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INSTINCT NOCTURNE
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Écrit
par Baptiste Jacquet |
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire
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MERCREDI 01 JANVIER
2003 _ #207 |
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Starz & Zeroes 2002 (Rétro - Part 1)
Avant
de retrouver (dans le prochain numéro) toutes les Starz
et le meilleur de la ville, petit retour sur mes déceptions,
ennuis, énervements. Voici le palmarès saignant des
Zéroes de l'année 2002. Ouvrez les paupières.
Zéro
Premier - Brun 21 avril
Quelques jours avant le premier tour de l'élection présidentielle,
je m'apprête à voter pour François Bayrou.
Claire me suspecte de vouloir lancer une nouvelle mode électorale
tellement mon poulain sonne creux avec son poster géant en
sous-bois titré "La Relève" et joue
le moderne trop gentil avec le pot d'échappement odorama
de son bus au colza. Le 21 avril sera beaucoup moins drôle.
Ma correction dans l'isoloir à voter Jospin ne changera
rien. 20h noircit les écrans télé du choc :
Le Pen qualifié pour le tour ultime. Dégoût
et rage me rougissent la peau. 15 jours de manifestations, de débats
interminables afin de comprendre le pourquoi puis la décision
finale d'aller se faire entuber et voter Chirac. Le 5 mai,
le voleur ramasse un gros 82% de voix. Le pays a rectifié
sa bascule à droite, affolé qu'il était d'avoir
poussé l'aiguille beaucoup trop loin. Sombre histoire.
Zéro
Deuxième - Tranquille
Certains dépeignent Loft Story comme une nouvelle
forme d'avilissement de l'être humain, un jeu ignoble bidonné
et décérébrant. Pourtant les candidats du real-show
se disent tous "tranquilles" (avec ou sans l'accent du
midi) comme cette France qui se rêve "tranquille",
débarrassée de ses vilains moutons noirs : petits
délinquants, mendiants, jeunes raveurs, prostitué(e)s,
avorteuses, gays ou pornographes suspects. Tous veulent être
tranquilles et pouvoir dormir les fenêtres ouvertes sans craindre
le bandit ou le bruit de la vie. J'aime l'intranquillité
car elle me rend vigilant et réactif. Tout cacher. Tout expulser.
Tour déplacer. Tout nettoyer. Tout incarcérer. Tout
filmer. Pour être "tranquille" sans regarder au
fond. Que se passera-t-il le jour où, tous, nous serons "tranquilles" sans
rien devant nos yeux pour nous bousculer à défendre
une cause, nous donner l'ambition d'un autre avenir pour nous-même,
pour les autres ? Le monde selon Sarkozy et les Forrest'
UMP est trop propre, trop brillant, trop factice pour être
réel. Trop Loft Story.
Zéro
troisième - Gérard Collomb
Avant lui, il y avait le révolutionnaire et ambitieux Michel
Noir puis, le méprisant et rond-flan-flan Raymond
Barre. Avec Gérard Collomb, il y a le sécuritaire
et ce goût paraffiné de sous-préfecture que
l'on imaginait avoir définitivement éliminé
avec la retraite de Francisque. Le maire, heureusement socialiste,
envoie manu-poliçari les putes en banlieue et visse
la vidéosurveillance à chaque coin de rue. Pour la
paix des chats gris, il favorise le couvre-feu nocturne à
coup de descentes de police dans les bars afin de choyer ce nouveau
bourgeois, ex-parisien stressé et désireux de calme
et propreté dans cette ravissante bourgade lyonnaise. S'il
est choquant, pour l'électeur de gauche, que Monsieur le
Maire mène une politique à la Rudolph Guiliani,
le plus désolant est qu'il n'équilibre même
pas cette politique droitière par un pendant plus positif,
urbain, humain, à l'écoute de l'air du temps comme
son homologue parisien. Avant le 21 avril, on ne l'entend pas. Après,
il verse une vraie larme puis se tait. Le 14 juillet, il vante la
République avec les choeurs d'une tripotée de petits
chrétiens, cierges allumés sur les quais du Rhône.
En Automne, il inaugure une place des Compagnons de La Chanson.
Il sourit aux webcams de Lyonpoupoules.commérages,
site spécialisé en mako-lettrages et inaugurations
de boutiques. Il promeut la ville à coup de crêpages
de chignons entre jeunes filles pures mais chaperonnées par
des tyrans. Il promet une savane au parc de la Tête d'Or et
un centre commercial (pardon, de loisirs) au Confluent. Que du glamour.
Conscient de ce trop plein de "vavavoum", Gégé
dégaine l'effet "ketchup" soit "patience,
on est entrain de secouer et tout va sortir d'un coup".
Si le ketchup n'est pas mon condiment favori, j'espère que
son effet sera au moins des plus réussi.
Zéro
quatrième - Laurent Natale
Lyon-Clubbimbos ou La nuit lyonnaise vue depuis les soutien-gorges
de jeunes filles blondes, c'est lui. Espace VIP ou Comment
poser des questions très impertinentes à des starlettes
parisiennes, c'est encore lui. Belles et Bien ou Se
la jouer mec qui sait lire après avoir laissé papoter
chiffons des animatrices ainsi présumées analphabètes,
c'est toujours lui. Le multi-producteur de TLM est ma tête
de turc pour le navrant qui inonde l'écran et pourrit les
qualités des brillants Paul Satis et Stéphane
Cayrol. Et vu la taille de sa tête, j'ai de la matière
pour 2003.
Zéro
cinquième (light) - Le faux jeans vintage
C'est le énième renouveau du jeans. Après l'effet
"dust" de 2001, voici le bleu égratigné
et vieilli. Le top de la ringardise se porte tout marine foncé
et salement délavé sur les cuisses ou au cul. On pensait
pourtant avoir atteint des sommets avec le jeans "neige".
Fermez les paupières sur tant de laideur.
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MERCREDI 08 JANVIER
2003 _ #208 |
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J'ai
du sang sur les doigts
"Tomorrow,
tomorrow will not be like today tomorrow, I will be happy tomorrow"
languit Superpitcher (Kompakt Rec.) sur un nuage hyperphonique
qui égrène les perles blanches d'une guitare sèche.
Clignez des paupières. Cette première Nuits Mobiles
de l'an 3 aurait pu, initialement, se titrer "Le Reste Off
2002", compilation de tout ce que je n'ai pas voulu écrire
sur la vieille année : Le 30 décembre 2001,
mon agression en appartement par un présumé amant
qui m'amène à faire une déposition d'homme
drunky aux yeux rouges accoudé à Laconque au
commissariat du troisième. L'expérience nocturne mémorable
du Printemps des Poètes à La Piscine du Rhône
où les participants se laissent enfermer dans des cabines
humides et s'offrent les frayeurs lettrées de la Compagnie
des Trois Huit. En avril, quatre CRS à nos trousses lorsque
Christophe Boum braille, à 1h du matin, un "Stop
aux fachos" dans le mégaphone après une manifestation
contre Le Pen. La fierté et le soulagement de se voir féliciter
par un photographe, le 5 mai à la préfecture,
suite à notre happening dans la permanence chiraquienne pour
brandir des pancartes "Monsieur 82 %, j'ai vomi après
avoir voté pour toi". La délivrance rythmique
imposée aux corps de Marie, Violaine, Nicolas Stifter
et David Cantéra par le dj-set massif de Mr Scruff
pendant le Sonar Festival de Barcelone en juin. Mon jeu de prédateur
cynique sur tous mes ASSAS (Amants Sans Suite Amoureuse) "scorpionisés"
à La Jungle, au Medley et au Double Side.
Mes trois années de célibat (déjà) malgré
les accroches de Rachid, Alexis et Patrick. Un été
noir où les huissiers me coursent pour des loyers impayés,
où Guillaume P. part dans le décor routier pour
finir dans un cimetière du Bordelais, où je ne crois
pas pouvoir survivre au père suicidé à l'aube
de ces 32 années qui s'approchent tant de moi. Les frissons
de bonheur offert par la Compagnie Quasar lors de la toujours très
respectable Biennale de la Danse. La formation du Carré d'Or
(Duchesse, Super-Pénélope, Mon Épouse,
Carla, K-Line, Cruz Poutre, Maître XXY, Joël, OLB, Julien
Micro P.) dans ce trop stylé et peu familier quartier
des Pentes. Le Geogaddi de Boards Of Canada qui restera l'album
hi-fi de l'année. Mon manque de tenue à m'endormir
dans une cabine de La Jungle, le pantalon baissé et
la queue vigilante. Mon agacement face à ce conservatisme
"raffarineux" qui assoupit cette belle et riche ville.
Le mépris que m'inspirent les djs locaux, incapables de restyliser
les genres. Mon questionnement sur le pourquoi une "petite"
ville comme Grenoble produit des Miss Kittin & The
Hacker, machines à danser infernales et internationalement
reconnues, alors que Lyon ne s'exporte que par ses musiques "dubs"
pour fumeurs de joints tranquilles. Les remerciements affectueux
(à certains, amoureux) pour ce 2002 curieux à Mon
Épouse, Christophe Boum, Babby du Modern Bar,
Mireille et Jean-Luc de feu VertuBleu, Patrice Béghain, Jacques
Haffner, Carla, Z2, Guillaume, Kamel du Mushi-Mushi,
Jean-Olivier Arfeullière, Sandrine B., Primabella,
Line et Gilles du Medley, Géraldine et Kévin,
La Koutoubia, Florent de la Table d'Hyppolite, Les Chats
Siamois, Marc Gassion, Le Bimb, K-Line, Mathieu, Gaelle
Communal et à tous les lecteurs dont j'ignore l'exis-dense
et pour lesquels je n'écris pas. Clignez des paupières.
Et puis. Et puis, je sors d'un rêve perturbant : j'ai
du sang sur les doigts. Je suis allongé dans une barque sur
une rivière noire et bercé par un courant calme. J'ouvre
les yeux et la pleine lune noie mes pupilles de son blanc crémeux.
Je fixe l'astre, ce Nevada lointain. Le long du rivage feuillu,
une foule tente d'attirer mon regard par des cris d'horreurs, pour
certains, et de joies, pour la plupart. Mes mains sont rouges et
chaudes. Un nuage, magnétisé par le rond clair, vide
la lumière de mes rétines et assombrit le ciel. Je
tente de m'asseoir et m'appuie sur mes bras. Une douleur électrique
se nervure de mes poignets à mes épaules jusqu'à
marquer une grimace sur mon visage pourtant apaisé. Je capte
les alentours, les applaudissements, les montrés-du-doigts
accusateurs. La cale du flotteur boit les étoiles, petites
têtes d'allumettes en feu sur une flaque de sang. Mes doigts
n'ont plus d'ongles. J'ai mal mais suis heureux comme, en plein
éveillé, je suis heureux de ma naïveté
préservée mais en douleur face à ce méchant
cynisme qui m'attrape et pourrait me basculer dans l'aigreur caractéristique
du vieux con. Clignez des paupières. Je me réveille
la bouche pâteuse et tente de me rappeler la suite de mon
parcours sanguinaire. Sans issue. Dommage. "Tomorrow will
be not like today tomorrow, il will be happy" relance le
lecteur-cd. J'ouvre grandes les paupières, puis souris. Bienvenue
à tous en 2003.
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MERCREDI 15 JANVIER
2003 _ #209 |
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Som' Like It In Riot
"Tu arrives ?"
questionne OLB, mercredi,
alors que nous traversons l'atrium de l'Hôtel de Ville enneigé
et clouté d'immenses stalagmites roses lumineuses. "Que
cette année vous soit douce", souhaite Gérard
Collomb aux "forces vives" invitées. Le bref
discours applaudi, des mains d'affamés s'articulent en pagaille
le long des tablées de champagne et petits plats de chefs
lyonnais. Là sans l'être, je traverse les salles bavardes
au cas où. Au cas où un joli lutin me balancerait
une boule de neige grisante et fraîche sur la gueule avant
de me botter cette vilaine déprime hors du corps. Puis il
partirait en courant avec des éclats de rire pleins les souliers.
Mais, ce soir, je m'ennuie. OLB fait tourner un logo "FCPL"
sur l'écran de son portable : "Non. C'est le
football club de la presse lyonnaise", crâne le journaliste
après mon premier déchiffrage qui aurait pu être
"Fan des chauffards en poids lourds". Un "tu
es le mec le plus sexy de la soirée" mal-adressé
au footballeur amateur et puis Patrice Armengau, en binôme
avec Serge Dorny, salue Jacques Haffner et Julien.
La paire de clubbers annonce l'ouverture du 10 en lieu et place
du feu Dark's Klub, ce 23 janvier (on imagine déjà
la course aux invitations pour assister à cette première
et les coups de sacs à main, les jeux de coudes pour pénétrer
dans la nouvelle disco). "Effectivement, il y a une référence
au Onze dans le choix du nom", sourit le jet-setteur
avant de me piquer d'un "Patrice Armengau est très
mignon : il s'est fait faire un lifting ?". Le plus
chic des Lyonnais est de retour pour l'Opéra national de
Lyon. "On peut rigoler un peu ! Non ?"
se corrige l'ex-fleuriste. Patrice Béghain me désigne
comme "homme dangereux", sans autre commentaire qu'un
petit sourire malin. Dangereux, je le suis trop certainement pour
moi. Pas pour les autres. Ces autres que je salue en embrassades
automatiques et à qui, au mieux de ma forme, j'aurais arraché
leur langue en V d'un french kiss bien franc et jouissif. Clignez
des paupières. Mon Épouse et Cruz Poutre écrasent
des bulles de champagne avec l'aimable Serge Tonioni. Dans
le grand escalier, Michel Chomarat nous remémore les
anciennes "tazs" où les mecs s'enculaient fesses
nues sous les fenêtres des riverains. Une boule à facettes
géante fait graviter ses pointillés le long du lourd
velours des marches. Nous clignons des paupières, la tête
vissée sur ce rotor magique en plein retour dans l'air du
temps. Sous les 9 muses grelottantes de l'Opéra, je supplie
Barbara Romagnan de m'accompagner prendre un verre au Baryton :
"Pourquoi me vouvoies-tu toujours ? (sic )
Je dois travailler sur ma thèse Bon d'accord, juste un
verre". Dans le bar de la rue de l'Arbre-Sec, Isabelle
Dejeux se sent un peu seule avec son Sony-Ericsson high-tech :
"Pour échanger des photos, il faudrait que je connaisse
au moins une personne qui soit équipée de ce type
de portable", sourit la ravissable. Sébastien
Érome joue le caïd après s'être, soi-disant
battu sous la neige avec un automobiliste. À deux tables,
Cricri continue sa série Je-ne-bois-qu'avec-des-blondes.
L'éternel ado rectifiera : "Je fréquente
également des rousses et même des brunes".
Julien Micro P. prend la pose du charmé devant
Barbara Romagnan. Clignez des paupières dans une grande bataille
de neige. À l'United Café, Pascal et Comtesse
se drunkizent, accrochés à mon cou : "Ici,
ce sont les soldes Kiabi : aucun mec emportable". Les
corps de deux jeunes filles en plein jeu hystérique se sont
jetés dans la fontaine Bartholdi lorsque je cligne des paupières.
Vendredi,l'Lax Bar invite les prétendants Mister Gay 2003 à
défiler sur écran géant lors d'une présélection
sous le signe du minet imberbe et aseptisé avant la finale
régionale au DV1, le 17 janvier. Dalida peigne
sa perruque sur le comptoir de La Ruche, les épaules
nues et tatouées à coups du tampon de L'Avant-Première
(feu Modern Bar). "Si tu ne viens pas voir mon show,
dimanche 19 au Medley, et que tu ne publies pas une
photo de moi, je t'étrangle avec mon boa !"
remonte-t-elle ses seins rembourrés sous un lamé scintillant.
Yann corrige l'impétueuse : "Tu peux me prêter
ta tenue pour me faire une boule à facette avec ?"
Dans la rue, nous clignons les paupières alors que le showman
entonne un Pour ne pas vivre seul, les talons aiguilles en jeu de
castagnettes et les jambes arquées. Samedi,
Jacques Haffner s'échappe de L'Ambassade lorsque
Manoo soulève le dance floor d'un Two Months Off
d'Underworld terrifique. Fabrice me pousse hors du Medley
pour une course en taxi jusqu'à La Jungle. "Dites
Monsieur, vous avez une grosse queue ?" lance le borderliner
dans le cou du chauffeur. "Ah, vous êtes hétéro
et divorcé. Et c'est votre femme qui vous a plaqué.
Ben, chez les homos, il n'y a pas ce problème : nous
sommes très conciliants avec les ébats extra-conjugaux
de nos maris", claque-t-il la portière devant le
bordel. Fermez les paupières.
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MERCREDI 22 JANVIER
2003 _ #210 |
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La
princesse de Galles et moi
"Tu devrais écrire quelque chose pour toi",
me relançaient des aficionados de cette chronique hebdo.
Mercredi, je fais part d'un projet à Duchesse : Pourquoi ai-je
mangé ma mère ? serait le titre d'un petit
essai romanesque personnel et cannibale. L'en-tête "manger
ma mère" résume assez bien mon existence. Je
me nourris pour que mon corps avance. J'ingurgite verbes-et-compléments
de l'Autre pour que ma tête broie brillant, couleurs et noirceur.
Mon rapport à la bouche n'est pas tout net. Très logiquement,
je refuse la simple idée de consulter un dentiste, cet épouvantail
électrique en chemise blanche qui vous enfonce des objets
métalliques et froids dans le gosier. J'en perdrais certainement
mes dents à la quarantaine. Peu importe. Plus étrange,
je suis un gourmand pénétrant mais peu demandeur de
baisers, sexes à m'agiter la langue. Comme si mes lèvres
ne se desserraient que pour s'ouvrir sur un partenaire pressenti
important, un amour à déguster. "Manger ma mère",
voilà mon devenir. Posséder sa mère. Posséder
l'amour originel. Clignez des paupières. "Allez !
Frappe-moi s'il te plaît !" lève la tête
un pimpo accroupi, les mains en pinces sur mes mollets. Jeudi,
dans les toilettes de l'United Café, nos regards froids
et durs soutiennent un jeu sexué et ordonné par quelques
petites violences. Le nerf à bloc, je m'allonge sur le lit
et le fil du casque dénoue "You feel the move you
want to follow. I take the turn It's hard to follow. You want me
touch. I want your body. I feel the heat" de la perle deep
et early-house It's You transpirée par E.S.P.
Clignez des paupières. Vendredi,
le portable accumule les "appels en absence". Toujours
dans le gouffre, pas envie de parler et ennui de ne pas savoir par
où recommencer. "Tu viens à la K.A.B.P. demain ?"
couvre la voix du Bimb depuis Le Cabaret, nouveau lieu parisien
dans l'air du temps et looké par Ora-Ïto où
"les gens sont tous beaux même s'il y a beaucoup de
gym-queens et que la musique est cheap", selon mon dernier
amour. "Je mixe vendredi prochain aux Bains Douches pour un
défilé", monocorde Dj Arnie, certainement
scotché devant son ordi à chatter avec sa communauté
"Acid & Early House" sur la toile. "C'est
moi. Non seulement tu n'écris plus que tu m'aimes mais en
plus tu ne donnes plus de nouvelles", raccourcit Jacques
Haffner dont on ne sait toujours pas s'il portera une tenue
de footballeur en soie bleue et estampée d'un numéro 10
pailleté lors de l'ouverture, le 23 janvier, du 10 (rue
Mulet). Clignez des paupières. Super Pénélope
m'invite comme escort boy pour la présentation des voeux
de Patrice Béghain dans le réfectoire des Subsistances.
Comité restreint pour un discours de l'adjoint à la
Culture qui se veut de proximité et personnel. "Avec
les résonances de la pièce, on aurait cru assister
à un sermon religieux", masque un invité
un peu moqueur. Julien Micro P. plante ses jambes en
V près du buffet. "Je sais, tu vas encore me dire
que j'écarte toujours les jambes à cause de mes trop
grosses bourses", coupe Julien. Nous nous posons ensuite
des questions aussi fondamentales que la direction capillaire (toute
en longueur avec un côté remonté sur l'oreille
gauche) prise par Alain Turgeon ou "Le maire va-t-il
assister à l'élection de Mister Gay Lyon ce soir ?".
Françoise Rey lève les bras au ciel pour se
précipiter dans les bras de Patrice Armengau. Face
à nous, les Patrice A. & B. "Voilà, j'ai
trouvé. Vous me faites penser à un émeu Vous
ignorez l'animal ? C'est une sorte d'autruche, le plumage gris,
le regard latéral" m'étripe l'adjoint. "C'est
pas très gentil : L'émeu est laid et passe son
temps le bec dans la boue" indique Super Pénélope.
Patrice B. en rajoute : "l'émeu est malicieux".
Sourd-ire. Droit comme un aigle, Patrice A. scanne la salle
avant de nous déposer devant la Mairie Centrale, enfoncés
dans l'intérieur cuir d'une berline et bercés par
la voix grave et rassurante du nouveau directeur adjoint de l'Opéra.
Clignez des paupières. Au DV1, un travelo éjecte
les finalistes de l'élection de Mister Gay Lyon 2003 pour
ne garder qu'un jeune marin, pimpo au torse nu et post-pubère
imberbe. Drunky, je remonte la rue vers La Jungle. L'ennui
force la baise facile. L'ennui force l'envie de ne pas parler, de
ne pas avoir à briller de son entreprise de séduction
bavardeuse. Pourtant, lorsqu'un instituteur me ferme dans la cabine,
son visage me refroidit. "Souris un peu, nous ne sommes
pas sur le bûcher" injecte-je à ASSA 2003-05
(Amant Sans Suite Amoureuse). Je m'endors. Je me réveille
et baisse les yeux sur la langue entubée dans mon nombril
d'un amant éphémère agenouillé. Tour
de clé et attouchements poussés. Clignez des paupières.
Dimanche, Françoise Giroud chute. Et dire que, le toujours très
à la mode, 20 ans me prédit, dans le versant
négatif de mon signe, de finir comme elle. Pas encore sorti
de la déprime. Fermez les paupières.
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MERCREDI 29 JANVIER
2003 _ #211 |
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Et l'envie s'évanouit
Comme
si elle ne s'était absentée que le temps d'un goûter
à la fin d'une après-midi d'automne puis était
ressortie du salon de thé, les lèvres vernies de sucre
et les doigts sentant les viennoiseries chaudes. Claire réapparaît,
mercredi,
sur la banquette vermillon du Café La Cloche (rue
de la Charité, quartier Bellecour). Toujours aussi "vavavoum",
borderline et chic, ma Première relate ses activités
professionnelles étoffées et bouffantes durant tous
ces mois où nous étions restés sans nouvelles.
Malicieuse, elle déguste sa séparation avec Mezzont
("je l'ai déstabilisé dans son fonctionnement
d'homme droit et marié"). Éternelle Belle-au-bois-dormant,
elle expulse son bonheur de jeune épouse, bague Cartier
au doigt et Rolls Royce rouge pour les week-ends sur la Riviera.
Clignez des paupières. Chez Carlo, nous croisons nos
fourchettes sur les lasagnes exquises de notre pizzeria maison.
Claire rayonne : "Je suis si heureuse de vous retrouver.
Je crains en permanence de perdre les gens que j'aime... Plus encore
en ces temps où tout va si vite pour moi et où je
ne sais jamais si je vais rester en phase avec mes amis".
Ce type de questionnement m'est étranger. J'accepte de transformer
l'étroite complicité d'une époque en silencieuses
et nostalgiques retrouvailles avec mes amis. Je perds ceux qui s'éloignent
trop du courant de ma vie. Je perds ceux qui sont très proches.
Clignez des paupières. "Votre longue expérience
de la douleur explique certainement votre résistance face
à ce conflit interminable", m'éclaire ma
princesse. Plus de dix années que je joue le salarié
besogneux au fin fond d'une Z.I de banlieue. Plus d'un an que mes
quatre petits patrons ont décidé de me faire démissionner :
échanges de courriers visés par avocats respectifs,
mise au placard, pas de travail, petites mesquineries en tous genres.
C'est ce que l'on appelle le "harcèlement moral",
très à la mode dans les pause-déjeuners, et
manifeste d'une violence invisible et destructrice. Chaque jour,
je tourne comme un fauve dans une cage de dossiers vides. Ma tête
gamberge souvent et se lobotomise parfois. Mon blocage professionnel
me renvoie à ma vie, mon histoire, ma structure. Plus je
mets les doigts dans mes bulbes cérébraux, plus rejaillit
ce faux besoin d'affection ou d'amour. A trop fouiller, je me perds
volontiers et me place hors de la réalité. Non, je
n'éprouve pas le besoin impérieux d'être amoureux.
Je ne crois pas en l'amour. Je l'ai éprouvé, et l'éprouverai
encore et, évidemment, sans que l'autre ne me laisse le choix
ni de son commencement, ni de sa durée et ni de sa forme.
Me fourvoyer dans la quête sentimentale sans frein pour ne
pas faire face à mes emmerdes, voilà une belle façon
d'être stupide. Clignez des paupières. Jeudi,
le 10 de Jacques Haffner s'ouvre à tout le gotha local.
Guillaume Tanhia me caresse d'un "tes papiers sont
très bien lorsque tu déprimes. Tiens encore quelques
semaines avant le suicide et Jean-Olivier Arfeullière
pourra éditer un très beau Best Of de ta rubrique".
Peste aimable. Carla dévoile le creux de ses seins sous un
décolleté sexy à en rendre jalouse Super
Pénélope. Julien Micro P. s'extasie sur
la plastique d'un gogo huileux : "Il a des cuissots, le
gaillard !". Z2 rebondit sur un fauteuil et hurle des "Allez
! Champagne !". Le "pipool media" (Gérard
Angel, Jean-Alain Fonlupt, Jacques Corre, Frédéric
Poignard) fait figuration devant Claire Carthonnet, femme
la plus convoitée de la soirée : "Ils me harcèlent
tous. Entendons-nous bien, il n'y a rien de sexuel". Je
m'évade quelques instants, les jambes en cisaille avec celles
de Roland, dernier homme excitant de mes rencontres. Le pâtissier
de la place Sathonay a cette innocente douceur dans le regard qui
me fait oublier toute l'agitation environnante. Il imagine ma main
glisser de ses cuisses à son entrejambe comme si je n'étais
qu'un "serial fucker" démoniaque. L'envie s'évanouie.
Je l'embrasse. Je l'embrasse encore. Clignez des paupières.
Z2 tente d'approcher Guy Darmet qui prend aussitôt
peur. "Il ne m'aime pas beaucoup, Guy, depuis que j'ai dansé
sur son dos lors du bal Blanc de la Biennale" rigole l'agitateur
nocturne. Julien-Justin décide que je dois être
amoureux tout en étant sous l'emprise d'un Jean-Paul Brunet
en sourire. Patrice Armengau et Pierre Le Magnifique
ferme cette première grande soirée de l'année
à 1h. Sic! "L'adjoint (Patrice Béghain)
étant à New-York s'est vengé de ne pouvoir
être là en faisant fermer le lieu très tôt
pour être sûr de ne rien rater" allonge les yeux,
Patrice A. Clignez des paupières. Vendredi,
le Medley retrouve Richelieu aux platines pour une fête
où Line frimousse, un cristal-light autour du coup. Pascal
("Non! Nicolas ! C'est mon prénom de drague")
et Comtesse partent à l'assaut éthylique d'un Joackim,
chauffeur-routier de Belfort et hétéro-inflexible.
Je ferme les paupières sur un air de "Couleur café,
que j'aime ta couleur café..." doucement tourné
par Jane Birkin.
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MERCREDI 05 FEVRIER
2003 _ #212 |
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La machine à bouloches
Les
étincelles jaunes et rouges des bolides se courbent ou se
détendent pour entrer et sortir de mes semelles. Un champ
infini de lampadaires s'étire jusqu'à ne marquer,
au loin, qu'un horizon clair dans l'obscurité. Sous mes pieds,
le tunnel de la Croix-Rousse. Au milieu de la rue des Fantasques,
Le Temps Perdu. Lundi,
les amis du Clairon fêtent la réussite de la vente
d'uvres en soutien de la Lettre confidentielle d'Albert Agostino.
Myriam éclate ballons de rouge sur papillotes de poissons
avant de regonfler les questions d'amour et de psychanalyse. La
tablée se drinkize de politiques, cultures et engagements.
Vincent Girard, célèbre pour ses luminaires
go-between et que l'on a connu beaucoup plus agressif dans ses postures
à cramer l'objectif d'une vidéosurveillance pour indécence,
lance son énigme : "Comment magnétiser
un livre afin de pouvoir le placer dans n'importe quelle position
sur une plaque de fer aimantée ?" Après
un long brainstorming chez ses voisins d'assiettes, plutôt
pessimistes sur l'issue de l'entreprise, l'artiste expulse :
"Votre incompréhension ouvre les portes de ma compréhension".
Clignez des paupières. Cette rare intelligence dans la disposition
des uvres, la force des propos et les émotions provoquées
font de l'exposition consacrée à Adrian Piper
une des plus impressionnantes expériences arty du moment.
Jeudi,
l'Institut d'Art Contemporain de Villeurbanne vernit une rétrospective
de l'artiste noire américaine. Même si ce type d'événement
inaugural distrait plus qu'il ne rend attentif aux pièces
exposées (nuée de "beausardeux", arty-people
et pique-picoles habituels qui forcent la public-relation), le trouble
et l'attraction de l'exposition agitent l'inner-eyes. Des yeux,
il est question dans une boîte en colimaçon dont le
coeur nous emprisonne sur une série de visages d'hommes noirs
aux yeux verdâtres. Malaise pour le petit bourgeois blanc.
Ouvrez très grandes les paupières. Vendredi,
Rue Royale Architectes donne son pot d'agence annuel. Déprimé
ou pas, le rendez-vous ne pouvait pas être évité,
étant toujours vécu comme le plus grand et le plus
borderline des apéros de début d'année. Dans
la cour de l'immeuble, une piste d'atterrissage rouge sanguin pour
hélicoptère de Guillaume Gelay et Arno Piroud
nous avertit qu'il faudra bien redescendre d'en haut. En haut, les
invités se hélicent dans une ronde autour d'expos,
de verres et d'amusements. Édouard, homme au regard persan,
scanne : "Il y a des arty, des Pentards, beaucoup d'alcooliques
Non ?". Jean-Alain Fonlupt se fond d'admiration
dans les éléphants détourés de Fred
de Boc. J'enlace Gaelle Communal, mon coeur palpitant. Gilles
Buna étudie de très près l'architecture des
bouteilles vides lorsque Carla et Z2 dynamitent les lieux. "Non,
je n'ai pas le look Dynasty. D'accord, mon pull bouloche un peu"
se défend Carla après s'être vu gratifiée
de "très à la mode, ton look Dynasty. Il ne te
manque plus que la grosse ceinture en chute sur les hanches".
Dj Fraggle, expatrié à Paris, crâne : "Je
peux t'envoyer une machine à bouloches depuis la capitale.
Très efficace". Z2 se dandine, toisé d'un
"An Emotionnal Beat In A World Of Fury" en script
sur son t-shirt. Pierre Obrecht promet l'envoi expéditif
de sa carte de vux, forcément vital : le bel homme est
habité par l'originalité de la chose. Virginie teste
en continu son portable-photographique de fashion victim. Puis je
m'enferme dans les toilettes avec Arletty. Elle baisse son pantalon,
d'une main maintient la porte fermée, de l'autre touche le
filet d'eau ouvert sur le lavabo pour laver ce qui n'est pas encore
le temps. Étrange impression de se placardiser avec une pieuvre
joyeuse. Clignez des paupières sur un moment heureux. Au
Double Side, je désaoule dans un jacuzzi où
deux bouches se glissent sous ma serviette sans que l'envie ne m'agite.
Drunky, le sexe est trop dur. À La Jungle, un "butch"
se laisse pincer à sang les seins et se sent prêt à
avaler. Clignez des paupières. "C'était pour
la soirée d'un mec qui bossait pour Christian Lacroix un
truc dans le genre. Mais mixer là-bas me foutait en l'air
mes vacances Pour le CV, mon nom est sur le flyer. Ca suffit, non ?"
tente de se justifier Dj Arnie, programmé au Bains
Douches lors de la Fashion Week. Samedi,
Christian et Frédéric Sicre amusent leurs invités
au Maya Bar. Arnie se fait harceler par un pimpo très "je
suis Genevois bien monté". Primabella refuse
bavardage de table avec Lola et m'encourage à la drague de
Valery, jeune blond et professeur de philo. Gérard, fashion
victim intemporelle, se défait de son manteau grippé
d'un renard en peau morte sur l'épaule. Alcools et danses
digestives sur le mix-album vital "Dj-Kicks-Tiga" pour
continuer cette nuit excitée. Clignez des paupières.
L'Ambassade se rythme sur l'afro-house du plus qu'excellent
Dj Manoo à en faire "transer" Frédéric
Sicre et Jacques Haffner en veillée de son
Gay Tea Dance hebdomadaire au 10. Fermez les paupières en
perte de sens lors de l'after d'Enjoy au DV1.
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MERCREDI 12 FEVRIER
2003 _ #213 |
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I Want To Be A Dog (Érosion érotique)
Sexe
est drogue. Normal qu'il se commercialise à éjaculations
intenses derrière des portes en tissus noirs, dans des bordels
dénommés "sex-clubs", sur les trottoirs,
sur les écrans de la toile électronique et dans tous
les recoins de la clandestinité excitante (chiottes publiques,
aires de repos d'autoroute, gares, abords d'équipements sportifs).
Le sexe rejoint l'alcool, les chimiothérapies pour dépressifs,
la coke, les jeux d'argent et la clope dans cette course au semblant
de la maîtrise de soi et, surtout, la possession de l'autre.
Je baise trop. Je baise à ne plus sentir la nature des baisers
que l'on me pose sur les joues. Trop humides, ils m'inspirent un
ressenti libidinal. Secs et rapides, ils m'indiffèrent à
fracasser la tête du propriétaire de ces lèvres
stériles contre la surface cabosseuse la plus proche de mon
empoignade crispée. Et puis. Et puis, il y a les baisers
qui coulent le long de l'échine et font tordre de plaisir.
Ceux-là vous signalent que le toucher est d'importance. Sexe
est drogue. Ne pas baiser crée un manque. Baiser rend énergique.
Trop baiser ennuie et machinalise. Clignez des paupières.
Mardi, Roland se pose sur une banquette de l'Indice 203. Le gentilhomme,
dernière connaissance à ouvrir une faille dans mes
certitudes, étincelle mon regard malgré ses remarques
sur ma vie qui part dans tous les non-senses. "Tes articles
sont très drôles mais un peu..." me corrige-t-il.
Je ne serais qu'une sex victim froide et perverse résonne
dans les circuits internes. Roland m'excite le détournement
de fonctionnement quotidien. Clignez des paupières chez Mathieu
à loucher des cuillères de soupe réchauffante
et à aguicher le convoité-patissier des Enfants
Gâtés de propositions indécentes. Mercredi,
je décline l'invitation du Carré d'Or (Mon Épouse,
Duchesse, K-Line, Cruz Poutre) en direction de La Marquise
pour une soirée "Soupe" organisée par Concept
Food. Envie de silence. Jeudi,
Joël rappelle le désordre en signalant une soirée
consacrée à Alain Pacadis sur France Culture.
Je zappe l'émission consacrée à la référence
absolue du nightclubbing pour me laisser embobiner par Mathieu devant
un "Punch-Drunk Love" captivant et sans incidence idéologique
majeure au CNP Terreaux. Je n'aime pas les toiles à films.
Du moins, je n'ai aucun élan naturel à aller m'enfermer
dans une pièce où personne ne se regarde, où
tout le monde fixe un seul et unique grand écran pour s'évader
égoïstement dans une histoire irréelle. Être
assis sans regarder l'autre et se faire happer par un filet lumineux
ne me convient que lorsque je suis profondément déprimé.
Au 10 de Jacques Haffner, Mathieu analyse ma faiblesse pour
les hommes tonsurés ou dégarnis comme "un
penchant pour la virilité : la calvitie est provoquée
par une trop grande production de testotérone".
Bien rassurant. Clignez des paupières. "Ce qui est
fascinant, c'est que la réalité dépasse toujours
de très loin la fiction", conclut Frédéric
après avoir narré les horreurs risibles de ses petits
criminels (empoisonneuses, escrocs et tueurs tarés). Toujours
au 10, vendredi,
je bise avec affection Pierre Le Magnifique, Guy et Alain
du décontracté Le Guilain avant de rejoindre Mon
Épouse et Cruz Poutre au Mushi-Mushi et "fêter"
sa réouverture après un mois de fermeture administrative.
Kamel absent, Dj Slider fait couler la bière alors que Cruz
Poutre s'imagine en Béatrice Ardisson : "Je
suis en train de télécharger une série de reprises
des standards pop rock". À quand une édition
de Lyon Première ? Clignez des paupières. Je
casque Mon Épouse, au Voxx, du I Want To Be A Dog
des Stooges lorsqu'un cuiré en perfecto nous ferme
les paupières en brandissant, hors de sa Lada parquée
devant le bar, son cd des Sex Pistols : "Le No
Guns est une reprise des Stooges". J'embrasse la future
mère de mes enfants et ouvre le crépuscule à
La Jungle dans un échange virulent avec un prédateur
qui me bécote en professionnel : "Tu es un scorpion
comme moi : si on se mord, nous mourons. Alors casse-toi".
Clignez des paupières. Tombé du Ciel arrose
son sixième anniversaire en même temps que Christophe
Boum, son trente-sixième, samedi.
"Je la déteste : je suis sûr que c'est
une goudou refoulée", se pique Primabella
à l'arrivée de Marie-Charlotte, suivie par Julien-Justin,
mon frère. Chatte Rouge bouscule ma drague sur un
Olivier over-sexy et mes coulées de mains pour Asstouch.
Clignez des paupières. "Tes dires me font peur",
se laisse enlanguer Patrick au Medley. Le jeune homme n'a
rien compris à l'amour compromis que je lui voue. Julien-Justin
retrouve Alexandre, "celui qui rêve d'une Mercedes
et nous a fait fuir en prétendant être boutiquier",
puis je ferme les paupières, assis entre les jambes de Marie
en sortie de L'Ambassade, Vincent au volant du bolide pour
un dernier Pulps.
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MERCREDI 19 FEVRIER
2003 _ #214 |
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Roots in
Nous
longeons les quais sous un vent glacé à cisailler
les doigts et scléroser les jambes. Sous le casque, la voix
sidérale de Bernard Sumner fait raisonner un lancinant "Set
you free Set you free / Set you free", tiré du Here
To Stay de New Order, revisité par Felix Da Housecat.
Jeudi,
Julien Micro P. m'embarque sur sa Vespa pour la "Garden
Party" donnée en l'honneur du nouveau Type 34. A priori,
rien ne devait nous diriger vers ce genre de lieu qui sent la bimbo
kilométrique et le pimpo propre et étudiant en école
de commerce. Mais Nathalie Cayuela se charge de la bonne
communication et des coupes de champagne pleins les doigts. On ne
sait pas trop pourquoi Marie-Charlotte et Philippe Moncorgé
gravitent autour de ce long bar aux torches en aluminium renversées
et flashant une salle grise et austère où rien ne
se passe. Sans effort, Philippe négocie avec une étudiante
en communication, en quête éperdue d'un dossier de
presse à effectuer gratuitement. "On va monter une
exposition à New York et cette jeune femme est disposée
à travailler sur le projet" avance, hilare, le peintre.
Hubert Lafferière pose pour les caméras de Lyonclubbimbos,
à nous faire demander si l'agenda de l'adjoint n'est pas
calé sur celui de cette si misérable émission.
Clignez des paupières. Julien évite de peu un conflit
armé avec des poseurs sans manières. J'avance vers
le bar d'un pas assuré et parsème quelques "pardon"
dans la masse aseptisée. Les convives sont tellement rassurées
de leur "fashion attitude" et "very importance"
qu'ils en deviennent rigides et stériles. Leur demander pardon,
une main sur l'épaule, est peut-être considéré
par ces gens comme servitude alors que ce n'est qu'une marque de
savoir-fêter. Voilà mon problème avec ce genre
de lieux "tendance" (le label est toujours dans l'air
du temps dans le versant campagnard de Lyon) : tout est vulgaire
et figé. Rien d'ouvert et rien à ouvrir. Clignez des
paupières. Vendredi,
Patrice Armengau et Étienne saluent Jean-Paul "doux
et éternel ado" Brunet, au 10, dont l'affluence ne cesse
de croître et devient dangereuse pour tous paparazzi habitués
aux rares événements concentrateurs de "pipaul"
locaux : le lieu happe à lui tout seul tout ce que la
ville compte de fêtards, cultureux, hommes politiques, influents
et prescripteurs de modes. Jacques Haffner est en passe de
réussir à fidéliser des personnalités
qui ne sortaient pas, ou trop peu, dans un bar qui attend toujours,
"administrativement", de devenir club. Patrice A. interroge
Roland sur les spécialités des Enfants Gâtés.
Le bel homme, en instance d'un pseudo dans cette rubrique ("je
préférerais que tu m'oublies en tant que Roland"),
ne s'avère pas vendeur né. Positif. Ab de tapiole.com
verse sur ma vodka-glace les derniers potins gays à découvrir
sur le site : "L'Oasis réouvre à l'angle
rue des Capucins et rue Cousotu, mercredi 19, avec visite habillée
du nouveau sauna. L'ex-Grand Jardin va devenir un club gay sous
la direction de l'ancien patron du Cap Opéra. La brasserie,
à côté de la pharmacie du Griffon, sera bientôt
un bar-restaurant gay. Tout cela va ramener un peu de fraîcheur".
Clignez des paupières. Nous arrivons trop tard à l'àKGB
pour danser sur le dj-set de Stéphane Cayrol. Impossible
de savoir si le journaliste de TLM s'est lancé dans un mix
"présumé décalé" à
la Béatrice Ardisson ou, plus rooty et à la mode,
en 2 Many Djs lumineux. Plus loin, un texto explicatif fluorisera
le portable : "Très touché de votre passage
hier soir avec Jacques et Jean-Paul. J'ai réalisé
un petit rêve d'ado. Rien de créatif, juste un petit
délire pour grand enfant". Nous basculons nos verres
pour fuir ce lieu insipide. Après un tour de piste à
L'Ambassade, je cligne des paupières au Medley
et serre dans mes doigts moites une pomme d'amour sucrée
offerte par Gilles. dimanche,
Nathalie Cayuela trinque au 10 avec Jacques Corre. Mon enjambement
provoqué entre Marie Charlotte et Philippe Moncorgé
fête son un an d'âge : "Est-ce qu'après
un an de relation, tu fais l'amour tous les jours ?"
se fent, épuisé, Philippe. Un gogo boy travesti en
punk blond se masturbe dans un pichet de jus de fruit à faire
soupirer Marie : "Il est énorme ! Énorme !
Laissez-moi passer, pour voir". Guy Darmet sourit
alors que j'entreprends un professeur bourguignon qui vérifie
l'étendue de ma pilosité torsale. À
l'United Café, je retrouve Jean-Louis et Alain :
"Six ans que nous sommes ensemble grâce à toi
Promis, tu seras le parrain de notre premier enfant", sourit
Jean-Louis. Je rebondis : "J'ai passé toute
cette soirée avec des couples que j'ai formé. Étrange ?"
Jean-Louis : "Les cordonniers sont les moins bien chaussés".
Fermez les paupières sur les va-et-vient acides du I Dance
Alone de Swayzak : "I dance alone Nobody
home to confort me".
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MERCREDI 26 FEVRIER
2003 _ #215 |
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Je ne suis personne
"Il n'y a pas osmose : tu n'as
même pas de poppers et tu me prends pour une bouche"
tente de s'humaniser, lundi, un gentilhomme à qui
je caresse la tête alors qu'un inconnu ne dégage plus
sa bouche du glory-hole, en attente de mon retour de trique. À
La Jungle, une érection solide m'éloigne du
vrai. Je donne mon sexe ennuyé avant de cligner des paupières.
Mardi, au Café 203, Mathieu prétend
que la culture est source de compréhension du monde qui nous
entoure et enrichissement personnel. Mais quel "capital vie"
peut apporter le savoir ? À quoi sert la connaissance
si celle-là ne bouscule pas notre fonctionnement interne ?
À crever riche d'intellectualisme ? À briller
en société de réflexions abstraites ?
Les arts me bousculent dans ce qu'ils ont de sensibles et d'émouvants.
Le "sensé réfléchi" soit m'ennuie,
soit flatte mon ego. Intérêt plus que minime. Intérêt
plus appuyé au Théâtre du Point du Jour
pour les Loteries de Sarah Fourage et la Compagnie
du Bonhomme. Cinq personnages freaky encastrés dans des boîtes
coulissantes sortent un à un tels des pantins en bataille
et manipulés dans un jeu de vieux gamins cruels. Le spectateur
s'invite dans cette petite boutique de l'horreur d'un amour perdu
par bêtise et d'un vice en fin d'histoire : l'atrocité
grossière d'un conte inhumain dans l'humain de la plaisanterie,
du peu sérieux qu'est la vie. Une vraie fête foraine.
Une belle pièce servie par de brillants comédiens.
Nicolas Fine en fin de représentation tire pourtant
la grimace malgré les félicitations de Super Pénélope
et Julien Micro P. "Nous n'étions moins bons
qu'hier", baisse les yeux sur son papier à rouler,
le comédien. Nicolas me trouble par tous ces doutes qui semblent
le remplir et le rendre friable, à l'investir de mon manque
d'affects. A un amusé "Tu ne m'as jamais proposé
ta couche", le jeune homme entretient mon attirance :
"Mais, tu ne me l'as jamais demandé". Clignez des
paupières. Mercredi, Fab de tapiole.com déambule
dans les couloirs de l'Oasis pour une visite guidée du nouveau
sauna homo (2, rue Coustou. Quartier Pentes). "Là,
ce sera ma suite perso. Bon, j'apporterai quelques bricoles et objets
de déco. C'est pas mal comme chambre à baiser. Non ?"
s'émoustille le webwriter dans un grand placard à
sexe. La pré-ouverture privée de ce bel ensemble à
vapeur regroupe patrons gays et quelques jeunes femmes (qui seront,
dès le lendemain, interdites du lieu), ventilés par
la machinerie chauffante. Tous sirotent verre sur verre à
défaut de se déshabiller. L'air est chaud et la folie
molle. Clignez des paupières. Apercevoir Laurence Renaudin,
jeudi, chez Olivier Houg signale d'entrée que
le vernissage réunira forcément le Terracota
du milieu arty. Le temps de viser les installations (sans gros choc
dans la face) amène Z2, un ballon de rouge en boutonnière
et le pas léger, dans les pas d'Anne-Lise et Michael
pour un début de nuit décrassant. Aurélie
Haberey tient en sac ses derniers clichés destinés
à l'exposition photographique que la jeune femme lancera
le 19 mars prochain au Modern Art Café. "J'aimerais
te les montrer mais ce n'est pas le lieu", me tient affectueusement
le bras ma portraitiste "presque" attitrée. Clignez
des paupières. Nous courons le quartier Ainay pour une chute
en table. Le Bastringue se recueille, assis devant une conteuse.
Le Comptoir Saint Hélène s'électrise au bar
avec les exagérations de Karine B. et à l'étage
avec un Z2 amoureux virtuel qui veut rêver encore et toujours :
"Mais, je m'en moque si je n'embrasse jamais cette fille.
L'idée de pouvoir un jour l'embrasser suffit à alimenter
mes espoirs" ricoche-t-il lorsqu'Anne-Lise souhaite
le ramener à la réalité crue. Clignez des paupières
au Pulps à gigoter sur un mix crypto 80's dans le genre "je
t'enchaîne un Tiga And Zyntherius avec un Chicks On Speed,
le tout avec mes pieds mais dans le move du moment". Vendredi,
Philippe Faure joue la dernière de son Malade Imaginaire
au Théatre de La Croix-Rousse. Comme dans Moi Tout
Seul, ce qui touche à l'admirable chez le comédien-directeur
est cette capacité à être juste dans la retenue
d'une émotion, des tourments que l'on imagine tout près
de la peau. Il y a chez ce "Malade" de Faure, toute la
mauvaise fois, la quête éperdue de tendresse, la frilosité
à s'étouffer sous les tonnes de coussins qui blanchissent
la scène et tous ces palliatifs irréels qui nous remuent
tous. Vital et à reconsommer la saison prochaine sans ordonnance.
Au souper d'après représentation, Matt bondit sur
la sono à en ôter le couscous de la bouche de Philippe
Faure et observer l'agité rythmique. Super Pénélope
retrouve son Micro. P en fermeture du 10 avant de s'emballer à
la table de Carla au Funambule. Clignez des paupières.
Michel Essertier tente de me convaincre que : "Où
tu dis d'aller, les gens vont. Tu es un révélateur".
Je ne suis personne. Fermez les paupières.
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INSTINCT NOCTURNE
|
Écrit
par Baptiste Jacquet |
a été publié sous l'appellation
"Nuits Mobiles" jusqu'au
22 nov. 06 dans l'hebdomadaire
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