encore le temps. Étrange impression de se placardiser avec une pieuvre joyeuse. Clignez des paupières sur un moment heureux. Au Double Side, je désaoule dans un jacuzzi où deux bouches se glissent sous ma serviette sans que l'envie ne m'agite. Drunky, le sexe est trop dur. À La Jungle, un "butch" se laisse pincer à sang les seins et se sent prêt à avaler. Clignez des paupières. "C'était pour la soirée d'un mec qui bossait pour Christian Lacroix un truc dans le genre. Mais mixer là-bas me foutait en l'air mes vacances Pour le CV, mon nom est sur le flyer. Ca suffit, non ?" tente de se justifier Dj Arnie, programmé au Bains Douches lors de la Fashion Week. Samedi, Christian et Frédéric Sicre amusent leurs invités au Maya Bar. Arnie se fait harceler par un pimpo très "je suis Genevois bien monté". Primabella refuse bavardage de table avec Lola et m'encourage à la drague de Valery, jeune blond et professeur de philo. Gérard, fashion victim intemporelle, se défait de son manteau grippé d'un renard en peau morte sur l'épaule. Alcools et danses digestives sur le mix-album vital "Dj-Kicks-Tiga" pour continuer cette nuit excitée. Clignez des paupières. L'Ambassade se rythme sur l'afro-house du plus qu'excellent Dj Manoo à en faire "transer" Frédéric Sicre et Jacques Haffner en veillée de son Gay Tea Dance hebdomadaire au 10. Fermez les paupières en perte de sens lors de l'after d'Enjoy au DV1.

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MERCREDI 12 FEVRIER 2003 _ #213
 

I Want To Be A Dog (Érosion érotique)

Sexe est drogue. Normal qu'il se commercialise à éjaculations intenses derrière des portes en tissus noirs, dans des bordels dénommés "sex-clubs", sur les trottoirs, sur les écrans de la toile électronique et dans tous les recoins de la clandestinité excitante (chiottes publiques, aires de repos d'autoroute, gares, abords d'équipements sportifs). Le sexe rejoint l'alcool, les chimiothérapies pour dépressifs, la coke, les jeux d'argent et la clope dans cette course au semblant de la maîtrise de soi et, surtout, la possession de l'autre. Je baise trop. Je baise à ne plus sentir la nature des baisers que l'on me pose sur les joues. Trop humides, ils m'inspirent un ressenti libidinal. Secs et rapides, ils m'indiffèrent à fracasser la tête du propriétaire de ces lèvres stériles contre la surface cabosseuse la plus proche de mon empoignade crispée. Et puis. Et puis, il y a les baisers qui coulent le long de l'échine et font tordre de plaisir. Ceux-là vous signalent que le toucher est d'importance. Sexe est drogue. Ne pas baiser crée un manque. Baiser rend énergique. Trop baiser ennuie et machinalise. Clignez des paupières. Mardi, Roland se pose sur une banquette de l'Indice 203. Le gentilhomme, dernière connaissance à ouvrir une faille dans mes certitudes, étincelle mon regard malgré ses remarques sur ma vie qui part dans tous les non-senses. "Tes articles sont très drôles mais un peu..." me corrige-t-il. Je ne serais qu'une sex victim froide et perverse résonne dans les circuits internes. Roland m'excite le détournement de fonctionnement quotidien. Clignez des paupières chez Mathieu à loucher des cuillères de soupe réchauffante et à aguicher le convoité-patissier des Enfants Gâtés de propositions indécentes. Mercredi, je décline l'invitation du Carré d'Or (Mon Épouse, Duchesse, K-Line, Cruz Poutre) en direction de La Marquise pour une soirée "Soupe" organisée par Concept Food. Envie de silence. Jeudi, Joël rappelle le désordre en signalant une soirée consacrée à Alain Pacadis sur France Culture. Je zappe l'émission consacrée à la référence absolue du nightclubbing pour me laisser embobiner par Mathieu devant un "Punch-Drunk Love" captivant et sans incidence idéologique majeure au CNP Terreaux. Je n'aime pas les toiles à films. Du moins, je n'ai aucun élan naturel à aller m'enfermer dans une pièce où personne ne se regarde, où tout le monde fixe un seul et unique grand écran pour s'évader égoïstement dans une histoire irréelle. Être assis sans regarder l'autre et se faire happer par un filet lumineux ne me convient que lorsque je suis profondément déprimé. Au 10 de Jacques Haffner, Mathieu analyse ma faiblesse pour les hommes tonsurés ou dégarnis comme "un penchant pour la virilité : la calvitie est provoquée par une trop grande production de testotérone". Bien rassurant. Clignez des paupières. "Ce qui est fascinant, c'est que la réalité dépasse toujours de très loin la fiction", conclut Frédéric après avoir narré les horreurs risibles de ses petits criminels (empoisonneuses, escrocs et tueurs tarés). Toujours au 10, vendredi, je bise avec affection Pierre Le Magnifique, Guy et Alain du décontracté Le Guilain avant de rejoindre Mon Épouse et Cruz Poutre au Mushi-Mushi et "fêter" sa réouverture après un mois de fermeture administrative. Kamel absent, Dj Slider fait couler la bière alors que Cruz Poutre s'imagine en Béatrice Ardisson : "Je suis en train de télécharger une série de reprises des standards pop rock". À quand une édition de Lyon Première ? Clignez des paupières. Je casque Mon Épouse, au Voxx, du I Want To Be A Dog des Stooges lorsqu'un cuiré en perfecto nous ferme les paupières en brandissant, hors de sa Lada parquée devant le bar, son cd des Sex Pistols : "Le No Guns est une reprise des Stooges". J'embrasse la future mère de mes enfants et ouvre le crépuscule à La Jungle dans un échange virulent avec un prédateur qui me bécote en professionnel : "Tu es un scorpion comme moi : si on se mord, nous mourons. Alors casse-toi". Clignez des paupières. Tombé du Ciel arrose son sixième anniversaire en même temps que Christophe Boum, son trente-sixième, samedi. "Je la déteste : je suis sûr que c'est une goudou refoulée", se pique Primabella à l'arrivée de Marie-Charlotte, suivie par Julien-Justin, mon frère. Chatte Rouge bouscule ma drague sur un Olivier over-sexy et mes coulées de mains pour Asstouch. Clignez des paupières. "Tes dires me font peur", se laisse enlanguer Patrick au Medley. Le jeune homme n'a rien compris à l'amour compromis que je lui voue. Julien-Justin retrouve Alexandre, "celui qui rêve d'une Mercedes et nous a fait fuir en prétendant être boutiquier", puis je ferme les paupières, assis entre les jambes de Marie en sortie de L'Ambassade, Vincent au volant du bolide pour un dernier Pulps.

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MERCREDI 19 FEVRIER 2003 _ #214
 

Roots in

Nous longeons les quais sous un vent glacé à cisailler les doigts et scléroser les jambes. Sous le casque, la voix sidérale de Bernard Sumner fait raisonner un lancinant "Set you free Set you free / Set you free", tiré du Here To Stay de New Order, revisité par Felix Da Housecat. Jeudi, Julien Micro P. m'embarque sur sa Vespa pour la "Garden Party" donnée en l'honneur du nouveau Type 34. A priori, rien ne devait nous diriger vers ce genre de lieu qui sent la bimbo kilométrique et le pimpo propre et étudiant en école de commerce. Mais Nathalie Cayuela se charge de la bonne communication et des coupes de champagne pleins les doigts. On ne sait pas trop pourquoi Marie-Charlotte et Philippe Moncorgé gravitent autour de ce long bar aux torches en aluminium renversées et flashant une salle grise et austère où rien ne se passe. Sans effort, Philippe négocie avec une étudiante en communication, en quête éperdue d'un dossier de presse à effectuer gratuitement. "On va monter une exposition à New York et cette jeune femme est disposée à travailler sur le projet" avance, hilare, le peintre. Hubert Lafferière pose pour les caméras de Lyonclubbimbos, à nous faire demander si l'agenda de l'adjoint n'est pas calé sur celui de cette si misérable émission. Clignez des paupières. Julien évite de peu un conflit armé avec des poseurs sans manières. J'avance vers le bar d'un pas assuré et parsème quelques "pardon" dans la masse aseptisée. Les convives sont tellement rassurées de leur "fashion attitude" et "very importance" qu'ils en deviennent rigides et stériles. Leur demander pardon, une main sur l'épaule, est peut-être considéré par ces gens comme servitude alors que ce n'est qu'une marque de savoir-fêter. Voilà mon problème avec ce genre de lieux "tendance" (le label est toujours dans l'air du temps dans le versant campagnard de Lyon) : tout est vulgaire et figé. Rien d'ouvert et rien à ouvrir. Clignez des paupières. Vendredi, Patrice Armengau et Étienne saluent Jean-Paul "doux et éternel ado" Brunet, au 10, dont l'affluence ne cesse de croître et devient dangereuse pour tous paparazzi habitués aux rares événements concentrateurs de "pipaul" locaux : le lieu happe à lui tout seul tout ce que la ville compte de fêtards, cultureux, hommes politiques, influents et prescripteurs de modes. Jacques Haffner est en passe de réussir à fidéliser des personnalités qui ne sortaient pas, ou trop peu, dans un bar qui attend toujours, "administrativement", de devenir club. Patrice A. interroge Roland sur les spécialités des Enfants Gâtés. Le bel homme, en instance d'un pseudo dans cette rubrique ("je préférerais que tu m'oublies en tant que Roland"), ne s'avère pas vendeur né. Positif. Ab de tapiole.com verse sur ma vodka-glace les derniers potins gays à découvrir sur le site : "L'Oasis réouvre à l'angle rue des Capucins et rue Cousotu, mercredi 19, avec visite habillée du nouveau sauna. L'ex-Grand Jardin va devenir un club gay sous la direction de l'ancien patron du Cap Opéra. La brasserie, à côté de la pharmacie du Griffon, sera bientôt un bar-restaurant gay. Tout cela va ramener un peu de fraîcheur". Clignez des paupières. Nous arrivons trop tard à l'àKGB pour danser sur le dj-set de Stéphane Cayrol. Impossible de savoir si le journaliste de TLM s'est lancé dans un mix "présumé décalé" à la Béatrice Ardisson ou, plus rooty et à la mode, en 2 Many Djs lumineux. Plus loin, un texto explicatif fluorisera le portable : "Très touché de votre passage hier soir avec Jacques et Jean-Paul. J'ai réalisé un petit rêve d'ado. Rien de créatif, juste un petit délire pour grand enfant". Nous basculons nos verres pour fuir ce lieu insipide. Après un tour de piste à L'Ambassade, je cligne des paupières au Medley et serre dans mes doigts moites une pomme d'amour sucrée offerte par Gilles. dimanche, Nathalie Cayuela trinque au 10 avec Jacques Corre. Mon enjambement provoqué entre Marie Charlotte et Philippe Moncorgé fête son un an d'âge : "Est-ce qu'après un an de relation, tu fais l'amour tous les jours ?" se fent, épuisé, Philippe. Un gogo boy travesti en punk blond se masturbe dans un pichet de jus de fruit à faire soupirer Marie : "Il est énorme ! Énorme ! Laissez-moi passer, pour voir". Guy Darmet sourit alors que j'entreprends un professeur bourguignon qui vérifie l'étendue de ma pilosité torsale. À l'United Café, je retrouve Jean-Louis et Alain : "Six ans que nous sommes ensemble grâce à toi Promis, tu seras le parrain de notre premier enfant", sourit Jean-Louis. Je rebondis : "J'ai passé toute cette soirée avec des couples que j'ai formé. Étrange ?" Jean-Louis : "Les cordonniers sont les moins bien chaussés". Fermez les paupières sur les va-et-vient acides du I Dance Alone de Swayzak : "I dance alone Nobody home to confort me".

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MERCREDI 26 FEVRIER 2003 _ #215
 

Je ne suis personne

"Il n'y a pas osmose : tu n'as même pas de poppers et tu me prends pour une bouche" tente de s'humaniser, lundi, un gentilhomme à qui je caresse la tête alors qu'un inconnu ne dégage plus sa bouche du glory-hole, en attente de mon retour de trique. À La Jungle, une érection solide m'éloigne du vrai. Je donne mon sexe ennuyé avant de cligner des paupières. Mardi, au Café 203, Mathieu prétend que la culture est source de compréhension du monde qui nous entoure et enrichissement personnel. Mais quel "capital vie" peut apporter le savoir ? À quoi sert la connaissance si celle-là ne bouscule pas notre fonctionnement interne ? À crever riche d'intellectualisme ? À briller en société de réflexions abstraites ? Les arts me bousculent dans ce qu'ils ont de sensibles et d'émouvants. Le "sensé réfléchi" soit m'ennuie, soit flatte mon ego. Intérêt plus que minime. Intérêt plus appuyé au Théâtre du Point du Jour pour les Loteries de Sarah Fourage et la Compagnie du Bonhomme. Cinq personnages freaky encastrés dans des boîtes coulissantes sortent un à un tels des pantins en bataille et manipulés dans un jeu de vieux gamins cruels. Le spectateur s'invite dans cette petite boutique de l'horreur d'un amour perdu par bêtise et d'un vice en fin d'histoire : l'atrocité grossière d'un conte inhumain dans l'humain de la plaisanterie, du peu sérieux qu'est la vie. Une vraie fête foraine. Une belle pièce servie par de brillants comédiens. Nicolas Fine en fin de représentation tire pourtant la grimace malgré les félicitations de Super Pénélope et Julien Micro P. "Nous n'étions moins bons qu'hier", baisse les yeux sur son papier à rouler, le comédien. Nicolas me trouble par tous ces doutes qui semblent le remplir et le rendre friable, à l'investir de mon manque d'affects. A un amusé "Tu ne m'as jamais proposé ta couche", le jeune homme entretient mon attirance : "Mais, tu ne me l'as jamais demandé". Clignez des paupières. Mercredi, Fab de tapiole.com déambule dans les couloirs de l'Oasis pour une visite guidée du nouveau sauna homo (2, rue Coustou. Quartier Pentes). "Là, ce sera ma suite perso. Bon, j'apporterai quelques bricoles et objets de déco. C'est pas mal comme chambre à baiser. Non ?" s'émoustille le webwriter dans un grand placard à sexe. La pré-ouverture privée de ce bel ensemble à vapeur regroupe patrons gays et quelques jeunes femmes (qui seront, dès le lendemain, interdites du lieu), ventilés par la machinerie chauffante. Tous sirotent verre sur verre à défaut de se déshabiller. L'air est chaud et la folie molle. Clignez des paupières. Apercevoir Laurence Renaudin, jeudi, chez Olivier Houg signale d'entrée que le vernissage réunira forcément le Terracota du milieu arty. Le temps de viser les installations (sans gros choc dans la face) amène Z2, un ballon de rouge en boutonnière et le pas léger, dans les pas d'Anne-Lise et Michael pour un début de nuit décrassant. Aurélie Haberey tient en sac ses derniers clichés destinés à l'exposition photographique que la jeune femme lancera le 19 mars prochain au Modern Art Café. "J'aimerais te les montrer mais ce n'est pas le lieu", me tient affectueusement le bras ma portraitiste "presque" attitrée. Clignez des paupières. Nous courons le quartier Ainay pour une chute en table. Le Bastringue se recueille, assis devant une conteuse. Le Comptoir Saint Hélène s'électrise au bar avec les exagérations de Karine B. et à l'étage avec un Z2 amoureux virtuel qui veut rêver encore et toujours : "Mais, je m'en moque si je n'embrasse jamais cette fille. L'idée de pouvoir un jour l'embrasser suffit à alimenter mes espoirs" ricoche-t-il lorsqu'Anne-Lise souhaite le ramener à la réalité crue. Clignez des paupières au Pulps à gigoter sur un mix crypto 80's dans le genre "je t'enchaîne un Tiga And Zyntherius avec un Chicks On Speed, le tout avec mes pieds mais dans le move du moment". Vendredi, Philippe Faure joue la dernière de son Malade Imaginaire au Théatre de La Croix-Rousse. Comme dans Moi Tout Seul, ce qui touche à l'admirable chez le comédien-directeur est cette capacité à être juste dans la retenue d'une émotion, des tourments que l'on imagine tout près de la peau. Il y a chez ce "Malade" de Faure, toute la mauvaise fois, la quête éperdue de tendresse, la frilosité à s'étouffer sous les tonnes de coussins qui blanchissent la scène et tous ces palliatifs irréels qui nous remuent tous. Vital et à reconsommer la saison prochaine sans ordonnance. Au souper d'après représentation, Matt bondit sur la sono à en ôter le couscous de la bouche de Philippe Faure et observer l'agité rythmique. Super Pénélope retrouve son Micro. P en fermeture du 10 avant de s'emballer à la table de Carla au Funambule. Clignez des paupières. Michel Essertier tente de me convaincre que : "Où tu dis d'aller, les gens vont. Tu es un révélateur". Je ne suis personne. Fermez les paupières.

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INSTINCT NOCTURNE

Écrit par Baptiste Jacquet
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire

 

 

 

 Avant   Après 

 

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